Nicolas Sarkozy chevauche deux familles de droite très différentes
Franck Debié, Françoise Fressoz | 14 juillet 2008
Entretien avec Franck Debié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique, analysant le positionnement de Nicolas Sarkozy sur l’échiquier de la droite.
Entretien avec le normalien Franck Debié, qui dirige la Fondation pour l’innovation politique.
Normalien, agrégé de géographie, Franck Debié dirige la Fondation pour l’innovation politique, un think tank à vocation internationale créé en marge de l’UMP. Ses constatations s’inspirent de la lecture des nombreux textes émanant de la droite française, européenne et américaine.
« Nous avons gagné la bataille idéologique », s’est récemment réjoui François Fillon. Est-ce si sûr ?
Si la droite française a remporté une bataille, c’est davantage celle des principes que des valeurs. Le travail, l’autorité qu’elle met en avant ne sont pas des valeurs typiquement de droite. En outre, elle s’est beaucoup imprégnée des idées de la gauche au lendemain de Mai 1968. C’est clair sur un sujet comme la famille, où elle a préféré accompagner les évolutions plutôt que de s’y opposer.
Du côté des principes, en revanche, elle marque des points. Le pragmatisme progresse. Les évolutions profondes de la société y sont pour beaucoup. La fin du fordisme dans la vie de l’entreprise et l’éclatement de la cellule familiale dans la vie privée favorisent l’idée que l’individu n’est pas entièrement englué dans le déterminisme social, qu’il peut changer par lui-même. Nicolas Sarkozy, par son destin individuel, incarne beaucoup cela. Il incarne aussi la victoire d’une forme de rationalité en politique.
La droite a compris que le vote n’était pas entièrement déterminé par des intérêts de classe, qu’il se formait aussi à partir de raisonnements bien construits… Elle a renoué avec le débat et l’argumentation. A partir de 2002, elle a littéralement démonté l’idée du partage du travail, qui était devenue l’emblème de la gauche.
Elle l’a fait par le biais de colloques, de discours, de textes qui se sont diffusés et qui visaient à démontrer qu’il est absurde de considérer que l’emploi est un gâteau à partager, alors que partout ailleurs toute quantité de travail supplémentaire a tendance à augmenter la richesse. Cette pédagogie a assuré la notoriété du slogan « Travailler plus pour gagner plus ». Elle a aussi contribué à atténuer le soupçon qui a longtemps visé la droite, accusée de vouloir le pouvoir pour servir seuls les intérêts des capitalistes. Ce soupçon n’a pas disparu mais il a perdu en intensité.
Où se situe Nicolas Sarkozy dans l’évolution des droites mondiales ?
Il chevauche deux familles très différentes. La première domine nettement l’Europe. C’est une droite progressiste en matière sociétale, qui défend, sur le plan économique, le droit à la concurrence. Sa conviction est que la société ne progresse que si la concurrence est garantie. Le commissaire européen, José Manuel Barroso, illustre bien cette sensibilité sur laquelle s’aligne, peu à peu, le Parti populaire européen. Cette foi dans le libéralisme économique s’accompagne d’une défense farouche des libertés publiques : pour que la concurrence existe, il faut des contre-pouvoirs forts. Une justice indépendante et une presse qui joue tout son rôle.
A côté de cette droite libérale en coexiste une autre, que je qualifierais de réactionnaire. Puissante aux Etats-Unis et en Russie, elle réagit aux évolutions récentes : le « déclin américain » des années 1970 et 1980, « l’anarchie » de la période Eltsine en Russie. Son ambition est de restaurer l’ordre ancien. Elle adopte volontiers un discours martial, s’appuie sur le clanisme, la religion, dans ses formes les plus extrêmes, et sur des communautarismes très structurés. Elle se caractérise aussi par un grand opportunisme en matière économique et diplomatique, Peu lui importent les moyens, seul l’objectif compte. D’où le danger d’affairisme dont les Etats-Unis ont récemment donné l’exemple.
Pourquoi dites-vous que M. Sarkozy chevauche ces deux familles ?
Parce que son discours ne donne pas encore le sentiment d’avoir choisi. Lorsqu’il réintroduit l’élément religieux dans le débat public, alors que la France a vécu une laïcité de combat, il est dans un registre réactionnaire. Cela ne l’empêche pas de partager avec la droite libérale une vision moderne de la famille.
C’est sur le terrain économique que ses ambiguïtés sont les plus fortes. D’un côté, il veut encourager la concurrence, via la loi de modernisation de l’économie. De l’autre, on reste dans la logique d’une intervention directe de l’Etat dans l’économie et de défense des champions nationaux. Avec un risque de collusion entre le pouvoir économique et politique, d’autant plus fort que Nicolas Sarkozy ne dissimule pas ses relations avec les grands patrons. Ce discours complexe correspond bien à une époque d’incertitude. Mais, tôt ou tard, il faudra clarifier ses options, sachant que le centre de gravité de ses soutiens se situe sans doute du côté de l’aile libérale.
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