La présidentielle 2022 marquera l'avènement de l'oligopole droitier

Gaël Brustier | 13 avril 2021

La bataille pour l'Élysée se livre désormais entre trois droites, et son résultat est incertain. Les trois gauches, elles, sont en voie d'éviction non seulement du second tour, mais également de l'essentiel du débat politique pour des années.

Il y a tout juste dix ans, on pouvait émettre la sérieuse hypothèse de l’instauration d’un oligopole droitier en France, dans le droit fil d’une tendance lourde constatée sur le continent. Par oligopole, il faut entendre le basculement à droite de l’imaginaire collectif et sa captation par des forces politiques concurrentes.

Cet oligopole est politique et agressif. Agressif entre les trois partenaires. Agressif vers ses concurrents marginaux de gauche. Trois droites – qui ne recoupent que très partiellement celles de René Rémond – s’apprêtent à s’affronter pour la victoire en mai 2022, comme le confirme le récent sondage IFOP pour le Journal du Dimanche. Si le débat et l’électorat basculent à droite, le pays est à la merci d’un « accident électoral », pour reprendre les termes de Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique.

Pour l’heure, après avoir vu au fil des décennies une part croissante du débat captée par les droites, c’est bien plus des deux tiers de l’électorat entendant s’exprimer qui souhaite le faire pour un des trois candidats de droite, spectre incluant le président sortant Emmanuel Macron et La République en marche.

Les candidats de gauche deviennent résiduels

La fragmentation de la gauche n’est en rien freinée par sa prévisible éviction du premier tour. Le total des intentions de vote se portant sur ses candidats plafonne à 28 %, 30 % dans les meilleurs cas. Il existe des lignes de fractures entre électorats PS, EELV et LFI (Europe, économie, international, etc.) qui empêchent leur union. De surcroît, toute polémique est désormais utilisée pour créer des fractures au sein de la gauche, pour gagner du temps sur le calendrier, avec – il faut le dire – l’assentiment de responsables de gauche toujours plus prompts à embrasser des débats de plus en plus picrocholins.

La social-démocratie, incarnée chez nous par le PS, subit le déclin historique constaté dans la plupart des pays européens et n’en finit plus de payer son ralliement aux politiques d’austérité des années 2010, comme l’héritage de la présidence Hollande, répudié par nombre de ses anciens électeurs.

Si le clivage gauche-droite existe toujours, il s’est affaibli.

La gauche radicale, qui s’est affirmée comme un acteur de la vie politique, pâtit encore d’un relatif manque de crédit dans sa capacité à gouverner, et ce d’autant plus que l’expérience Tsipras a échoué quand Podemos peine à rééditer ses scores des années 2015-2016. Alors qu’elle est la famille politique qui a sans doute le plus muté, il y a quelque chose d’inabouti dans sa situation présente, un aggiornamento inachevé et une certaine façon de mener son combat qui inquiète.

Les écologistes sont portés par une aspiration perceptible à l’échelle continentale, mais pâtissent également d’une façon d’affirmer leurs choix qui sème le trouble, à l’image des innombrables déclarations de ses maires élus en juin dernier. L’hypothèse de la participation des Grünen à un gouvernement en Allemagne, voire d’un accès à la Chancellerie après les élections de septembre, n’incitera ni EELV ni son probable candidat Yannick Jadot à s’effacer. Bien au contraire, et au détriment du discernement.

Pour l’heure, le jeu à gauche est fermé et la nasse électorale se referme sur les trois familles qui la composent. Le risque majeur pour ses candidats est d’apparaître comme résiduels et de se marginaliser de façon de plus en plus importante au fil des mois. Si le clivage gauche-droite existe toujours, il s’est affaibli. L’identification à la gauche, qui portait les réflexes politiques de « front unique » ou électoraux de « désistement républicain », a vécu. L’explosion du taux d’abstention, la forte proportion de votes blancs et nuls sont aussi des données importante du scrutin à venir, si la tendance constatée depuis le début du quinquennat se confirme.

Le problème des gauches, c’est qu’elles ne voient dans la droitisation (si tant est qu’elles la voient) que la manifestation de pensées coupables, alors qu’il s’agit de l’articulation plus ou moins habile d’éléments donnant réponse aux enjeux du temps présent. De cette méprise découle une ardente passion pour la dénonciation et les mises en accusations, provoquant un possible ras-le-bol jusque dans ses rangs et, évidemment, dans son électorat.

Trois candidats, un fauteuil et les dividendes de la droitisation

Aujourd’hui, trois candidats peuvent prétendre à la magistrature suprême. D’abord, évidemment, le président Macron, chef de l’État depuis mai 2017. Ensuite, Marine Le Pen, candidate pour la troisième fois mais vierge d’une seule chose importante ici : la participation au pouvoir. Enfin, Xavier Bertrand, ancien élu RPR et ministre UMP, élu de la nouvelle région Hauts-de-France. Édouard Philippe, éventuel recours en cas de défection du président sortant, et Valérie Pécresse, possible alternative concurrente à Xavier Bertrand, ne changeraient pas fondamentalement la donne pour l’oligopole droitier.

Leur point commun est d’emprunter le gulf stream idéologique de la droitisation par des biais différents. Si, initialement, cette dernière n’est pas de leur fait, leur tendance constante à l’entretenir et à en tirer parti s’est soit imposée, soit était évidente pour la candidate Marine Le Pen. La situation idéologique du pays puise ses racines loin dans le temps. Ceux qui pensent qu’elle est née avec CNews ou Eric Zemmour ont des œillères ou des troubles de la mémoire, sinon cognitifs, préoccupants. La droitisation a opéré par vagues successives, par un processus s’étalant sur quatre décennies, qui n’a pas été simplement imposé par en haut mais qui est le fruit d’une dialectique subtile, entre offre venue d’en haut et demande venue d’en bas. En articulant divers éléments, en en réarticulant d’autres entre eux, une réponse à été donnée aux crises successives par des droites concurrentes, dissemblables mais ayant en commun de marginaliser la gauche dans différents secteurs sociaux.

