Dominique Reynié : « La droite doit sortir du modèle social-étatiste »
Carl Meeus, Dominique Reynié | 05 mars 2021
GRAND ENTRETIEN – Pour le directeur général de la Fondation pour l’innovation politique, la droite ne doit pas chercher à parler spécifiquement aux classes populaires à travers des mesures comme le revenu universel, mais proposer un discours sur la mobilité sociale, en s’adressant à tous les Français.
LE FIGARO.- À l’approche de la présidentielle, la droite semble perdue sur la question économique. Comment l’expliquez-vous?
DOMINIQUE REYNIÉ.- René Rémond avait identifié une droite ultra, une droite bonapartiste et une droite orléaniste. Et en effet, si l’on observe la droite de gouvernement, elle semble privée de toute orientation. Elle paraît définitivement alignée sur le modèle social-étatiste de la reconstruction, après 1945. Son caractère administratif, dépensier, notamment dans le domaine social, pourrait faire songer au bonapartisme, mais on ne retrouve pas la volonté réformiste de cette tradition, son ambition industrielle et scientiste. Le modèle social-étatiste a eu sa justification historique au moment de la reconstruction. C’est à cette époque que la droite rompt avec sa tradition orléaniste ou libérale avec laquelle elle ne renouera plus qu’épisodiquement. Ce qui pouvait être une parenthèse est progressivement devenu une habitude. Il faut ajouter que l’élection présidentielle, voulue par les gaullistes, a enraciné cette conception d’un État administrateur, dépensier, clientéliste. Il n’y a pas eu de réflexion de fond sur le rôle de l’État, le rapport à l’économie, les entreprises, l’innovation. Résultat, hégémonique entre 1958 et 1981, la droite est passée au régime de l’alternance jusqu’en 2017 pour se retrouver marginalisée, tiraillée entre une autonomie impossible et la double concurrence d’un hypercentre macroniste et d’un puissant courant populiste. Or, elle voit dans ses défaites le mouvement d’un balancier lui assurant mécaniquement le retour au pouvoir : nous sommes battus, donc nous serons réélus.
Cela ne nécessite donc pas de remise en cause !
Aucune, et si ce n’est pas spécifique à la droite, cette assurance l’a maintenue dans une dépendance au social-étatisme lourde de conséquences, la droite perdant peu à peu ses liens vitaux avec la société civile. La nostalgie du pompidolisme fonctionne comme une évocation de cette époque où la droite était au rythme de la société, en empathie avec les forces créatrices, économiques, culturelles et scientifiques. Trois signes sont révélateurs de ce décrochage sociétal : d’abord, l’émergence, sous François Hollande, de mouvements de petits patrons en révolte, les « pigeons », les « tondus », confrontés au labyrinthe du RSI, à un code du travail décourageant, à une pression fiscale et sociale dissuasives. La droite découvre trop tard tout un monde qui attendait beaucoup d’elle, n’a rien reçu et donc s’est détourné d’elle. Ensuite le «mariage pour tous». La droite aurait pu soutenir la réforme ou s’y opposer clairement. Elle n’a fait véritablement ni l’un ni l’autre. Une partie dominante de la droite s’est certes ralliée à La Manif pour tous, mais elle n’était pas à la manœuvre. Enfin, le monde agricole confronté à des difficultés croissantes s’est aperçu que la droite n’était plus en mesure de le comprendre et encore moins de le défendre, parce qu’elle était désormais soumise à l’hégémonie culturelle d’une France métropolitaine qui ne représente pourtant que 12 % du corps électoral… Les campagnes ont regardé la droite comme une autre gauche, fiscaliste, adepte d’un écologisme réglementaire et punitif. Si l’entreprise, la famille et les campagnes ne forment plus, comme hier, le socle idéologique et social de la droite, il faut désigner un socle alternatif, sauf à prendre le risque de ne plus dépendre que de ses réseaux d’élus et des subsides de l’État.
Quelles sont les sources vives de la pensée de droite?
Pour le moment, elle n’en a plus. Le social-étatisme la condamne à penser la politique en termes de dépense publique, ce qui l’empêche de se tourner franchement vers la création de richesses, l’entreprise, la rémunération du travail et du risque, l’esprit de conquête. On voit mal comment elle pourra éviter cet aggiornamento, car l’horizon de la dépense publique est désormais borné par le poids de la dette. La droite devrait se demander comment refaire de la politique, comment réduire la dépense publique pour régénérer nos richesses économiques, sociales et culturelles. Il est notable de ne plus entendre la droite porter un discours démographique. Peut-on dire qu’il existe encore une droite dans une société qui ne débat pas de démographie ?
C’était le programme de François Fillon pour la présidentielle de 2017 ! Or, il avait commencé à baisser dans les sondages, avant les affaires. Ce projet ne passe pas le premier tour…
Il ne faut pas négliger les effets de la candidature de Nicolas Dupont-Aignan. On peut expliquer l’absence de François Fillon au second tour par cette concurrence. Sans Nicolas Dupont-Aignan, il est raisonnable de penser que Fillon parvenait au second tour malgré les affaires.
