Dominique Reynié: « Pour espérer gagner, Valérie Pécresse doit restaurer une droite de conviction et de fermeté »

Dominique Reynié, Eugénie Bastié | 06 décembre 2021

Alors que LR vient de désigner sa candidate pour 2022, le directeur général de la Fondation pour l'innovation politique analyse les défis qui l'attendent. Elle devra tenir compte de la droitisation continue d'un électorat où la composante populiste est devenue majoritaire.

La droite vient enfin de désigner son candidat à la présidentielle. Comment avez-vous jugé cette « primaire » fermée par rapport à 2017 ?

Il faut d’abord faire un constat : malgré les difficultés auxquelles ils sont confrontés depuis 2017, malgré une procédure décidée tardivement et mise en route in extremis , les LR ont su désigner un candidat au terme d’une série de quatre débats honorables. EELV et les LR sont les seuls à avoir pris le risque de la primaire. De plus, ils l’ont fait en contraignant au retour deux grands élus qui les avaient quittés en 2017, Xavier Bertrand et Valérie Pécresse. Les débats ont pu paraître répétitifs et manquer de souffle ou de vision, mais ils ont permis l’émergence de quelques lignes de force, notamment la combinaison d’une sorte de libéralisme avec l’affirmation du pouvoir régalien, dans la volonté de valoriser le travail, de réduire la pression fiscale, de réformer l’État et d’affirmer l’autorité publique.

Alors que la candidate du PS Anne Hidalgo patine dans les sondages, la droite LR semble avoir survécu à la recomposition macronienne. Comment expliquer cette résilience ?

Parce que la France de droite est majoritaire et qu’Emmanuel Macron ne peut pas entièrement répondre à ses attentes dans la mesure où il est retenu par la composante de gauche de son électorat. Or, si la gauche est en si grande difficulté, c’est parce qu’elle n’a pas voulu prendre en charge les thèmes qui préoccupent les Français en général et les classes populaires en particulier. Je ne songe pas seulement aux attentes en matière de sécurité, d’immigration ou de lutte contre l’islamisme, mais aussi à cette conversion des gauches à un écologisme proposant aux classes populaires la décroissance ou les invitant à la sobriété. C’est cette mutation de la gauche jointe aux limites imposées au macronisme par son socle électoral qui a permis à la droite de ne jamais être tout à fait démunie au cours de ce quinquennat, et en particulier de parvenir à développer la thèse d’un laxisme sur le plan régalien.

La droite peut-elle gagner la présidentielle ? À quelles conditions ?

Elle doit lire attentivement les données électorales. Aussi curieux que cela puisse paraître, la classe politique, ses leaders et nombre de commentateurs, ne semblent pas avoir considéré les préférences exprimées par les Français lors des élections présidentielles.

Dix élections présidentielles ont eu lieu depuis 1965. Si nous observons le premier tour, on peut retenir cinq enseignements fondamentaux. Premier enseignement, le total des suffrages se portant sur les candidats de droite montre que la droite n’a été minoritaire qu’une seule fois, en 1981 (49,2%). Au premier tour de l’élection présidentielle, la France de droite atteint la majorité absolue en 1965, 1969, 1974, 1988, 1995, 2002, 2007, 2012 et en 2017, où la majorité est relative puisque, dans ce cas, les électeurs de droite et ceux de gauche qui ont voté pour Emmanuel Macron ne peuvent être comptabilisés ni à droite ni à gauche. Deuxième enseignement, le score moyen des droites au premier tour de l’élection présidentielle est de 56,7 % – c’est d’ailleurs le chiffre auquel aboutit l’indicateur de la Fondation pour l’innovation politique qui évalue la disponibilité électorale des Français en 2022. Troisième enseignement, la droite de la droite, une droite populiste alliant protestation, souverainisme et « appel au peuple », cette droite est en forte progression depuis 1988. Elle parvient au second tour à deux reprises, en 2002 (17,8 %) et en 2017 (33,9 %), doublant son score. Entre 1965 et 2017, le total des voix en faveur des candidats de la droite populiste, dominée par Le Pen père et fille représente un score moyen de 14,9 % des suffrages exprimés. Quatrième enseignement, la part de la droite populiste dans les votes de droite augmente fortement, jusqu’à devenir majoritaire. Lors des élections présidentielles où la droite de gouvernement et la droite populiste sont en compétition, c’est-à-dire toutes à l’exception de 1969 et de 1981, la droite populiste représente en moyenne plus d’un quart (27,2 %) du total des votes de droite. Mais cette proportion augmente depuis le début des années 1990. En effet, les votes en faveur de la droite populiste atteignent 33,7 % du vote de droite en 1995, puis 34,8 % en 2002 et 35,8 % en 2012. En 2017, le total de la droite populiste (27,1 %) représente 56 % de tous les votes de droite et devient majoritaire au sein du vote de droite. C’est une première lors d’une élection présidentielle et une situation inédite depuis 1945. Cinquième enseignement, la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007 résulte de la combinaison d’un recul de la droite populiste (12,7 %) et d’une poussée des votes de droite dont le total atteint 63,6 % des suffrages exprimés. Il s’agit de la troisième meilleure performance électorale des droites après 1965 (65,4 %) et 1969 (67,8 %).

