Ne jamais oublier Tienanmen
Frédéric Mas | 07 juin 2021
Partout dans le monde, la Chine fait pression pour effacer Tienanmen des mémoires. Et la tentation est grande en face pour se plier aux désirs du nouveau géant asiatique.
La mémoire de la répression sanglante des étudiants survenue place Tienanmen à Pékin le 4 juin 1989 s’efface doucement. Le pouvoir politique chinois autant que l’opinion publique occidentale semblent y travailler avec ardeur, autant par lâcheté que par intérêt.
Du côté de Pékin, c’est désormais Hong Kong qui est prié d’oublier le massacre des étudiants pro-démocratie. La loi sur la sécurité nationale passée l’année dernière en interdit la commémoration, car elle est considérée comme un acte séditieux. Comme partout en Chine, se souvenir de Tienanmen est désormais réprimé. 7 000 policiers ont été mobilisés pour empêcher toute manifestation sur le sujet, et Chow Hang Tung, un avocat engagé en faveur des victimes du massacre de Tienanmen, a été arrêté.
Les géants chinois de la tech sont également priés de s’autocensurer pour ne pas tomber sous le coup de la loi, qui, contrairement à leurs homologues occidentaux, pénalisent le contenu des sites. Cela se traduit par la disparition des plateformes de tout ce qui pourrait laisser transparaître l’idée qu’il s’est passé quelque chose plus de 30 ans plus tôt.
Mais l’influence des autorités chinoises s’exerce bien au-delà des frontières nationales : pression sur les partenaires internationaux, campagnes de harcèlement et usages de trolls sur Internet sont autant d’instruments pour faire taire et normaliser l’image de la Chine à l’étranger.
L’hésitation des Occidentaux
Devant la censure chinoise qui s’étend au monde, la réaction est loin d’être unanime. Les États et les entreprises occidentaux hésitent à pénaliser un partenaire commercial énorme, et se prêtent parfois complaisamment aux desideratas du géant asiatique.
Le blog de l’ancien leader du « mouvement des parapluies » à Hong Kong Nathan Law a été désactivé par Wix sur la demande des autorités chinoises. La compagnie israélienne s’est exécutée avant de rétablir le site trois jours plus tard en s’excusant. Le moteur de recherche Bing a été accusé d’avoir « invisibilisé » la fameuse image « tank man » la veille de l’anniversaire de la répression pour complaire aux autorités chinoises. Microsoft, l’opérateur de Bing, a toutefois protesté de sa bonne foi. Il s’agirait d’une erreur humaine.
En France, plusieurs organisations, dont la ligue des droits de l’Homme, Amnesty International, le barreau de Paris et Reporters sans frontières ont manifesté vendredi place Igor Stravinsky, à Paris devant la Chaise de Liu Xiaobo. Continuer à commémorer le geste des étudiants chinois est un combat quotidien, même sur sol démocratique.
Selon une enquête sur la mémoire du XXe siècle produite par la Fondation pour l’innovation politique en partenariat avec la Fondation pour la mémoire de la Shoah seulement 4 % des jeunes de l’Union européenne interrogés faisait de Tienanmen un événement majeur de l’année 1989.
Lisez l’article sur contrepoints.org.
Dominique Reynié (dir.), Mémoire à venir (Fondation pour l’innovation politique, janvier 2015).
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