Lycées parisiens : la note que doit lire Gabriel Attal
Sophie Coignard | 20 octobre 2023
CHRONIQUE. Dans le but louable de réduire les inégalités scolaires, le ministère de l’Éducation nationale a créé un système absurde et… injuste envers les meilleurs élèves.
Gabriel Attal est plus qu’occupé en ce moment. Toutefois, le ministre de l’Éducation nationale devrait investir un peu de son temps dans la lecture de la note publiée par la Fondapol ce jeudi. S’il ne le fait pas, il doit à tout jamais bannir le mérite de ses valeurs de référence et le couple présidentiel avec lui.
La révolution ubuesque qui préside à l’affectation dans les lycéens parisiens a, certes, été initiée du temps de Jean-Michel Blanquer, puis amplifiée sous Pap Ndiaye. Mais elle continue sous son autorité. Le titre de la note qui le décrypte, rédigée par l’économiste Marion Oury ? « La réforme Affelnet à Paris – Voyage au pays où 15 = 20 ».
Affelnet (pour Affectation des élèves par le Net), qui aiguille chaque collégien parisien vers un lycée de la capitale, existe depuis le milieu des années 2000, mais son paramétrage a été profondément réformé en 2021. Avec une ambition : favoriser les mixités scolaire et sociale. Et un résultat : que les notes obtenues dans les matières les plus importantes ne comptent pratiquement pour rien dans ce grand tri. Pour résumer : un très bon élève inscrit dans un très bon collège n’a pratiquement aucune chance de poursuivre sa scolarité dans un très bon lycée.
« Indice de position sociale »
Pour réaliser ce tour de magie (noire), le rectorat de Paris, avec la bénédiction du ministère, a créé l’IPS, pour « indice de position sociale ». Chaque collège a le sien. Être scolarisé dans un établissement à IPS faible « rapporte » 1 200 points. À cela s’ajoute le « bonus secteur », qui n’est attribué que si les familles choisissent un des cinq lycées de leur zone.
Pour parfaire ce système, où le mérite et les aptitudes académiques comptent pour du beurre, le savoir-être est plus valorisé que le savoir. Par exemple, « comprendre, s’exprimer en utilisant les langages des arts et du corps », l’une des huit « compétences » que doivent déployer les collégiens, peut rapporter jusqu’à 600 points sur Affelnet, beaucoup plus que de bons bulletins en mathématiques ou en français.
Raffinement supplémentaire, la notion de progrès est elle aussi battue en brèche : « Pour chaque trimestre et pour chaque matière, les notes du bulletin scolaire sont classées par palier de 5 points, explique Marion Oury. Autrement dit, un 15 vaut un 20, un 10 vaut un 14,9, un 5 vaut un 9,9 et un 0 vaut un 4,9. Ainsi, passer de 10 à 20 ou de 14,5 à 15 rapporte exactement le même nombre de points. »
Opacité et duplicité
Ajoutons – et c’est peut-être le plus scandaleux – que toutes ces subtilités ne sont expliquées nulle part, ni sur le site d’Affelnet ni sur celui du ministère. Les élèves et leurs parents croient donc que travailler dur et obtenir de bons résultats permet d’accéder à un « bon » lycée. Que nenni ! Sans le travail patient d’un parent d’élèves, Frédéric Gaume, qui a patiemment collecté les « fiches barème », le rectorat pourrait continuer à se féliciter en toute opacité. Se féliciter de quoi ? De réduire les inégalités, comme il le clame à longueur de communiqué. La ségrégation sociale a, claironne-t-il, diminué de 39 % en deux ans. Il ne dit pas qu’il s’agit là d’une interprétation statistique discutable. Il est tout aussi vrai d’affirmer que la mixité sociale n’a augmenté que de 4,9 %, a calculé Marion Oury.
Et à quel prix ! Le rectorat s’enorgueillit d’avoir fait diminuer la « pression » sur les bons établissements. Il serait plus juste de dire, assure Marion Oury, que ce sont surtout les résultats de ces bons lycées qui sont en baisse. Un infime progrès de mixité sociale, donc, payé par un nivellement par le bas.
Dans le même temps, les inscriptions de collégiens issus du public dans des lycées privés ont augmenté de 30 %. Comme les places y sont limitées, ces établissements risquent de devenir encore plus sélectifs. C’est l’ultime effet pervers d’une réforme pavée de bonnes intentions.
Retrouvez l’article sur lepoint.fr
Marion Oury, La réforme Affelnet à Paris: un voyage au pays où 15=20, Fondation pour l’innovation politique, octobre 2023.
Aucun commentaire.