Immigration : la politique ferme de la gauche au Danemark, une piste de réflexion pour la gauche française
Rachel Binhas | 17 janvier 2023
Hasard temporel, deux « think tanks » aux orientations politiques différentes viennent chacun de publier une analyse de la politique migratoire menée par les socialistes danois. Le tout à la veille de l’ouverture du débat parlementaire autour d’un nouveau projet de loi. Une puissante matière à réflexion pour la gauche française.
Peut-on vraiment renouer avec un électorat perdu en durcissant la politique migratoire quand on est de gauche ? Telle est la question qui vient d’emblée à l’esprit à la lecture de la note de Renaud Large publiée par la Fondation Jean Jaurès. Ce serait au prix d’une politique ferme de contrôle des flux et exigeante vis-à-vis de ceux qui sont accueillis que l’on pourrait maintenir la cohésion sociale, regagner la confiance du peuple et faire reculer l’extrême droite. Voilà le cœur du propos. Et ce que semblent réussir à faire les socialistes danois. Un choix qui tranche avec la doxa de la gauche française dominée par l’idée que « le contrôle des frontières, surtout s’il vise à réduire les flux de population entrant irrégulièrement dans l’Hexagone, est le cache-sexe du nationalisme et de la xénophobie » comme le rappelle l’auteur de la Fondation Jean Jaurès.
Ce groupe de réflexion n’est pas seul sur ce credo. En publiant un texte intitulé « La politique danoise d’immigration : une fermeture consensuelle » signé par Dominique Reynié, la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), de tendance proeuropéenne et libérale, espère manifestement peser tout autant sur la gauche politique que sur l’ensemble du débat public.
LE DANEMARK ÉTAT SOCIAL
Ce qui se passe au Danemark est d’autant plus symbolique que le pays fut à la pointe de la construction de l’État social. Au point d’avoir été qualifié par les historiens de « welfare state pionnier ». La social-démocratie, longtemps au pouvoir au Danemark, en est la gardienne historique.
Comme le notent les deux fondations, les responsables politiques à l’origine de cet aggiornamento considèrent ne pas avoir rompu avec leur matrice marxiste. À la tête de ceux qui affirment que « la social-démocratie n’est rien sans le soutien des catégories populaires » l’on trouve l’actuelle Première ministre, Mette Frederiksen. « Mette la rouge » fut l’animatrice de l’aile gauche des socialistes avant d’être désignée à la tête du parti à l’issue d’une décennie électorale calamiteuse pour lui. Une jeune garde de parlementaires « issus des couches populaires et souvent élus pour la première fois », écrit Renaud Large, l’accompagne. Parmi eux, une personnalité peu commune, Mattias Tesfaye. Fils d’un réfugié éthiopien, cet ancien maçon a été ministre de l’immigration et de l’intégration jusqu’à mai 2022. Lui aussi a fait ses premières armes très à gauche, au sein du parti communiste du Danemark, qu’il a quitté avec d’autres pour rejoindre le Parti populaire socialiste (SF), une sorte de France insoumise, et dont il a été le vice-président. Ministre, il poursuit une politique de réduction des flux de l’immigration légale et de durcissement des conditions d’accueil des demandeurs d’asile, jusqu’à souhaiter que leur demande soit examinée hors d’Europe, au Rwanda par exemple…
La Fondapol souligne que ces politiques font l’objet d’un « consensus » englobant, même, « dans un soutien tacite » des partis situés à la gauche de cette social-démocratie d’un genre nouveau, jusqu’aux écologistes.
LA PENSÉE DE GAUCHE PERCUTÉE
Les succès des socialistes danois pourraient finir par percuter les facilités intellectuelles de la gauche française réduisant les difficultés liées à l’immigration à un problème conjoncturel, résumé dans une formule maintes fois répétée : « il n’y a pas de crise migratoire, il n’y a qu’une crise de l’accueil. » Les socialistes danois considèrent eux que la défense de la cohésion sociale nécessite d’augmenter les exigences vis-à-vis de ceux qui veulent s’intégrer. Cela passe par la maîtrise de la langue, des revenus suffisants ne relevant pas d’allocations sociales pour obtenir un regroupement familial… Mattias Tesfaye a même limité à 30 % la part de résidents « non-occidentaux » dans une ville ou un quartier selon la nationalité et le lieu de naissance des personnes et de leurs parents.
En assumant sans crainte la légitimité qu’a un État de maîtriser les venues sur son territoire, les socialistes danois relancent une question qui n’est pas nouvelle pour la gauche française mais qui la divise. De manière très factuelle, lors du prochain débat parlementaire, les élus de gauche seront de nouveau soumis au dilemme suivant : est-il légitime pour un État de renvoyer ceux qui se maintiennent sur le territoire alors qu’ils n’y ont plus droit ? Doit-on régulariser tous ceux qui le souhaitent dès lors qu’ils ont foulé le sol français ou européen ? Dès lors qu’une personne ne coopère pas à l’obligation qui lui est signifiée de quitter le territoire, dans quelle mesure l’État peut-il être coercitif ?
Sur tous ces sujets, les élus issus de circonscriptions populaires comme François Ruffin ou encore Fabien Roussel semblent se rapprocher de la majorité de l’opinion selon laquelle il y a un problème migratoire. Certaines angoisses se font jour chez des électeurs qui s’interrogent quant à la capacité du système social à faire face aux arrivées d’immigrants de plus en plus nombreux. D’après une étude Ipsos-Sopra Steria publiée en mars 2022, 71 % des personnes interrogées se disaient inquiètes de l’immigration en ce qui concerne la France et 57 % déclaraient être inquiets pour eux-mêmes. Et 36 % étaient interpellés par le coût économique de l’immigration. Des craintes qui dépassent les frontières françaises.
C’est un problème politique de fond qu’ont posé les socialistes danois à l’ensemble des gauches européennes. En décembre dernier, pour une étude de l’Ifop, 55 % des sondés ouvriers et employés estimaient que la lutte contre l’immigration clandestine était un thème prioritaire pour les mois à venir. Manifestement, les catégories populaires ne sont pas convaincues que l’accueil inconditionnel soit possible sans remettre en cause le modèle social, voire sociétal du fait des écarts culturels grandissants entre nombre de pays de départ et pays d’accueil. C’est même le principal moteur du succès du Rassemblement national comme le rappellent dans leur note la Fondapol et la Fondation Jean Jaurès. Les socialistes danois, en se donnant les moyens de répondre aux inquiétudes, ont ainsi regagné la confiance des électeurs, quand dans le même temps le Parti du peuple danois s’écroulait. Une première depuis plus de trente ans.
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Fondation pour l’innovation politique, La politique danoise d’immigration: une fermeture consensuelle, janvier 2023
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