Écologie : « C’est des entreprises, pas des préfectures que viendront les solutions ! »

Frédéric Masquelier | 10 juin 2023

Contrepoints interroge Frédéric Masquelier, maire de Saint-Raphaël et co-auteur avec David Lisnard (maire de Cannes) d’une étude pour la Fondapol intitulée De la transition écologique à l’écologie administrée, une dérive politique.

Contrepoints : Dans votre étude pour la Fondapol, vous notez que les politiques écologiques sont victimes d’une hyper-bureaucratisation ? Qu’entendez-vous par cette expression, et comment expliquez-vous ce phénomène ?

Frédéric Masquelier : L’écologie, comme de nombreux autres secteurs, est frappée par la bureaucratisation de la société. Cela veut dire que les décisions échappent le plus souvent aux élus au profit des experts dans le cadre de bureaux à qui on attribue des compétences, des prérogatives, et la capacité de donner des autorisations.

Ce qui amène à être constamment dans des processus d’autorisations préalables, avec tous les maux bien connus de la bureaucratie, c’est-à-dire la lenteur, le cloisonnement et une distance absolue avec toute considération financière.

Concrètement, cela signifie par exemple que des projets aussi simples que des dispositifs de lutte contre les inondations prennent des années avant de pouvoir être mis en œuvre. Les dispositifs de réutilisation des eaux usées, qui permettraient de laver les rues avec de l’eau usée et retraitée plutôt que de l’eau potable, sont également très longs et complexes à mettre en place. Et ceci sans qu’il y ait même de responsables identifiés. C’est ce que j’appelle la bureaucratisation de l’écologie.

Contrepoints : Est-ce une spécificité française ?

Frédéric Masquelier :La bureaucratie est un phénomène mondial. La Chine par exemple, est une dictature bureaucratique au sens le plus pur du terme. Donc, malheureusement, on constate ce phénomène de bureaucratisation partout, même si elle se fait à des degrés différents.

En France néanmoins, on s’aperçoit qu’on a des ratios de bureaux administratifs et de tâches administratives qui sont très importants, car on a une culture de la précaution, de la prévention, de la réglementation, de la législation qui est bien supérieure à ce que l’on peut retrouver dans les autres États européens.

C’est sûrement aussi dû à une espèce d’obsession de l’égalité et de la légalité, qui fait que tout doit passer sous les fourches caudines de l’administration. C’est un mal français, comme disait Alain Peyrefitte !

Contrepoints : Vous faites mention des dangers des outils numériques et de l’IA, qui sont à la fois des alliés précieux pour résoudre certaines problématiques environnementales, et en même temps des outils très dangereux lorsqu’ils sont dans les mains de la bureaucratie.

Frédéric Masquelier : Tout à fait. On a connu la bureaucratie inefficace, on entre maintenant dans l’air de la bureaucratie efficace car automatisée.

Si on donne aux titulaires d’un pouvoir de contrôle et de surveillance des outils qui peuvent les rendre extrêmement efficaces, hé bien ça risque d’être très attentatoire à la liberté.

Nos amis Chinois nous donnent à peu près ce qui peut se faire de pire dans le domaine, avec le contrôle social et des outils d’intelligence artificielle qui sont beaucoup plus développés là-bas. Ils ont un maillage et un encadrement de la société qui peuvent être très stricts et extrêmement efficaces, mais qui se font au prix des libertés fondamentales. Ce sujet mériterait d’être davantage porté dans le débat public en France, car le danger est réel.

Contrepoints : Dans votre étude, vous pointez du doigt le fait que la bureaucratisation soit devenue le bras armé de l’écologie politique. Qu’est-ce que cela signifie ? Comment ça se manifeste concrètement ?

Frédéric Masquelier : Je dirais qu’il y a une espèce de tendance à céder à toutes les revendications, y compris les plus radicales, sous peine de passer pour un écolo-sceptique, et d’aller à l’encontre de l’air du temps.