Dans cette bataille à droite, la compétence, la capacité ressentie par tel ou tel à gouverner pourrait, dans la course électorale à droite, tuer l’antique mantra lepéniste selon lequel « l’électeur préfère l’original à la copie ». A contrario, la colère latente dans la société pourrait trouver une réponse dans « l’alliance d’une minute » avec la seule candidate n’ayant jamais gouverné.

À cette heure, on peut penser que le président de la République n’a pas perdu la centralité qui est la sienne. Par sa fonction en premier lieu, il est capable d’agir sur le calendrier et l’agenda du pays dans son ensemble, mais aussi sur celui de l’élection présidentielle. La rapidité de la fin de la crise du Covid déterminera la solidité de son socle électoral. Cependant, sa base électorale est à un tel point socialement distincte de celle de Marine Le Pen qu’il peut être en danger au second tour.

Marine Le Pen pâtit d’un fardeau qui n’est plus idéologique, mais relatif à sa capacité à gouverner comme elle souffre d’un préjudice patronymique. Il aurait fallu à Le Pen l’astucieux courage de ne pas se rendre au débat d’entre deux tours en 2017, dont les images diffusées en boucle pourraient parasiter sa campagne de second tour. On sait qu’en 1988, Charles Pasqua exhorta Jacques Chirac à ne pas débattre avec François Mitterrand. Le candidat Chirac suivit les conseils inverses d’Édouard Balladur, et le résultat ne se fit pas attendre.

Xavier Bertrand s’efforce d’incarner différentes figures aimées à droite: le grand élu d’une région populaires aux multiples difficultés, celle du militant qui lui colle depuis ses jeunes années au RPR, celle d’un « souverainiste » qui rappelle à l’envi qu’il a voté « non » à Maastricht en 1992. Ancien ministre de Nicolas Sarkozy, hostile (au moins en apparence) à la ligne Wauquiez, il a pour lui un avantage né de la tenaille électorale dans laquelle il semble pris : mordre potentiellement ses deux concurrents s’il n’est pas dévoré par eux. Il peut se frayer un chemin vers le second tour en attirant des voix de centre droit parties chez Emmanuel Macron, et des voix de droite populaire et bonapartiste parties chez Marine Le Pen.

L’inconnu(e) dans l’isoloir

Connaît-on réellement l’électeur qui va entrer dans l’isoloir l’an prochain ? La dégradation de la situation économique, les crises des « gilets jaunes » et du Covid, le dérèglement idéologique du pays rendent cet électeur si imprévisible que les outils des sondeurs peuvent connaître quelques avaries. Cet électeur entrant dans l’isoloir aura un imaginaire de droite. Son idéal-type dépendra de l’abstention relative des différents groupes sociaux et idéologiques composant le corps électoral. Quelques réalités se précisent néanmoins.

Depuis trois ans, l’auto-positionnement des Français à gauche n’a cessé de se tasser. En juillet 2020, l’IFOP publiait une enquête selon laquelle seuls 13 % des sondés se positionnaient « à gauche », la proportion se tassant par rapport aux deux précédentes enquêtes. 39 % en revanche se positionnent à « droite », en nette augmentation. Depuis 2017, le chiffre désignant ceux qui refusent de se situer sur le clivage gauche-droite est passé de 11 % à 16 %.

Une France plus à droite, et une gauche plus divisée, résolvent en partie l’équation du devenir de la gauche en France, sans déterminer évidemment l’issue de la compétition à droite. À un an de l’élection, un indice sur le potentiel du vote Marine Le Pen est donné par le score qu’elle obtiendrait face à Anne Hidalgo : 51 % selon l’IFOP en mars, 50 % selon l’IFOP paru le 11 avril dans le JDD. Pis, Yannick Jadot n’obtiendrait que 47 % et Jean-Luc Mélenchon 40 % face à elle. L’information aurait dû alerter.

La crise du Covid a causé des dommages relatifs à l’exécutif en matière d’opinion. Plus insaisissables en revanche sont les conséquences des mesures de restrictions des libertés sur le pays, et notamment les séquelles sur le corps social du confinement prolongé et répétitif. Les difficultés matérielles pourraient rendre l’ensemble de plus en plus durement ressenti au fil des mois.

La politique, ce n’est pas que l’affrontement partisan ou la concurrence entre des candidatures. C’est aussi l’investissement dans des réseaux de sociabilité et on sait, par exemple, que la faiblesse du tissu associatif induit une vigueur relative du vote RN/FN. Celui-ci se discute aussi dans la vie de tous les jours : au sein de son entreprise, dans la vie associative, dans sa commune. C’est au sein de cette société civile que se forme l’opinion et l’idéologie. Tout cela est toujours suspendu et peinera à se remettre en marche d’ici un an. Entre plongée dans des difficultés matérielles, inquiétude quant à l’avenir, effondrement des lieux et cadres de sociabilité, une volatilité plus grande pourrait s’installer et provoquer une éventuelle surprise.

Le contexte idéologique est magmatique, autant que les processus électoraux nationaux deviennent potentiellement explosifs. Une seule chose est certaine : pour l’heure, la gauche est bien partie pour une marginalisation durable dans la vie politique de notre pays.

 

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