Ces députés LR atteints par le virus de l’anti-libéralisme

Christophe de Voogd | 16 octobre 2022

Les députés LR ont voté en faveur du retour du dispositif initial de l’exit tax qui avait été fortement allégé et assoupli par Macron.

Atlantico : Les députés LR ont voté en faveur du retour du dispositif initial de l’exit tax qui avait été fortement allégé et assoupli par Macron. Dans leurs décisions récentes, à commencer par cette dernière, à quel point manifestent-ils une tendance à l’anti-libéralisme ?

Christophe de Voogd : Non seulement le groupe LR a voté ce retour mais en plus il en a été lui-même à l’initiative avec l’amendement dans ce sens du député de l’Ariège, Fabrice Brun. Deux raisons pourraient être alléguées pour justifier une telle démarche. D’une part le fait que ce dispositif a été introduit par la droite, sous le mandat Sarkozy en 2011, et d’autre part que la demande de « solidarité » est très forte dans la crise actuelle du pouvoir d’achat. Mais ces deux raisons sont bien faibles à tous égards : l’héritage sarkozyste commence à être sérieusement mis en cause au sein de LR, notamment par Bruno Retailleau. Les positions actuelles de l’ancien président ne sont pas de nature à distinguer la droite du macronisme, distinction capitale pour l’attractivité électorale de la première. Par ailleurs le brouillage du message d’un parti qui depuis des années dénonce la surcharge fiscale du pays et qui vient de renforcer une taxe hautement symbolique est rédhibitoire. Quant à la « solidarité », elle ressemble trop souvent à « l’envie démocratique » dénoncée en son temps par Tocqueville : LR n’a aucun intérêt à jouer à « la chasse aux riches » pratiquée par LFI (qui a voté avec la joie que l’on imagine l’amendement en question). La constance est une qualité forte en politique, quoiqu’on en dise. Dans un pays qui détient le record des prélèvements obligatoires, LR aurait dû tenir bon sur son refus de les alourdir encore et sur son engagement d’engager résolument leur décrue, promesse qui fit naguère le succès d’un François Fillon. Tactiquement, au demeurant, c’est une maladresse car cela revient à laisser au macronisme le monopole du discours libéral : ce qui ne manque pas de sel, au vu de l’accroissement du poids de l’Etat (et de la dette) depuis 2017.

Mais plus encore, et contrairement au bruit ambiant, l’étatisme en matière économique ne correspond plus au vœu majoritaire des Français, et encore moins à ceux de droite, comme l’a montré une étude récente de la Fondation pour l’innovation politique (« Mutations politiques et majorité de gouvernement dans une France à droite ») ; ce qui veut dire un Etat se concentrant enfin de ses missions régaliennes (sécurité, justice, immigration etc.), bridant son appétit fiscal et respectant l’initiative des entrepreneurs et des citoyens ; c’est à dire l’exact inverse de ce que nous faisons depuis 40 ans.

Qu’est ce qui, notamment dans la sociologie des députés LR, explique cette tendance anti-libérale ? Le parti a-t-il la même tendance ?

La réduction du nombre de députés LR aux dernières élections s’est accompagnée d’un rétrécissement de l’assise sociologique et géographique du groupe : élus de la France profonde ou de la France périphérique, souvent rurale, ils sont moins familiers de la culture entrepreneuriale que leurs prédécesseurs.  A quoi s’ajoute l’influence du courant de ce que l’on appelle à tort le « gaullisme social » (incarné par Aurélien Pradié) qui est devenu en fait un « socialisme de droite », interventionniste et redistributeur, loin de l’inspiration originelle qui mettait en avant la participation, non l’assistanat. D’où l’incompréhension de nombreux députés LR des enjeux et des dangers réels de l’exit tax, notamment en matière de dynamisme industriel et d’attractivité du pays.

Mais il y a d’autres voix et d’autres cultures dans le parti, comme celle d’un François-Xavier Bellamy, d’un Bruno Retailleau et surtout d’un David Lisnard, le plus proche parmi les grandes personnalités LR de la culture d’entreprise et le plus critique à l’égard d’un Etat à la fois omniprésent et impotent. sa position s’inscrit au fond dans l’héritage de Pompidou : un Etat régalien fort et stimulant la modernisation du pays, mais qui doit, de ce fait, encourager l’initiative des acteurs de terrain et, selon la formule célèbre, « arrêter d’emmerder les Français ».

Ce positionnement risque-t-il de nuire à LR notamment dans la reconstruction de leur ligne en vue de 2027 ?

Les échéances sont en fait plus proches que 2027: LR doit être en ordre de marche au plus tard pour les Européennes de 2024, sauf à risquer une gifle encore plus cinglante que la dernière fois. Le résultat de la présidentielle montre qu’il n’y pas de plancher sous lequel ce parti, en recul constant depuis 2012, ne pourrait a priori descendre. A quoi s’ajoute la possibilité d’une dissolution de l’Assemblée, qui me paraît être une hypothèse hautement probable dans les 12 prochains mois. Les revers subis coup sur coup par le gouvernement – dont précisément ce retour de l’exit tax – ne pourront pas s’accumuler indéfiniment, surtout avec la multiplication des crises de toutes natures qui marquera les prochaines années. La gouvernabilité d’un pays habitué à un Exécutif fort pourrait bien être rapidement en péril. Or, les LR serait pris au dépourvu par une telle dissolution, alors que leur recomposition idéologique n’a pas même commencé et que leur prochain président n’est pas encore élu. Bref, la vulnérabilité d’un parti sans boussole et sans chef l’expose sans défense à la double tenaille Renaissance/RN, ou à une OPA partielle d’Horizon qui pourrait être une « structure d’accueil » de la partie centre-droit de LR. Nombreux sont ceux, notamment les anciens LR ralliés au macronisme, qui sont aux aguets pour recueillir les dépouilles. En somme, le parti joue sa survie, au moins sur le plan national.

La messe n’est pourtant pas encore dite, à condition que s’opère rapidement la clarification idéologique fondamentale sur les vraies valeurs de la droite qui cocherait, on l’a vu, les attentes d’une majorité de Français. Faute de quoi, l’on verra longtemps perdurer cet étonnant paradoxe de la vie politique française : un pays à droite gouverné durablement par des « progressistes », c’est-à dire, au fond, par une gauche saint-simonienne comme l’est le macronisme.

 

Retrouvez l’entretien sur atlantico.fr

Commentaires (0)
Commenter

Aucun commentaire.