Cécile Maisonneuve: «L’Europe doit redevenir le grand continent de l’énergie nucléaire qu’elle a toujours été»

Aziliz Le Corre, Cécile Maisonneuve | 20 avril 2023

ENTRETIEN - L’auteur de l’étude «Pour un nouvel ordre énergétique européen», qui vient de paraître à la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol, think-tank), analyse les politiques climatiques européennes. La transition écologique exige avant tout une indépendance énergétique de l’Union européenne, et non des mesures «d’affichage», argumente-t-elle.

LE FIGARO. – Le Parlement européen a durci la position de la Commission sur la performance énergétique des bâtiments, en votant le 14 mars la «directive EPBD». Elle souhaite que tous les nouveaux logements soient neutres en carbone d’ici à 2028 et que les biens notés F et G disparaissent à la fin de la décennie. L’efficacité d’une telle mesure est-elle prouvée?

Cécile MAISONNEUVE. – Ce qui a été voté au niveau européen, comme au niveau français, sur les interdictions à la location, ainsi que le calendrier progressif qui a été mis en place sur des biens très peu performants, sont des mesures extrêmement ambitieuses mais dont il faut craindre qu’elles soient d’affichage: au regard du parc concerné, il paraît peu réaliste d’espérer qu’on aura à la fois les moyens financiers et une montée en puissance suffisante de la filière du bâtiment pour mener à bien des travaux d’une telle ampleur dans les délais impartis.

En plus des problèmes que pose la rénovation énergétique des bâtiments, plusieurs études ont démontré sa faible efficacité au regard des dépenses engagées. La Fédération des promoteurs en Allemagne montrait qu’après 320 milliards de dépenses dans la décennie 2010, la consommation énergétique des bâtiments était stable. Même constat au Royaume-Uni, à cause de l’effet rebond. Les économies d’énergie attendues ne sont pas obtenues car les habitants des logements chauffent davantage leur logement (1 ou 2 degrés de plus).

Récemment, au Collège de France, la Prix Nobel d’économie, Esther Duflo, a remis en cause l’efficacité de ces politiques qui, telles qu’elles sont conduites actuellement, sont extrêmement coûteuses pour les finances publiques alors que leurs résultats en termes de consommation énergétique et de «décarbonation» sont très faibles.

Le paquet «Ajustement à l’objectif 55» de l’Union européenne comprend une proposition de révision de la directive sur les énergies renouvelables. La proposition prévoit de porter la part d’énergies renouvelables à au moins 40 % d’ici à 2030. Est-ce un objectif raisonnable?

Depuis longtemps, au sein de l’Union européenne, l’on confond l’objectif et les moyens. L’objectif, c’est la «décarbonation» de notre système énergétique. Pour ce faire, on a érigé les énergies renouvelables en totems quasi uniques en minimisant trois points: l’investissement dans les réseaux, le stockage et la mise en place de flexibilité dans le système pour compenser l’intermittence des renouvelables. Or l’heure n’est pas à la restriction mais à l’élargissement des choix de politique énergétique, puisque nous devons en parallèle produire beaucoup plus d’électricité pour réindustrialiser.

Autre problème, tout ce qu’on est en train de voter à Bruxelles aujourd’hui, que ce soit une interdiction des véhicules thermiques avant 2035 ou des objectifs renouvelables très élevés, c’est se mettre dans la main de la Chine au regard de la mainmise chinoise sur les chaînes de valeur bas carbone. Deng Xioping, le père de la Chine moderne, voulait faire de son pays le Moyen-Orient des terres rares et métaux critiques, nécessaires au fonctionnement des batteries, éoliennes ou panneaux solaires: nous y sommes. Elle domine la production et surtout la transformation de la plupart de ces métaux, dans des proportions souvent supérieures à 80 %.

Comment répondre à la crise énergétique que traverse l’Europe tout en réduisant les émissions de CO?

Ursula von der Leyen a annoncé une nouvelle politique de «de-risking» (l’atténuation des risques) avec la Chine. L’Union européenne a pris conscience qu’on ne pouvait pas répéter avec la Chine l’erreur commise avec la Russie: une dépendance excessive. Elle veut diversifier ses fournisseurs, produire davantage elle-même, recycler. Pour l’instant, on peine à voir par quels moyens concrets on pourrait parvenir à ce résultat.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, nous n’avons plus aucune maîtrise ni sur les prix ni sur la «décarbonation» de notre énergie, car nous avons oublié que le socle, c’est la sécurité énergétique. Jusqu’alors, nous avons paré au plus pressé avec les boucliers énergétiques: entre septembre 2021 et février 2023, les gouvernements en Europe ont dépensé 800 milliards d’euros, la plupart destinés à subventionner les énergies fossiles! La culture de la sécurité d’approvisionnement est complètement passée au second rang dans la décennie précédente. À telle enseigne qu’après la révolution de Maïdan en Ukraine en 2014 et l’annexion de la Crimée, l’Union européenne a augmenté sa dépendance au gaz russe et aux fossiles russes! L’Europe doit reconstruire à la fois sa culture et des outils de sécurité énergétique.

L’Union doit avoir recours à toutes les solutions énergétiques possibles pour renforcer sa sécurité d’approvisionnement à un coût raisonnable. Supprimer des options comme vient de faire l’Allemagne en sortant du nucléaire n’a pas de sens: le résultat? Une augmentation massive de ses importations de gaz. Dans le contexte géopolitique et géoéconomique actuel, il faut privilégier un principe de neutralité technologique qui permet de faciliter l’innovation et de prendre en compte les spécificités des pays ; et déployer une politique pour se défaire de la dépendance aux fossiles, russes ou autres: politique de recherche et développement sur la fusion nucléaire et le captage direct du CO2, politique de diplomatie minière, politique d’alliances de long terme avec des pays alliés sur le gaz et le nucléaire, accélération massive sur les renouvelables pour l’électricité et la chaleur, sur le biométhane, investissements dans les réseaux. Et naturellement redevenir ce grand continent de l’énergie nucléaire qu’a toujours été l’Europe.

Quels leviers la France peut-elle actionner?

Il y a un certain nombre d’annonces qui ont été faites, il faut désormais passer aux actes sur le nucléaire, à commencer par passer des commandes et développer de nouveaux réacteurs. Dans l’immédiat, EDF est en train d’étudier aussi une augmentation de la puissance de ses réacteurs. L’idée est de coupler la modernisation en cours des réacteurs existants pour permettre d’étendre leur durée de vie à une augmentation de leur puissance, ce qui fait que sans construire aucun EPR ou quoi que ce soit supplémentaire, vous pouvez avoir l’équivalent de la production de deux ou trois réacteurs en plus d’ici à quelques années avec l’existant. D’autres pays l’ont fait à grande échelle, notamment les États-Unis. La situation est critique: il faut accélérer le rythme.

 

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