La France en colère

Alain Finkielkraut, Dominique Reynié | 10 juin 2023

Le climat social s'est totalement dégradé en France : les Français sont en colère. Débat avec Denis Olivennes et Dominique Reynié.

Alain Finkielkraut s’entretient avec l’essayiste et chef d’entreprise, Denis Olivennes, et le politologue, Dominique Reynié. La France est en colère et les Européens sont déconcertés par cette colère ; Autour de la réforme des retraites, les manifestations se sont multipliées. Pourquoi cette réforme a-t-elle suscité autant de fureur ? Cette colère va-t-elle enfin s’apaiser ? Qu’en est-il aujourd’hui ?

« 14 manifestations monstres contre la réforme des retraites, des milliers de policiers blessés, le tintamarre des casseroles antigouvernementales, le chef de l’Etat décapité ou brûlé en effigie, le petit neveu de Brigitte Macron passé à tabac, des maires de tous bords invectivés, harcelés, menacés, molestés, et qui sont de plus en plus nombreux à jeter l’éponge ; une Assemblée nationale transformée en foire d’empoigne ; si tous ces faits ne doivent pas être mis dan le même sac, ils n’en témoignent pas moins, chacun à sa façon d’une dégradation alarmante du climat social. La France est à cran, et cette mauvaise humeur, cette exaspération, cette brutalisation déconcerte nos voisins européens. » Alain Finkielkraut

La France est à cran : pourquoi le report de la retraite à 64 ans a-t-il suscité une telle fureur ?

« Ma première réflexion se situe exactement dans le cadre de ce thème qui est la colère, parce qu’il me semble que si nous observons ce qui s’est passé, cela ne relève pas de la colère mais du mécontentement, sur lequel on a posé au fond les habits de la colère. Et on a confondu les deux. Il y a bien sûr au niveau individuel chez les Français une hostilité à cette réforme, je considère que collectivement, ils la comprennent, et que tendanciellement, ils y adhèrent. En quelque sorte, les individus sont contre, la population comprend, et le pays est pour. Ca n’est pas possible d’avoir, sur une réforme qui vous invite à travailler deux ans de plus, une approbation quand on fait des sondages. Il me semble que ce qui s’est passé est une sorte de travestissement où la Gauche syndicale, politique, principalement  politique et , principalement autour de la France insoumise et de ses extensions diverses a senti cette faiblesse réelle ; ils ont bien senti qu’il n’y avait pas d’adhésion profonde à leur mouvement. Par conséquent c’est une opération de compensation qui consiste à mettre en scène une colère, alors qu’il n’y a que du mécontentement. » Dominique Reynié.

« Jamais dans notre histoire, nous n’avons connu un tel niveau de bien-être » (D. Olivennes)

« J’aimerais que Dominique Reynié ait raison, mais je n’en suis pas complètement sûr, parce que si on raccroche ce symptôme à d’autres et notamment de longue durée, comme la montée en puissance des partis populistes ou des partis extrémistes, et notamment encore à la faveur de cette crise de la réforme des retraites, les points gagnés par le Rassemblement national, on voit bien qu’il y a une dissidence du pays  par rapport à son gouvernement. Et pour moi, c’est extrêmement paradoxal. Je partage l’avis des Européens, même si ce paradoxe s’explique. Pourquoi est-ce paradoxal ? Parce que probablement  jamais dans notre histoire, nous n’avons connu un tel niveau de bien-être : nous sommes aujourd’hui dans le monde probablement parmi les nations les plus favorisées. Donc, cette colère culmine ou s’intensifie au moment où nous culminons aussi du point de vue des raisons que nous aurions d’être heureux. Quel que soit le critère que l’on prend, on voit que nous sommes extrêmement favorisés : alors, pourquoi sommes-nous malheureux ? Parce que nous sommes « désespérés » au sens propre du terme ; notre espérance d’amélioration de la situation recule. » Denis Olivennes,

« Nous nous sommes, relativement aux autres pays, appauvris »

Un seul chiffre pour exprimer ce déclassement et expliquer probablement la raison de la colère : nous avions en 1990 la richesse produite par ce pays rapportée à son nombre d’habitants au même niveau en Allemagne qu’en France et quasiment au même niveau qu’aux Etats-Unis. Et aujourd’hui, cette richesse par habitant est 20% en dessous de l’Allemagne et 40% en dessous des Etats-Unis : nous nous sommes, relativement aux autres, appauvris, nous nous sommes déclassés. Et la conscience qu’ont les citoyens plus ou moins confusément de ce déclassement et du risque que ce déclassement s’accélère, à mon avis, est est le facteur clé de la colère, » Denis Olivennes

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