Que faut-il en conclure ?

La droitisation du corps électoral possède deux dimensions. D’abord, on relève la domination du vote de droite, qui implique logiquement la faiblesse électorale de la gauche ; ensuite, à l’exception de 2007, la droite populiste progresse jusqu’à l’emporter sur la droite de gouvernement en 2017. La première conséquence de cette nouvelle situation est de priver la droite de gouvernement de l’accès au second tour si les deux droites demeurent en concurrence. La seconde conséquence est donc de rendre impossible la victoire des droites, pourtant majoritaires, dans la mesure où l’élection à la présidence de la République d’une candidature au profil populiste est jugée impossible, sauf changement dans l’opinion. Or, aujourd’hui, en attendant les nouvelles enquêtes par sondages, la droite est majoritaire au premier tour tandis que sa composante populiste et souverainiste, de Zemmour à Le Pen en passant par Dupont-Aignan, représente autour de 35% des intentions de vote, soit 70% du total des intentions de vote de droite. Valérie Pécresse ne pourra emporter la présidentielle ni même parvenir au second tour si elle ne tire pas les leçons de cette nouvelle réalité électorale, c’est-à-dire si elle échoue à convaincre sur les enjeux régaliens. L’ignorer lui serait d’autant plus fatal que la progression de la droite populiste au sein des votes de droite est largement due à la déception produite par les partis de gouvernement, le PS et les LR, que de nombreux électeurs ne considèrent plus capables de mener une action gouvernementale fidèle aux promesses de campagne.

Entre Zemmour, Le Pen et un Macron droitisé, quel peut être l’espace politique de la droite ? Comment et sur quels thèmes se distinguer ?

La droite française s’est souvent vue reprochée par ses électeurs de ressembler à la gauche, de ne pas être de droite. Si elle ne rompt pas avec cette ressemblance, en particulier si elle ne rompt pas avec un registre jugé laxiste en matière de sécurité et d’immigration, elle abondera les transferts électoraux au profit de la droite populiste qui dominait déjà la droite en 2017 et qui est désormais dotée, avec Éric Zemmour, d’un nouveau candidat potentiellement performant. C’est dans ce contexte que les adhérents LR ont placé Éric Ciotti en tête du premier tour de leur primaire. Pendant les débats, il a porté un programme singulier, associant la baisse de la pression fiscale, la réforme de l’État et des engagements en matière de sécurité, d’immigration et de lutte contre l’islamisme. Valérie Pécresse doit sa victoire au fait qu’elle s’est inscrite dans une ligne comparable, quoique moins appuyée. Le succès de sa candidature dépendra donc largement de la capacité à porter ces problèmes régaliens qui préoccupent tant nos concitoyens, en présentant des réponses alliant fermeté, précision et crédibilité afin de convaincre des électeurs auxquels on a beaucoup promis et qui sont a priori sceptiques.

Le meeting d’Éric Zemmour semble avoir ravivé sa campagne. Valérie Pécresse doit-elle redouter cet adversaire ?

