Outre-mer et si on bougeait les lignes ? : l'économie de l'aérien
27 janvier 2021
En 2020, la crise Covid a frappé tout le secteur aérien. La desserte des Outre-mer n’a pas été épargnée. Continuité territoriale, tourisme, avenir des compagnies, emploi : le magazine « Outre-mer, et si on bougeait les lignes ? » s’interroge sur l’économie du transport aérien.
Son appareil toujours à portée de main, il photographie les avions sur le tarmac d’Orly. Depuis toujours, Arnaud Pheso a la tête dans les nuages. « Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours été passionné par l’aviation, raconte le jeune Martiniquais. En voyant passer les avions au-dessus de chez moi, en allant au Lamentin à l’aéroport récupérer mes parents ou prendre l’avion, je me disais pourquoi pas moi ? Pourquoi ne pas en faire mon métier ? »
Ingénieur en aéronautique, contrôleur aérien ou pilote, il a envisagé toutes les carrières mais il est finalement devenu steward. Avec fierté. Il a décroché un contrat d’un an chez Corsair mais se retrouve aujourd’hui au chômage, victime collatérale de la crise sanitaire.
Zone de turbulences
Lui aussi a consacré sa vie au transport aérien. Manate Vivish dirige aujourd’hui la compagnie Air Tahiti. Principal transporteur inter-îles en Polynésie française, l’opérateur dessert un réseau aussi vaste que l’Europe depuis plus de 60 ans : 47 îles au total ainsi que Rarotonga, aux Iles Cook. Le tout avec une flotte très modeste d’une quinzaine d’appareils, ATR, Twin Otter et Beechcraft.
« Air Tahiti n’a pas toujours pu dégager des bénéfices, explique Manate Vivish. Nous assumons un service public tout en étant une entreprise privée, en nous appuyant sur les lignes rentables sur lesquelles il y a énormément de trafic avec les touristes. Et ce trafic contribue à équilibrer notre déficit structurel sur la plupart de nos lignes. Il y a certaines destinations sur lesquelles il est mathématiquement impossible d’obtenir un résultat sauf à pratiquer des tarifs prohibitifs… »
Air Tahiti a surtout subi de plein fouet la crise du secteur liée à la pandémie de Covid-19. « Alors que la compagnie était en pleine croissance, elle a dû stopper ses vols pendant deux mois… Et les deux choses qui m’ont frappé, c’est la précarité, rien n’est jamais acquis mais aussi la solidarité des personnels et le soutien qu’ils ont pour leur compagnie. » Pour relancer son activité, la compagnie a décidé de proposer plus de 15 000 billets à prix cassés !
Défense des passagers
A Mayotte, Cris Kordjee a pris quant à elle la défense des passagers au départ à l’arrivée de l’archipel de l’océan indien. La présidente de l’Association des usagers du transport aérien à Mayotte (AUTAM), créée au printemps 2019, maintient le cap et ses revendications : la mise en place de la concurrence face à Air Austral, le rallongement de la piste de l’aéroport pour justement faciliter l’arrivée d’autres compagnies et l’application d’une vraie continuité territoriale entre Mayotte et l’Hexagone.
En novembre dernier, elle était encore une fois en première ligne lors de la présentation de l’étude de faisabilité sur l’amélioration de la desserte aérienne à Mayotte commandée par le Conseil départemental. Toujours pas de piste longue à l’horizon mais pas question pour elle de baisser les bras. « La bataille n’est pas perdue, les Mahorais ont l’habitude des combats pour obtenir des avancées. »
Trois témoignages, trois exemples de la relation intime que les habitants des territoires d’Outre-mer entretiennent avec l’avion.
