Israël : le RN mise sur la surenchère contre les Insoumis

Nina Jackowski | 10 octobre 2023

Des élus du Rassemblement national ont participé à la «marche de solidarité» pour Israël et pilonnent par contraste l’attitude des Insoumis. Un pari risqué.

Les faits – Les députés RN ont tenté de renverser le stigmate d’un parti lié à l’antisémitisme par leur hyper activisme sur Israël à l’Assemblée. Après avoir tenté – sans succès – d’obtenir la présidence du groupe d’étude sur l’antisémitisme, des cadres sont montés au créneau en mai contre la résolution associant Israël à un « régime d’apartheid ». L’an dernier, Louis Aliot a décoré les époux Klarsfeld, provoquant un tollé.

Tout pour se distinguer. Le bureau exécutif du Rassemblement national (RN) a pris la décision en réunion, lundi après-midi, d’appeler sa vingtaine de membres du groupe d’amitié France-Israël à participer à la « marche de solidarité » pour Israël organisée le soir même à Paris par le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), deux jours après l’offensive du Hamas. Et même à tout rassemblement se tenant ailleurs en France, alors qu’aucune consigne n’a été donnée aux Insoumis. Un pari osé alors qu’en 2018, Marine Le Pen s’était fait huer à la marche blanche pour Mireille Knoll, à laquelle le Crif avait demandé au parti lepéniste de ne pas participer. Cette fois-ci, selon leur entourage, ni la patronne ni Jordan Bardella ne participeront, la première ne souhaitant pas « politiser » l’évènement et le second étant retenu à Bruxelles.

« L’occasion est immanquable face à la déroute des Insoumis », justifie un cadre. La ligne du RN est claire : condamner fermement l’attaque du Hamas et les ambiguïtés de LFI ; tout en se plaçant par contraste en « bouclier » des Français de confession juive « face à l’idéologie islamiste », selon les termes employés par Jordan Bardella ce lundi sur RMC, nationalisant de fait le conflit. « LFI se fait la caution morale du terrorisme islamiste », a ainsi fustigé le président du parti. La veille, le même tweetait déjà : « l’attaque visant Israël suscite chez nous l’approbation joyeuse de militants islamo-gauchistes et d’aspirants djihadistes. » Julien Odoul, l’un des vice-présidents du groupe d’amitié France-Israël, surenchérit : « les Insoumis sont démasqués – après avoir été les relais du clientélisme islamique, ils représentent la branche française du Hamas dans ces quartiers réceptifs à la haine d’Israël. » Ce dernier participe à la marche mais dénonce une « organisation politisée et hostile au RN ».

« Verrou ». Si toutes les formations politiques pilonnent l’attitude des Insoumis, le RN se distingue par son histoire. En briguant l’an dernier la présidence du groupe d’étude sur l’antisémitisme à l’Assemblée nationale, le parti héritier du FN, cofondé entre autres par d’anciens collaborationnistes et d’ex-membres de la Waffen-SS, avait provoqué un tollé. Un cadre historique relève que « le centre de gravité des polémiques » s’est désormais déplacé côté Insoumis. « Je pense que l’entrée de nos 89 députés à l’Assemblée a changé les choses », estime le premier vice-président du parti Louis Aliot, qui voit de longue date dans l’antisémitisme le « verrou » vers la conquête du pouvoir.

Les institutions juives, elles, assurent ne pas être dupes. « Les fondamentaux du Crif n’ont pas évolué », énonce le président du Crif, Yonathan Arfi, précisant ne pas vouloir polémiquer sur le sujet. Le même fustigeait en novembre dernier le fait que « le RN utilise la communauté juive comme marchepied politique » et dénonçant un « projet fondé sur l’exclusion ». Quant au président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), Samuel Lejoyeux, il reconnaît que « la rue appartient à tout le monde », mais regrette cette participation. « Il est indécent de la part du RN de manifester à nos côtés. Quand on ne condamne pas l’ensemble des formes d’antisémitisme et que l’on fait de l’instrumentalisation politique, il est indécent de participer à ce moment de recueillement et de soutien républicain », affirme-t-il.

La question hante un pilier de ces institutions. « C’est emmerdant ! On ne parle que de ça depuis qu’on a lancé l’idée de la manifestation. Ce serait dramatique d’avoir une image de Le Pen et Bardella main dans la main avec le président du Crif et de l’UEJF », lâche-t-il. Initialement prévue sous forme de rassemblement, le principe d’une marche, qui démarre de la place Victor-Hugo pour atterrir au Trocadéro, où la Tour Eiffel prendra les couleurs d’Israël, devrait aussi permettre d’éviter les photos non désirées.

« Les élus Insoumis comme ceux du RN sont tous deux dangereux pour les juifs de France », conclut Samuel Lejoyeux. Celui-ci s’appuie sur le baromètre Ifop pour l’UEJF paru en septembre, qui indique que 83 % des étudiants de confession juive estiment qu’il existe une montée de violences d’extrême gauche au sein des universités, et 53 % concernant les violences d’extrême droite. En ce qui concerne les préjugés antisémites véhiculés (« les juifs ont trop de pouvoir, utilisent leur statut de victimes du génocide nazi… »), les étudiants votant RN et LFI figurent tous deux en haut du panier. Une proportion de préjugés parmi ces deux partis que l’on retrouve à tout âge, selon la dernière radiographie de l’antisémitisme en France (Ifop, AJC Fondation pour l’innovation politique, 2022). Par ailleurs, l’ambassade israélienne a pour interdiction d’avoir tout contact avec des représentants RN ou LFI. Une autre barrière que le RN rêve de renverser.

Retrouvez l’article dans lopinion.fr

Anne-Sophie Sebban-Bécache, Dominique Reynié, François Legrand, Simone Rodon-Benzaquen, Radiographie de l’antisémitisme en France – édition 2022, Fondation pour l’innovation politique avec l’American Jewish Commitee, janvier 2022.

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