En Allemagne et en France, les nouveaux visages de l'antisémitisme
Hans Lucas | 11 mai 2022
Une étude révèle que les minorités musulmanes constituent en Allemagne comme en France les segments de population les plus poreux aux idées antisémites.
En Allemagne comme en France, l’antisémitisme persiste et n’est plus l’apanage de l’extrême droite. Voilà le principal enseignement d’une enquête intitulée « L’antisémitisme dans l’opinion publique française et allemande », menée par l’American Jewish Comittee, la Fondation pour l’innovation politique et l’Ifop. Si en France, des études sont menées depuis 2014 par les mêmes auteurs, une telle démarche est une première en Allemagne. Pour Simone Rodan Benzaquen, directrice d’AJC Europe, « les minorités musulmanes constituent dans les deux pays les segments de population les plus poreux aux idées antisémites ». Cette nouvelle donnée constituerait, selon elle, une « prise de conscience que l’antisémitisme a changé en Allemagne ». Dans le même temps, la ministre allemande de l’Intérieur, Nancy Faeser, a déclaré être « très préoccupée par l’augmentation massive du nombre de crimes antisémites de 29 % », pointant « un antisémitisme islamiste de plus en plus fort et visible, qui promeut ouvertement la haine envers les Juifs et contre l’État d’Israël ». Même si 84 % des actes criminels antisémites restent classés à l’extrême droite dans le pays.
En Allemagne, près d’un quart des résidents de confession musulmane reconnaissent éprouver de l’antipathie pour les Juifs, soit un niveau encore plus important que celui enregistré auprès des musulmans vivant en France (15 %). A peine 39 % des musulmans estiment que les Juifs sont injustement accusés quand les choses vont mal (contre 60 % pour l’ensemble des Allemands). 33 % pensent que « les Juifs sont responsables de nombreuses crises économiques (contre 11 % dans le reste de la population). Et 49 % valident l’idée que les Juifs auraient trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance (contre 23 % dans le reste de la population).
Fréquentation des mosquées
Selon l’étude, l’adhésion aux préjugés croit avec la fréquentation des mosquées, avec des niveaux records observés parmi les musulmans les plus pratiquants. Dans les deux pays, les idées antisémites apparaissent ainsi corrélées à la pratique religieuse, avec des niveaux d’antipathie qui culminent parmi les pratiquants réguliers (31 % en Allemagne, 27 % en France). « Se pose la question de savoir si la religiosité accentue le risque d’antisémitisme ou si cela tient à la fréquentation des mosquées comme lieux de socialisation », explique Simone Rodan Benzaquen, sans pouvoir trancher.
En Allemagne, l’antipathie pour les Juifs culmine parmi les musulmans peu diplômés (33 %) et avec des bas revenus (28 %), mais reste à un niveau élevé y compris parmi ceux qui sont les plus éduqués (18 %) et riches (20 %). Si la radiographie de l’antisémitisme a cette année montré que les musulmans français les plus jeunes étaient moins enclins à adhérer aux préjugés antisémites, en Allemagne, les niveaux d’adhésion sont globalement les mêmes quel que soit l’âge de la personne interrogée.
L’antisémitisme n’est pas l’apanage des nouveaux arrivants issus de pays frontaliers à Israël, qui pourraient vouloir s’opposer à la politique étrangère allemande, favorable à Israël depuis plusieurs décennies. Reste que les Allemands de confession protestante ou catholique ne sont pas plus réceptifs que l’ensemble de la population aux préjugés à l’égard des Juifs.
Le spectre d’un « nouvel antisémitisme »
Si l’adhésion à des opinions antisémites ne sous-tend pas nécessairement un passage à l’acte violent, la question de l’émergence d’un « nouvel antisémitisme » se pose de manière de plus en plus forte en Allemagne, et de façon similaire à ce qu’a pu connaître la France depuis les années 2000. Chez nous, la quasi-totalité des assassinats commis contre des Juifs français peuvent être attribués à des terroristes ou meurtriers islamistes, comme l’attaque de l’école juive de Toulouse par Mohammed Merah, la tuerie de l’Hypercasher par Amedy Coulibaly, la séquestration d’Ilan Halimi par le gang des barbares, ou même les homicides de Mireille Knoll et Sarah Halimi.
Ceci explique sans doute pourquoi les Français, quand on les interroge sur les causes de l’antisémitisme, invoquent en premier lieu le rejet d’Israël (30 %) et les idées islamistes (27 %), devant l’extrême droite (20 %), le complotisme (17 %) et les idées d’extrême gauche (5 %). Les Français identifient donc les nouvelles formes d’antisémitisme, là où en Allemagne, les idées d’extrême droite sont la première raison évoquée (43 %), loin devant le rejet d’Israël (21 %), le complotisme (17 %), les idées islamistes (16 %) et les idées d’extrême gauche (3 %). « Le poids historique de l’antisémitisme d’extrême droite en Allemagne contribue probablement à ce que cette cause y soit citée en premier », analyse le co-auteur de l’étude François Legrand.
L’extrême droite, toujours imprégnée de préjugés antisémites
L’extrême droite reste tout de même un segment de la population particulièrement imprégné par les préjugés antisémites, en France comme Allemagne. Même si cette proportion se retrouve plus clairement chez les sympathisants de l’AfD, qui sont par exemple 39 % à considérer que les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance, contre 23 % de l’ensemble de la population allemande. En France, l’écart entre l’ensemble de la population française et les sympathisants RN est moins frappant. Au sein des deux échantillons, 57 % estiment ainsi que les Juifs sont injustement attaqués quand les choses vont mal.
Inversement, les préjugés contre les musulmans semblent de plus en plus constitutifs de l’extrême droite dans les deux pays. 62 % des Allemands proches de l’AfD disent éprouver de l’antipathie envers les musulmans, soit un écart de 31 points par rapport à l’ensemble de l’échantillon. En France, la différence entre le niveau enregistré auprès des sympathisants RN (47 %) et l’ensemble de la population (21 %) est de 26 points.
En dépit des préjugés qui persistent au sein de la population, et du sentiment pour 64 % des citoyens français comme allemands que le phénomène est en recrudescence depuis une dizaine d’années, les Juifs demeurent une des minorités les mieux perçues dans les deux pays. « La proportion d’individus éprouvant de l’antipathie pour les Juifs se situe à un niveau historiquement bas dans les deux pays » analyse François Legrand. Mais alors que l’Allemagne a accueilli depuis 2015 plus d’un million de réfugiés en provenance de pays musulmans, il prévient que ce pays devra « réussir le défi de l’intégration », sous peine de « connaître une trajectoire semblable à celle connue par la France, vingt ans plus tôt. »
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