Immigration: Alger dénonce officieusement le mercantilisme électoral des droites françaises
Pascal Airault | 07 juin 2023
Une source proche du pouvoir à Alger : « Nous n’avions pas besoin qu’Edouard Philippe surfe sur la vague migratoire en pointant l’Algérie, d’autant qu’il jouissait plutôt d’une bonne image dans notre pays. Il avait accueilli Abdelmadjid Tebboune à Paris en 2017 lorsque ce dernier occupait, comme lui, le poste de Premier ministre »
Pas sûr que la cote de popularité d’Edouard Philippe auprès des dirigeants algériens ne résiste à sa dernière sortie. L’ancien Premier ministre évoque dans une interview à l’Express une « immigration [ndlr algérienne] du fait accompli » et réclame la dénonciation unilatérale du traité franco-algérien de 1968. Il emboîte ainsi les pas de Xavier Driencourt, ambassadeur de France en Algérie entre 2008 et 2012, puis de 2017 à 2020, devenu pour le Palais d’El Mouradia le nouveau poil à gratter dans la relation bilatérale.
Depuis son départ d’Alger, le diplomate a commis un livre L’énigme algérienne dans lequel il pointe le manque de coopération de son ancien pays de résidence dans la lutte contre l’immigration. Et sa dernière note publiée par la Fondation pour l’innovation politique Politique migratoire : que faire de l’accord franco-algérien de 1968 ? a amené plusieurs personnalités françaises à faire sienne sa position de dénonciation, puis de révision de ce texte. Edouard Philippe l’a aussi fait, reprenant une revendication ancienne des droites françaises. Il critique un statut dérogatoire au droit commun en matière de circulation, de séjour et de travail en France.
Une sortie qui ne laisse pas indifférent tant la classe politique française que notre voisin et partenaire. « Nous avons toujours été opposés à cet accord, confirme Louis Aliot, vice-président du Rassemblement national. Il est défavorable à notre pays et profitable à l’Algérie. Pourquoi les Algériens bénéficieraient-ils de privilèges particuliers par rapport aux ressortissants des autres nationalités ? Entre 10 et 13 millions d’Algériens et descendants vivent sur notre territoire, ce qui a des conséquences sur la politique intérieure, la gestion des territoires, les questions locales. Nous devons dénoncer et renégocier ce texte. Cela demande du courage politique. » Au Rassemblement national, Xavier Driencourt est qualifié de diplomate courageux qui a osé remettre le débat sur la table. L’année dernière, le diplomate a été consulté par Marine Le Pen et Jordan Bardella sur la relation franco-algérienne, notamment cette sensible question migratoire.
Dénonciation. Manuel Valls partage aussi le fond de la pensée de Driencourt. « Les relations avec l’Algérie sont compliquées, confie l’ex-Premier ministre socialiste. On voit bien qu’il y a un problème de gestion des flux migratoires avec des arrivées qui proviennent de plus en plus du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest. Une dénonciation me paraît incontournable même s’il faut traiter ce sujet avec intelligence du fait du poids de l’histoire franco-algérienne. Mais il faut tout remettre à plat dans le cadre des discussions que l’on aura à l’automne au Parlement et dans le cadre du Pacte asile et migration au sein de l’Union européenne. Longtemps, le débat a été piégé, car il a été le fonds de commerce de l’extrême droite depuis l’élection municipale de Dreux en 1983 ».
A gauche de l’échiquier, personne d’autre ne semble dénoncer publiquement cet accord, certains appellent toutefois à se départir de toute posture moralisatrice.
La sortie d’Edouard Philippe, et plus encore celles récentes de Xavier Driencourt, a largement été commentée dans la presse algérienne. On y dénonce les positions de l’ancien diplomate et la recherche de clientèle électorale pour un ex-Premier ministre en mal d’audience depuis qu’il a quitté Matignon et fondé son mouvement Horizons. « C’est trop facile de stigmatiser à chaque fois l’Algérie lorsque l’on parle d’immigration, de crise économique ou lorsque l’on entre en campagne électorale, confie une source proche du pouvoir. C’est fatigant et puéril. Et ce au moment où nous avons repris la lutte contre l’immigration clandestine perturbée durant la crise sanitaire. »
Une forme de lassitude s’est imposée chez notre voisin à chaque fois que reviennent ces débats dans l’espace médiatique. On rappelle que ces sorties interviennent alors que les relations entre les dirigeants des deux pays sont sur une dynamique positive avec le déplacement d’Emmanuel Macron à Alger en juillet dernier et la préparation de la visite d’État d’Abdelmadjid Tebboune en France, reprogrammée récemment à la rentrée. « L’atmosphère est plutôt bonne, ajoute la même source. Nous n’avions pas besoin qu’Edouard Philippe surfe sur la vague migratoire en pointant l’Algérie, d’autant qu’il jouissait plutôt d’une bonne image dans notre pays. Il avait accueilli Abdelmadjid Tebboune à Paris en 2017 lorsque ce dernier occupait, comme lui, le poste de Premier ministre ».
Pressions.Jusqu’à présent, Emmanuel Macron, comme François Hollande avant lui, a résisté aux pressions partisanes et n’a pas remis en cause l’accord de 1968 même s’il n’a pas hésité à mener un bras de fer sur la question des reconduites des immigrés clandestins lors de la crise sanitaire. A Alger, on n’a pas, non plus, dénoncé le texte. Abdelmadjid Tebboune a toutefois expliqué à son homologue français, lors d’un entretien téléphonique préparatoire à la prochaine visite d’Etat, que cet accord devait être enrichi. Les deux chefs d’Etat ont convenu d’en reparler. A Alger, on considère que les étudiants algériens sont notamment défavorisés par l’accord de 1968, ce qui les empêcherait d’avoir accès à un job pour financer leurs études, contrairement à leurs camarades d’autres pays.
« Nous ne sommes pas opposés à poursuivre les discussions sur tous les sujets migratoires, mais dans un climat dépassionné et non partisan, poursuit la source proche du pouvoir. La France a le droit de rouvrir des pourparlers comme nous pouvons le faire. Mais il ne faut pas oublier qu’historiquement la France est allée puiser dans la main-d’œuvre algérienne pour construire son pays et qu’elle a facilité aussi la fuite de cerveaux, notamment dans notre corps médical ou d’ingénieurs. »
La volonté d’instaurer un nouveau rapport de force sur un sujet sensible est encore plus mal perçu. « De quel rapport de force parle-t-on ? interroge la même source. De celui de l’ex-colonisateur au colonisé plus de soixante ans après l’indépendance arrachée au prix de lourds sacrifices ? Que veut dire ce discours guerrier ? La France serait encore revancharde… C’est ridicule. La sagesse et la vision de nos dirigeants doivent prévaloir. Mais si Paris venait, poussé par sa classe politique, a entonné ce même discours, nous sommes prêts au rapport de force et à rouvrir des dossiers sensibles comme la reconnaissance des crimes commis par l’armée française durant la colonisation ».
Retrouvez l’article sur lopinion.fr
Xavier Driencourt, Politique migratoire : que faire de l’accord franco-algérien de 1968 ?, Fondation pour l’innovation politique, mai 2023
Aucun commentaire.