Dominique Reynié: « LR et le PS sont devenus paresseux, insensibles aux changements historiques et aux évolutions de la société »

Dominique Reynié, Isabelle de Gaulmyn | 24 mars 2023

ENTRETIEN - Pour le politologue Dominique Reynié, le vote de la réforme des retraites a accéléré la décomposition du paysage politique français. Les Républicains notamment se trouvent écartelés entre plusieurs tendances, sans « avenir en dehors du macronisme » alors que le pays penche majoritairement à droite.

La Croix : Après la séquence du vote de la réforme des retraites, comment voyez-vous la situation politique pour la droite, en particulier le parti Les Républicains ?

Dominique Reynié : L’état de la droite est paradoxal. D’un côté, elle est largement majoritaire en France dans l’opinion publique, que les enquêtes de la Fondapol estiment à 58 %. C’est d’ailleurs le score moyen du total des candidats de droite au premier tour de l’élection présidentielle depuis 1965. Cette droite était entre les mains d’un parti gaulliste avec ses alliés libéraux. L’apparition et surtout la montée du Front national ont modifié la donne. La droite néogaulliste et ses alliés héritiers de l’UDF sont en train de se décomposer. Sans doctrine, sans leader, dépourvue de cette puissance d’organisation qui permet de participer aux élections avec des chances de succès. La droite de gouvernement est plus concurrencée que jamais par la droite populiste. L’affirmation de Jordan Bardella, expliquant que « chez LR, il y a ceux qui se sentent proches de Macron et ceux qui se sentent proches de nous », n’est pas sans fondement. Aujourd’hui, on se demande ce que signifie d’être proche des LR pour un élu. On a le sentiment qu’ils ont perdu leur boussole…

Quels sont les symptômes de cet « égarement » ?

D. R. : La droite LR n’est même plus d’accord sur son programme historique ! Le coup de grâce est venu du vote de la motion de censure contre la réforme des retraites : 19 députés LR ont tout de même voté contre leur propre programme… La réforme des retraites motivée par la recherche de l’équilibre budgétaire est un marqueur de la droite LR. Or, non seulement un tiers de ses députés ont voté contre, en soutenant la motion de censure, mais ils l’ont fait en votant avec les Insoumis et le RN…

Comment expliquer cette sorte de suicide politique ?

D. R. : En réalité, tout cela a commencé par l’effondrement du système politique en 2016, sous l’effet de la poussée du FN d’un côté et, de l’autre, de l’incapacité des grands partis, à droite comme à gauche, à organiser des primaires salvatrices. On ne peut reprocher à Emmanuel Macron d’avoir tiré profit de cet effondrement. Le problème, c’est que la droite républicaine, au fond, n’a jamais voulu prendre au sérieux le risque de sa disparition. Elle a cru au retour d’un monde familier, au retour du clivage droite-gauche, du traditionnel bipartisme. Elle est restée convaincue du retour de cette forme de « rente électorale » qu’elle se partageait avec le PS.

Le mouvement LR semble incapable d’obtenir une discipline interne.

D. R. : Les 19 parlementaires ont désobéi à un parti qui réclame de l’autorité. Ils ont tenté de censurer une réforme qui figurait dans le programme de gouvernement de leur parti, ils ont vainement voté une motion de censure en mêlant leurs voix à celles de LFI, du RN, du PS et des écologistes, soit l’ensemble de leurs adversaires… Cela n’a aucun sens. Ces députés ont sans doute eu le sentiment qu’ils ne devaient qu’à eux-mêmes leur élection à l’Assemblée nationale. Ils estiment que le parti est trop faible, qu’ils ne lui doivent donc rien, que leur élection ou réélection n’est que le résultat de leurs talents. Péché d’orgueil. Et puis, ils restent secrètement admiratifs de l’élection extraordinaire de 2017, comment le secrétaire général adjoint de Hollande, Emmanuel Macron, est parvenu à lui succéder en profitant de la déliquescence du système. Depuis, beaucoup d’élus rêvent de réitérer un tel coup. Pourtant, en réalité, aujourd’hui, LR n’a pas d’avenir en dehors du macronisme, sinon le lepénisme. Ses élus ne sont plus assez nombreux pour être indépendants. Et d’autant moins qu’ils sont aussi profondément divisés.

Peut-on comparer avec la situation de la gauche ?

D. R. : On peut établir un parallèle entre Les Républicains d’une part, le Parti socialiste de l’autre. L’une des raisons de l’effondrement de l’un est l’effondrement de l’autre. Il y avait une forme de « cartellisation » de la vie politique au bénéfice de ces deux partis, qui avaient établi un système très favorable pour eux en se réservant la plus grande partie du financement public : ils vivaient sur cette rente électorale et financière. Comme beaucoup de rentiers, l’un et l’autre sont devenus plus paresseux, insensibles aux changements historiques et aux évolutions de la société. La droite n’a pas vu La Manif pour tous ni tous les mouvements contre la fiscalité de l’État, comme celui des « pigeons », portés par des petits entrepreneurs. De même, le PS n’a pas vu venir Nuit debout ou les « bonnets rouges ».

Au fond, n’est-ce pas le macronisme qui a remplacé la droite ?

D. R. : Le macronisme représente, par certains côtés, une droite patrimoniale, une France qu’inquiètent les troubles publics, une droite favorable à la réforme des retraites. Cependant, Macron n’est pas un « homme de droite ». Il porte un libéralisme sociétal, ce qui n’est pas un marqueur de la droite. De même, l’aisance de Macron dans un monde globalisé peut satisfaire une petite élite, mais provoque la suspicion de la droite populaire. Enfin, il reste trop peu sensible à l’importance de sujets comme l’immigration ou les enjeux d’identité nationale.

À plus long terme, comment voyez-vous la situation politique actuelle ?

D. R. : Je suis inquiet. Il n’y a plus de commun politique, c’est pour chacun un repli sur « le monde à soi ». Certes, dans la vie parlementaire, il y a eu dans le passé des moments aussi agités, voire plus violents, si l’on pense à février 1934, mai 1968, etc. Mais à ces moments, les personnes qui manifestaient avaient en tête un autre système à construire. Là, ce n’est plus le cas. Cette violence me semble l’annonce d’une époque douloureuse, faute de majorité possible désormais dans un paysage extrêmement parcellisé. Les réformes ne passeront qu’au forceps, et elles ne seront pas agréables, au regard de notre dette et de notre déficit. En juin 2022, nous avons cru ou espéré que l’heure du parlementarisme était arrivée, avec une Assemblée nationale sans majorité absolue. On pouvait croire venu le temps des coalitions et des compromis. La vérité, c’est que nous en sommes incapables. Ni la droite LR ni la gauche PS n’ont montré leurs capacités à bâtir des compromis. Et les macronistes n’ont pas été très habiles. Si le sentiment d’un échec du parlementarisme devait s’installer dans l’opinion, ce serait évidemment favorable à une demande d’autoritarisme et de pouvoir personnel.

 

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