Je me désole qu’il n’y ait pas eu de grand débat public sur ces sujets, et en particulier sur la question de la conciliation des libertés, de l’efficacité économique et de la préservation de nos matières premières, de nos ressources, et de l’écologie en général. Tout le monde s’accorde sur la nécessité de préserver notre environnement, mais il faut maintenant discuter des moyens à employer !

Et sur ce point, il y a une tendance à céder aux plus extrêmes, avec pour conséquences des grignotages permanents sur nos libertés, sans toujours une grande rigueur scientifique quand il y a une contrainte écologique. Or, il faut être très prudent sur les mesures restrictives de nos libertés, car quand on perd une liberté, il est rare qu’on la retrouve.

Contrepoints : Vous insistez sur la nécessité de repolitiser les enjeux écologiques. Vous dites que l’écologie doit redevenir un objet de débat. Vous venez de mentionner l’idée selon laquelle il est très difficile aujourd’hui dans le débat public de tenir un propos qui sorte un peu des discours convenus sur l’écologie. Comment réinsérer cette politisation de l’écologie, qui est un domaine qui contient des aspects scientifiques et normatifs qui parfois se mélangent et se confondent ?

Frédéric Masquelier : Déjà, en l’évoquant, en donnant une alternative. Quand on parle avec des scientifiques, on s’aperçoit que tous les sujets ne font pas l’unanimité et que plusieurs voies sont possibles ; que l’arme de la réglementation permanente n’est pas forcément celle qui doit s’imposer, que la restriction à la liberté n’est pas automatique, que le doux voile des théories de la décroissance qu’est la sobriété n’est pas forcément une solution… On peut opposer à cela l’adaptation, la capacité d’innovation !

On s’aperçoit aujourd’hui que des concepts extrêmement politiques guident les politiques écologiques. Je pense par exemple au concept de solidarité : « jusqu’où doit être poussée la solidarité ? » est une question politique ! Mais cela ne permet pas de répondre à des questions pratiques.

En réalité, la question essentielle est la suivante : est-ce efficace ?

Cela pose des questions qui devraient être l’objet d’un débat public, et à propos desquelles je constate que nous avons finalement très peu d’échanges. Sur le concept de sobriété, on a eu très peu de débats. Tout le monde le prend comme si c’était une évidence ! Mais ici, on confond sobriété et bonne gestion des ressources.

Contrepoints : Ce que vous dites ici me fait penser au fait que toutes les solutions par le marché sont par définition exclues par l’écologie politique. Comment imaginez-vous cette débureaucratisation que vous appelez de vos vœux ? Contre cette écologie centralisée et planificatrice, vous opposez plutôt une écologie citoyenne, décentralisée, libérale. Pourriez-vous tracer les grandes lignes d’un tel programme ?

Frédéric Masquelier :Je crois d’abord qu’il faut sortir de la morale et de l’égalitarisme, qui sont deux maux bureaucratiques. À partir du moment où l’administration a la conviction d’avoir raison, on retrouve la formule de Montesquieu selon laquelle « c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ». Il faut donc limiter ce pouvoir bureaucratique.

On a effectivement une réflexion globale sur le fonctionnement de l’État qui ne doit pas se limiter à des questions budgétaires, comme ça a été le cas jusqu’à présent.

Mais je pense qu’il faut surtout faire confiance à l’innovation, et donc au marché. Car c’est des entreprises, pas des préfectures que viendront les solutions à des problèmes très concrets. On constate que nos difficultés résultent souvent de choix politiques malavisés ; je pense par exemple à la question nucléaire qui est la source de nos problèmes énergétiques aujourd’hui.

Donc sur ce sujet-là, le contrôle citoyen doit être plus important, et pas seulement confié à une minorité de militants écologistes.

Et enfin, il existe, je crois, un problème de culture scientifique qui est trop absente de l’enseignement scolaire.

Retrouvez l’entretien sue contrepoints.fr

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