Les électeurs diront quel destin ils veulent réserver à la candidature d’Éric Zemmour, mais on peut d’ores et déjà noter certains de ses effets. En premier lieu, il vient d’installer dans le débat le programme d’une fusion des droites, soit la formule arithmétiquement majoritaire. C’est la remise en cause de « l’interdit » posé depuis le milieu des années 1980. Ensuite, Zemmour rejette les conventions et les normes qui règlent le discours politique depuis quarante ans, ce que l’on nomme communément « le politiquement correct » longtemps favorable à la gauche. Enfin, par son usage des références historiques, littéraires et culturelles, mais surtout par sa rhétorique qui paraît ignorer le mode de séduction électoraliste, il prend de court l’ensemble de la classe politique. Or, ces traits attachés au style Zemmour sont particulièrement bien reçus par un public de droite. C’est une forme de classicisme. Il est donc certain que Valérie Pécresse va devoir tenir compte de ces éléments dans la définition de sa stratégie et en particulier de son style de discours. En réalité, il en va de même pour tous les candidats.

De plus en plus de manifestations antifascistes viennent troubler les déplacements du candidat Zemmour. Cela pose-t-il un problème démocratique ?

Oui, et la situation est en passe de dégénérer. Il ne faudrait pas que le déclin électoral des gauches conduise ses sympathisants à déserter la scène démocratique pour investir la confrontation pure et simple. Les motivations ne trompent pas. Il s’agit bien d’une dérive autoritaire d’une partie de la gauche. De fait, c’est de la gauche que viennent les destructeurs de plants OGM pourtant autorisés, les activistes animalistes, les zadistes ou les black blocks. C’est encore de la gauche que viennent ces minorités qui tentent d’imposer la censure dans les universités, qui se permettent d’empêcher la venue d’un conférencier, qui s’opposent à la tenue d’un débat. Mais, depuis quelque temps, il s’agit d’empêcher un candidat à l’élection présidentielle de faire campagne, d’interdire ses meetings, au nom du fait que l’on ne partage pas ses idées. Malheureusement, des élus se trouvent aussi impliqués dans cette contestation des règles démocratiques, des élus de LFI, mais aussi du PCF et même du PS. J’ai déjà signalé dans ces colonnes que nous nous engagions dans un processus inquiétant de «désinstitutionnalisation». Abstention, violence et appels à la censure témoignent de l’affaiblissement du rôle de l’élection dans la régulation de nos conflits et de nos désaccords. Nous sommes sur le chemin de la confrontation violente. Les mêmes, censeurs et activistes, ne pourront s’étonner ensuite de voir croître davantage encore la demande d’ordre public, ce qui profitera principalement à la droite.

La vidéo d’entrée en campagne d’Éric Zemmour a été interdite aux mineurs sur Youtube. Que vous inspire cette limitation de la liberté d’expression par les GAFAM ?

Voilà bien ce qui devrait mobiliser l’extrême gauche. Curieusement, elle n’en a cure. Pourtant, la numérisation des espaces publics fait surgir la menace de tyrannies transnationales privées. C’est l’un des grands défis auxquels sont confrontées nos démocraties. Nos opinions, nos débats, nos médias sont désormais placés sous l’autorité d’entreprises capables de souveraineté dans le monde numérique, ce qui n’est plus tout à fait le cas des États démocratiques. Notre corpus législatif, nos institutions, nos traditions politiques ne suffisent plus à garantir notre liberté d’opinion. Les normes édictées pour des raisons qui leur sont propres par des entreprises étrangères prennent peu à peu la place de lois votées par nos assemblées élues. Par naïveté, ignorance ou intérêt, ces entreprises ont abandonné toute neutralité. Elles assument des préférences politiques et morales, elles aspirent à un certain type de société à l’avènement duquel elles œuvrent sans avoir besoin ni de débats ni de nos suffrages. Leur pouvoir procède de leur position monopolistique, de leurs algorithmes, tenus secrets, de l’accumulation de formidables quantités de données et d’argent. Nos libertés pourraient ne pas survivre à ce nouvel ordre moral global.

Lire l’article sur lefigaro.fr.

Dominique Reynié (dir.), 2022, le risque populiste en France (vague 5), (Fondation pour l’innovation politique, octobre 2021).

Commentaires (1)
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MK 3 ans

Tout d’horizon remarquable du paysage politique. Je n’ai qu’un doute : si Eric Zemmour est caractérisé « par son usage des références historiques, littéraires et culturelles, mais surtout par sa rhétorique qui paraît ignorer le mode de séduction électoraliste », faut-il le mettre dans la catégorie des « populistes ». Souverainisme, sans aucun doute, mais populiste ? N’est-ce pas le moment de revoir la définition des trois Droites de René Rémond ?