Les attentats de 2015 ont-ils été le 11-Septembre français ?
Jean-Dominique Merchet | 08 septembre 2021
La France était en guerre contre le terrorisme avant les attaques de janvier et de novembre 2015, même si elle a été épargnée pendant une décennie après les attentats menés sur le sol américain.
Hasard du calendrier judiciaire, le procès des attentats de novembre 2015 s’ouvre trois jours avant le vingtième anniversaire du 11-Septembre. Avec les attaques de janvier et de novembre, l’année 2015 a-t-elle été le Nine Eleven français, c’est-à-dire un moment de stupéfaction qui change définitivement la donne politique et stratégique ? Il est permis d’en douter.
En matière de terrorisme, la France vit en effet sur une échelle de temps très différente de celle des Etats-Unis. La remarquable étude de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) sur les attentats islamistes dans le monde de 1979 à 2021 permet de s’en faire une idée précise. Au cours des quatre dernières décennies, 332 personnes ont été tuées en France, dans 82 attentats. L’année 2015 représente à elle seule la moitié de ses pertes (159) avec 16 attaques particulière ment meurtrières. Le moment Charlie-Bataclan représente donc bien un point culminant, mais il s’inscrit dans une chronologie particulière.
En 2015, la France est en effet déjà en guerre contre le terrorisme. Les opérations militaires au Mali ont débuté en janvier 2013 et celles contre Daech en Irak, puis en Syrie, en septembre 2014. Contrairement au 11 Septembre, qui a entraîné l’Amérique dans la Global War On Terror, ce ne sont donc pas les attaques terroristes qui ont provoqué l’engagement militaire français : elles ont plutôt contribué à le justifier a posteriori.
Cas d’école. La France a été l’objet d’attaques terroristes islamistes bien avant 2001 et l’apparition d’al-Qaïda. De 1979 à 2000, la Fondapol recense ainsi 24 attentats et 32 morts, notamment en 1986 puis en 1994-1996. Le 11 septembre 2001, la France disposait déjà d’un arsenal juridique spécialisé, en particulier « l’association de malfaiteurs à caractère terroriste » (article 421 du Code pénal).
Paradoxalement, la France est restée long temps à l’écart de la séquence ouverte par le 11-Septembre. Après New York, Madrid (2004) et Londres (2005) sont frappés sévèrement. Les services antiterroristes français coopèrent largement avec leurs alliés, mais la France semble épargnée : la base de données de la Fondapol ne recense aucun mort de 2001 à 2012.
Tout change brutalement avec les attaques de Mohammed Merah, en mars 2012. Une nouvelle loi antiterroriste est votée le 13 novembre 2014, « un an jour pour jour avant l’attaque du Bataclan » rappellent Marc Hecker et Elie Tenenbaum, auteurs de La Guerre de vingt ans (Robert Laffont).
Avec ses deux séquences majeures de janvier (Charlie , Montrouge, Hyper Cacher) et de novembre (Stade de France, Bataclan, terrasses), l’année 2015 est celle des attaques « projetées » à la manière du 11-Septembre, c’est-à-dire planifiées par un groupe terroriste (al-Qaïda et Daech) depuis l’étranger. Celles de novembre sont à cet égard un cas d’école avec des tueries massives et simultanées. Néanmoins, elles apparaissent aujourd’hui comme le chant du cygne d’une forme de terrorisme organisé. Depuis lors, les coups portés à la fois aux réseaux et à leurs sanctuaires (le « califat » de l’Etat islamique au Levant) ont -jusqu’à présent – empêché leur réédition.
« Variants ». Mais cette même année 2015 est aussi celle d’un autre type d’attaques conduites par des individus autoradicalisés et entretenant des liens plus distants avec les « structures » terroristes : Saint-Quentin-Fallavier, le Thalys Amsterdam-Paris, puis Tannée suivante Magnanville, Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray. C’est désormais ce type de terrorisme, qualifié d’« endogène », qui représente l’essentiel de la menace.
Au cours des douze derniers mois, quatre de ces attaques meurtrières ont eu lieu en France (Paris, Conflans-Sainte-Honorine, Nice, Rambouillet). Il s’agit d’un terrorisme très difficile à combattre, car les individus impliqués ne sont pas, ou peu, connus des services avant leur pas sage à l’acte.
Cette nouvelle menace est un effet pervers des succès de Pantiterrorisme contre les réseaux organisés. Sous la pression, le terrorisme a été contraint de muter : ses « variants » peuvent se ré véler particulièrement résistants aux traitements habituels… Alors que les regards sont tournés une nouvelle fois vers l’Afghanistan, les prisons françaises sont sans doute un foyer beaucoup plus dangereux que l’Emirat des talibans : on y recense 1.170 détenus radicalisés ou condamnés pour terrorisme.
Face à la menace, la France se fait une raison, comme le reste du monde. « La guerre contre le terrorisme se donne désormais pour objectif de le contenir, plus que de l’éradiquer », constatent Marc Hecker et Elie Tenenbaum. La France n’en reste pas moins le pays européen le plus touché par les attaques (49% des morts dans l’UE), mais elle se situe qu’au 28e rang mondial, selon la Fondation pour l’innovation politique. Très loin derrière de nombreux pays musulmans ou les Etats-Unis, avec leurs 3.121 morts, dont 3.001 pour le seul Nine Eleven.
Lisez l’article sur l’opinion.fr.
Dominique Reynié (dir), Les attentats islamistes dans le monde 1979 – 2021, (La Fondation politique pour l’innovation politique, septembre 2021).
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