Affectation des collégiens à Paris: « Dans le monde merveilleux d’Affelnet, un 15/20 vaut autant qu’un 20/20 »

Ronan Planchon | 25 octobre 2023

ENTRETIEN - Marion Oury, maître de conférences en sciences économiques, publie note pour la Fondapol sur les conséquences de la réforme du mode d'affectation des élèves dans les lycées publics de Paris. Avec ce nouveau système, le collège d'origine d’un élève devient plus important que son niveau scolaire, dénonce-t-elle.

Marion Oury est maître de conférences en sciences économiques à Paris Dauphine-PSL. Elle vient de publier une note pour la Fondapol intitulée « La réforme Affelnet à Paris: un voyage au pays où 15=20 ».

LE FIGARO. – Affelnet (pour Affectation des élèves par le Net), qui aiguille chaque collégien parisien vers un lycée de la capitale, a été réformé en 2021. Désormais, les notes obtenues dans les matières les plus importantes ne comptent pratiquement plus, expliquez-vous. Comment est-ce possible ?

Marion OURY. – Il est vrai qu’on marche sur la tête. Deux absurdités ici se superposent. La première (qui ne concerne pas uniquement Paris) est la manière dont Affelnet prend en compte les résultats scolaires : un refus de l’évaluation (ou une certaine idéologie de la « bienveillance ») a progressivement conduit à une évaluation à la fois opaque et arbitraire. Tout d’abord, dans chaque discipline et pour chaque trimestre, les notes sont tranchées par paliers de 5 (ainsi, un 15 de moyenne rapporte le même nombre de points qu’un 20, un 14,9 qu’un 10, etc…). Puis un second « lissage » fait que le sport compte plus que les mathématiques ou le français ! Enfin, cerise sur le gâteau, un socle de huit compétences aux intitulés obscurs (« méthodes et outils pour apprendre », «comprendre, s’exprimer en utilisant les langages des arts et du corps ») est pris en compte avec un poids considérable : le passage de la mention « satisfaisant » à « très satisfaisant » pour une de ces huit compétences rapporte trois fois plus de points que le passage de 10 à 20 en mathématiques sur l’ensemble de l’année !

Tout ceci est tout bonnement délirant bien sûr. La réforme de 2021 a créé une seconde absurdité, avec l’apparition d’un « bonus IPS » (attribué à l’élève en fonction de son collège d’origine). À présent, à Paris, un élève issu d’un collège «défavorisé» part avec une avance de 1200 points par rapport à un autre issu d’un collège « favorisé ». 1200 points… quand la différence entre un bulletin scolaire à 10 de moyenne partout et un à 20 de moyenne partout n’est que de… 345 points ! Tout bonnement délirant là aussi.

Peut-on vraiment dire que dans ce nouveau système, le mérite et les aptitudes académiques ne comptent plus, ou peu ? Travailler dur et obtenir de bons résultats permet-il d’accéder à un bon lycée ?

Le mérite compte, comme nous venons de le voir, bien moins que le collège d’origine, c’est certain ! Et de bons résultats scolaires ne garantissent plus l’accès à un bon lycée pour un élève issu d’un collège « favorisé ». Certains lycées sont même devenus tout à fait inaccessibles, c’est-à-dire même avec le score maximal pour les résultats scolaires. C’est le cas par exemple du lycée Condorcet dans lequel aucun élève non-boursier du collège du même nom ne peut plus désormais entrer… Du moins en théorie ! Car, comme Le Canard Enchaîné l’a révélé mercredi dernier (ce point ne figure pas dans ma note), le rectorat a, pour la session de 2023, décidé (en toute discrétion) de contourner l’algorithme qu’il a lui-même mis en place afin de faire passer 9 élèves de ce collège vers ce lycée. Une telle situation est bien sûr intenable.

Le plus scandaleux, écrivez-vous, c’est que ces subtilités ne sont expliquées nulle part, ni sur le site d’Affelnet ni sur celui du ministère. Comment expliquez-vous cette opacité ? In fine , seuls les parents les plus informés réussiront à diriger leur enfant dans un bon lycée parisien, n’est-ce pas contradictoire avec les ambitions de cette réforme ?

Il est vrai que la règle « 15=20 » par exemple est largement inconnue des familles. Un paradoxe, vous avez raison, pour un système qui se veut si « égalitaire » ! Mais il n’y a pas que cela : l’opacité règne aussi sur les effets de ce système. Cette constante opacité, c’est ce qui m’a le plus sidérée, je crois, en écrivant cette note : le paramétrage du « second lissage », les seuils d’admission des lycées, sans parler de ce qui a été révélé mercredi 18 octobre… Une partie de mon étude montre comment le rectorat a profité de cette pénombre et de cette complexité pour mettre en avant différentes statistiques trompeuses. J’y vois presque un «cas d’école» de ce que peut faire une administration à une époque où règnent les algorithmes et les données chiffrées. J’espère vraiment que le nouveau ministre va rompre avec ces pratiques ! L’école est un enjeu essentiel pour les familles : elles ne peuvent accepter d’être manipulées ainsi.

La réforme Affelnet vise aussi à favoriser la mixité scolaire. Cette ambition est-elle en soi louable ?

Le caractère désirable ou non de la mixité scolaire (c’est-à-dire celle des niveaux scolaires dans un établissement ou une classe) est une question complexe qu’il me semble nécessaire d’aborder en acceptant le « cas par cas » et en évitant tout dogmatisme. Je me réjouis à cet égard de l’intention de Gabriel Attal d’ouvrir un vrai débat sur ce sujet. Dans le cas précis des lycées publics parisiens, un facteur me paraît d’une importance essentielle : la présence d’un enseignement privé à la fois très développé et très attractif. Une réalité dont on peut se réjouir ou se désoler mais qu’on ne peut ignorer quand on entreprend, comme le rectorat le fait à travers cette réforme (et sans avoir donné d’ailleurs aucune justification véritable pour cette action) de baisser le niveau des bons lycées publics.

Les inscriptions de collégiens issus du public dans des lycées privés ont bondi ces deux dernières années. La réforme Affelnet est-elle en partie responsable de cette fuite ?

Elles ont effectivement augmenté de 30% en deux ans. Cependant, il est délicat d’en tirer des conclusions trop définitives car elles ne concernent qu’une faible proportion d’élèves. Il n’est pas en effet si facile de rejoindre le privé : le rectorat est décisionnaire pour les ouvertures de classe et les établissements ont souvent des listes d’attente longues… La question de la fuite des familles «favorisées» vers l’enseignement privé est pour moi un enjeu crucial, peut-être le plus important dans la compréhension de cette réforme. Mais l’opacité est ici de nouveau presque complète.

Ainsi, l’évaluation réalisée en février 2023 par l’Institut des politiques publiques ne fournit que les statistiques associées aux flux de fin de troisième, quand il est évident que les familles sont capables d’anticiper le désordre à venir et de réaliser leurs choix bien en amont. Depuis deux ans, le public se vide à Paris, c’est un fait. Pour l’expliquer, on invoque, à juste titre, la baisse de la démographie, qui n’affecte pas de la même manière le privé en raison des listes d’attente dont je viens de parler. La réforme Affelnet joue-t-elle également un rôle ? Je ne puis vous le dire.

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