Que recherchez-vous ?
L’innovation politique dans votre boîte mail.
Si vous souhaitez vous abonner à la newsletter de la Fondation pour l'innovation politique, renseignez votre adresse email :
Suivez-nous sur

Désaffection des Français : que reste-t-il à la gauche à part ses yeux pour pleurer ?

Jacques Julliard | 21 mai 2021

Depuis 1946, la gauche a perdu plus de la moitié de ses voix. Le plus étonnant, c’est qu’aucun des survivants ne paraît se demander pourquoi. Essayons donc de le faire à leur place.

C’est désormais une affaire entendue : « La France glisse à droite, monsieur ! » Je dirai même plus : « Pendant que vous dormiez, c’est le monde entier, vous entendez, le monde entier qui a glissé à droite, monsieur ! » Il n’y a qu’une exception, mais elle est de taille, puisqu’il s’agit des États-Unis d’Amérique, avec Joe Biden. Il est vrai qu’ils reviennent de loin, nos amis d’outre-Atlantique. Quatre ans plus tôt, ils s’étaient offert le président le plus à droite de leur histoire, presque aussi à droite que Xi Jinping en Chine, Vladimir Poutine en Russie, Narendra Modi en Inde, Jair Bolsonaro au Brésil, Rodrigo Duterte aux Philippines ou encore Recep Tayyip Erdogan en Turquie. J’arrête là cette énumération démoralisante.

Revenons à la France. Tous les sondages le disent, toutes les élections le confirment : l’avenir est à la droite. Tout récemment, une grande étude de la Fondation pour l’innovation politique, menée par Victor Delage, affichait la même tendance. 44 % des Italiens déclarent se situer à droite contre 31 % à gauche ; de même chez les Britanniques, où le rapport est de 40 contre 25 ; chez les Allemands, de 36 contre 26, et, en France, de 38 contre 24. À titre de comparaison, lors des législatives de novembre 1946, à l’aube de la IVe République, les partis de gauche français (communistes, socialistes, radicaux) remportaient 57,2 % des suffrages exprimés. Ainsi, sur la période, la gauche a perdu plus de la moitié de ses voix. Le plus étonnant, c’est qu’aucun des survivants ne paraît se demander pourquoi. Essayons de le faire à leur place.

Socialisme, explosion en vol

D’abord et avant tout, à cause de l’explosion en plein vol du socialisme, qui fut la grande affaire du XXe siècle. Au terme de la plus monumentale inversion de sens que l’humanité ait connue depuis deux millénaires, l’eschatologie socialiste, porteuse d’immenses espoirs, a donné naissance aux régimes les plus inhumains qui se puissent imaginer, à une barbarie aussi cruelle et plus sanglante que le nazisme lui-même. Depuis, partout dans le monde, la gauche, fût-elle innocente de ce crime, en fût elle-même la victime, a reculé parce que l’idée socialiste a accouché d’un monstre.

À défaut de persévérer dans le socialisme, la gauche institutionnelle conservait un bel avenir : défendre et promouvoir l’idée républicaine, qui se révélait à l’usage plus solide et antidérapante que l’idée socialiste. Elle se compose tout d’abord de l’humanisme universaliste qui assigne à tous les hommes la même dignité et les mêmes droits : d’où par conséquent le rejet du racisme sous toutes ses formes, et, vis-à-vis des étrangers qui s’installent ici, l’offre sincère de l’assimilation.

C’est ensuite le sentiment, commun à tous les Français, de constituer une seule et même nation, composée de citoyens égaux. C’est aussi la confiance dans le rôle fondamental de l’éducation, qui doit permettre à chacun d’aller jusqu’à la limite de ses possibilités et de donner le meilleur de soi-même : c’est cela, l’excellence républicaine. C’est aussi, en corollaire, la laïcité, c’est-à-dire la séparation du religieux, qui est la pratique de chacun, et du politique, c’est-à-dire le bien commun, dans le respect de toutes les croyances et la neutralité axiologique de l’État. C’est enfin l’idée de justice économique et sociale, c’est-à-dire l’émancipation des travailleurs par le travail lui-même.

Inversions de sens

Aucune de ces idées n’a perdu de son actualité ; bien au contraire, dans le monde un peu désaxé qui a succédé au naufrage du communisme et qui a consacré la victoire de la mondialisation libérale, elles sont plus nécessaires que jamais.

Or, s’agissant de ce patrimoine républicain, on a assisté, de façon incompréhensible, à une autre inversion de sens. C’est ainsi que, dans la France contemporaine, on a vu le plus souvent la gauche renoncer à l’universalisme pour le communautarisme, à la démocratie majoritaire pour les droits-de-l’hommisme minoritaires, à l’antiracisme pour le racialisme, à la laïcité pour l’islamo-gauchisme, à l’émancipation pour l’assistance, à la classe ouvrière pour l’immigration, à l’excellence pour l’égalitarisme, à l’éducation pour le cocooning, à la sécurité pour le rapport de force, au féminisme pour la guerre des sexes, à la fierté pour la repentance, au civisme pour l’insoumission, à la fraternité pour le copinage, et à l’uranium pour la luzerne.

Beaucoup des valeurs fondamentales de la gauche, héritées de l’humanisme chrétien, de la philosophie des Lumières et de l’utopie socialiste se sont retrouvées orphelines, quand elles n’ont pas été récupérées par la droite, qui n’en demandait pas tant. Et l’on se demande ensuite pourquoi la gauche, en trois quarts de siècle, est passée de 57 % d’opinions positives à 25 % aujourd’hui !

Abandon de la laïcité

Certes, il y a des exceptions à ce bilan. Et pourtant, quand on entend quelqu’un faire des réserves sur la laïcité, on peut être aujourd’hui à peu près sûr que l’on a affaire à un homme de gauche, et non, comme jadis, à un homme de droite. Jules Ferry, Georges Clemenceau, Jean Jaurès, devant un tel chassé-croisé, n’en croiraient ni leurs yeux ni leurs oreilles. Et si c’était pour des raisons de gauche qu’une partie du peuple de gauche s’est progressivement tourné vers la droite ? Il y a peut-être là une piste à explorer.

Et comme, depuis la crise du Covid, les gouvernements de droite au pouvoir ont appliqué en matière économique et sociale des recettes de gauche (soutien à la consommation, relance des investissements de la part de l’État), on finit par se demander ce qui reste à la gauche institutionnelle afin de fidéliser sa clientèle : les yeux pour pleurer.

Lisez l’article sur marianne.net.

Commentaires (0)
Commenter

Aucun commentaire.