Vous suggérez qu’avec son programme libéral, François Fillon ne parlait pas à une partie de l’électorat de droite qui, refusant de voter Marine Le Pen, s’est tourné vers Nicolas Dupont-Aignan?
Absolument. Le recul de François Fillon s’explique par un discours de réformes et de rigueur trop indéterminé. Il donnait à penser que chacun allait en subir les conséquences, au risque de démotiver des électeurs de droite qui redoutaient d’être concernés. Différemment, il pouvait préciser les points sur lesquels allaient porter ces efforts et expliquer les bénéfices collectifs attendus pour rassurer au moins une partie des électeurs hésitants. Mais la candidature de Nicolas Dupont-Aignan est aussi la conséquence de l’absence d’un discours de puissance pour le pays. Depuis 1945, la droite a porté ce thème avec éclat : l’industrie, les sciences et les techniques… En 1974, à la télévision américaine, un journaliste mettait Gerald Ford en difficulté en lui présentant trois objets préfigurant une nouvelle époque : la carte à puce, le minitel et le TGV. Le journaliste faisait remarquer que ces trois inventions étaient françaises, lui demandant si les États-Unis n’étaient pas en train de perdre la bataille de la connaissance et de l’innovation. Ces trois innovations, fruits d’une société conquérante, illustraient une France de droite, enthousiaste, excellant dans le progrès. Tous ces éléments semblent oubliés, abandonnés ou inaudibles.
Augmenter les salaires, regarder vers le revenu universel : une partie de la droite cherche des pistes pour faire revenir l’électorat populaire. Est-ce la bonne solution ?
Portées par certains responsables de droite, des idées de « planification », de « nationalisation », de « revenu universel » ou une hostilité manifestée à l’égard de la 5G illustrent une défaite culturelle d’autant plus étonnante que la France est très majoritairement à droite. Ce n’est pas la société qui doute de ses valeurs de droite, ce sont les partis de droite. De plus, cette vision social-étatiste court le risque d’être dépassée, rendue obsolète par le mur de la dette. Mais si ce n’est pas ainsi que la droite récupérera les classes populaires, c’est parce que la question est formulée dans les termes de la gauche. La droite pourrait proposer un discours sur la mobilité sociale, dire à quelles conditions nos enfants vivront mieux que nous, en associant une ambition en termes de pouvoir d’achat pour les classes populaires et pour les classes moyennes. L’école est un autre grand motif qui permettrait d’associer les classes populaires aux classes moyennes. Or, la droite ne porte plus ce thème alors que la demande sociale n’a jamais été aussi forte.
Comme le fameux « travaillez plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy en 2007…
C’est clairement un thème de droite. Il fait sens dans une France de tradition laborieuse et méritocratique. Les travaux de Christophe Giuily ont marqué la droite, mais en lui insufflant une inspiration de gauche. L’idée de segmentations nouvelles, entre une France périphérique et une France urbaine, appelle l’idée d’une politique de redistribution, mais il s’agit toujours de redistribution et non de création de richesses. Or, la droite pourrait s’adresser aux classes populaires en parlant de pouvoir d’achat, d’école, de liberté et de responsabilité, de puissance et de Nation, c’est-à-dire en inscrivant ces classes populaires dans la communauté globale et dans un mouvement historique.
L’écologie peut-elle être un chemin pour la droite?
Sans doute. Mais on a parfois le sentiment qu’après avoir été subjuguée par le social-étatisme, la droite est attirée par le social-écologisme, pourtant électoralement très minoritaire. Le principe de précaution, intégré à notre Constitution par Jacques Chirac, a été pour la droite une erreur historique : il inhibe l’innovation, bridant l’accès aux sources de la croissance, du progrès et de la souveraineté. Malheureusement, cette rétraction est devenue une doctrine européenne, en particulier dans le domaine des OGM. On en mesure les conséquences aujourd’hui dans la bataille des vaccins et ce n’est pas fini si l’on voit notre retard dans l’édition du génome où nous étions pourtant pionniers. De même, on peut s’étonner de la timidité avec laquelle la droite défend le nucléaire, non seulement parce qu’elle l’a vigoureusement soutenu dans le passé mais parce qu’il est une condition sine qua non de la décarbonation. C’est l’impasse du social-écologisme, car il implique peu ou prou la décroissance. Cela ouvre un espace permettant à la droite de proposer sa propre doctrine, celle d’un écologisme mobilisateur, fait d’innovations techniques et scientifiques, de croissance économique décarbonée. Si la solution devait être la décroissance, ou même la sobriété, ne doutez pas que le réchauffement politique prendra le pas sur le réchauffement climatique ! La victoire des partis protestataires est une possibilité inscrite dans un horizon de court terme. Le social-écologisme est en passe de devenir un supplice pour les Français, et un supplice inutile : nous sommes déjà l’un des pays les plus vertueux, nous ne représentons que 0,8 % des émissions de gaz à effet de serre. On ne sauvera pas la planète en éteignant la France !
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