Prix du billet : le jeu de piste
Chaque année, ils sont en effet des centaines de milliers à s’envoler des Outre-mer vers l’Hexagone ou de l’Hexagone vers les Outre-mer. Et ils lèvent souvent les yeux au ciel quand ils voient le prix des billets ! Tous les spécialistes rappellent que les tarifs ont chuté de 50 à 60 % ces quarante dernières années, démocratisant ainsi fortement le transport aérien. Difficile pourtant s’y retrouver pour des passagers souvent perdus dans le dédale tarifaire.
« C’est un jeu de piste et un jeu de hasard… et il faut avoir beaucoup de chance ! » plaisante Jean-Baptiste Heguy, journaliste au magazine Air et Cosmos. « Les taxes d’aéroport et de l’aviation civile sont fixes mais le coût du transport, lui, peut varier en fonction de l’offre et de la demande. Sur la desserte des Antilles, ça peut évoluer entre 350 à 650 euros mais c’est très difficile de savoir quel prix on va payer au final. Car jusqu’au décollage, les compagnies vont ouvrir ou fermer des classes tarifaires en fonction de la progression des réservations. »
Exemple avec un vol Air France Paris-Orly-Fort-de-France de 2017, selon des chiffres fournis par la DGAC, la direction générale de l’aviation civile : les taxes et redevances représentaient 22 % du billet, les charges internes et marges de la compagnie se montaient elles à 78 %. Les charges de personnel, le coût du carburant (entre 20 et 30 % du prix selon les compagnies), l’amortissement et la maintenance des appareils, entrent évidemment dans le calcul. Mais ensuite, tout se complique avec le « Yield management »…
La science du « remplissage »
Le « Yield management » ou « revenue management », c’est un peu la science du « remplissage« . C’est American Airlines la première qui l’a appliquée au transport aérien dans les années 50, et embarqué depuis toutes les compagnies dans le monde. C’est la clef secrète de l’aérien comme l’expliquait il y a quelques années le journal Les Echos. Pour éviter qu’un avion décolle avec des sièges vides, les compagnies doivent ajuster l’offre en permanence : vendre des sièges à un prix élevé quand la demande des voyageurs est forte et que l’avion se remplit facilement et vendre des sièges un peu moins cher quand le remplissage est plus difficile.
Sans Yield management, une compagnie perdrait 7 % de sa recette, soit l’équivalent de la marge bénéficiaire des compagnies les plus rentables. » En fait, le Yield management s’appuie sur des prévisions et ces prévisions sont basées sur les vols des années précédentes les mêmes jours, explique Paul Chiambaretto, professeur à la Montpellier Business School et directeur de la Chaire Pégase. A partir de là, les compagnies aériennes estiment le nombre de passagers qui seront prêts à payer tel prix pour tel vol. Et si on est certain qu’il y aura beaucoup de passagers prêts à payer ce prix-là, on va pouvoir proposer un prix élevé, typiquement à la veille des vacances de Noël. A l’inverse, si on est sur une période un peu creuse, on ne pourra pas vendre le billet à ce prix. »
Résultat pour l’usager : entre les classes de voyages, les classes tarifaires, les classes de réservations, les promotions ou les prix d’appel, on atteint des centaines de combinaisons et, à l’arrivée, les prix varient parfois du simple au double. « Lorsqu’on est assis à côté de son voisin dans l’avion, on a l’impression d’avoir acheté le même siège mais ce n’est pas le même siège parce qu’on ne l’a pas forcément réservé au même moment, résume Paul Chiambaretto. C’est cela qui est trompeur. »
Compagnies dans le brouillard
Le coronavirus a complètement bouleversé ce système et modifié tous les repères. L’Association internationale du transport aérien (IATA) estime à 55% la baisse du trafic en 2020. Les compagnies aériennes ont subi de fortes pertes et les plus fragiles sont dans des situations préoccupantes. Jusqu’ici les compagnies aériennes françaises ont pu profiter de l’attractivité des destinations Outre-mer pour atténuer les effets de la crise. Mais avec la mise en place de la septaine, les opétrateurs accusent le coup et s’enfoncent dans un épais brouillard.
Au-delà de la survie des compagnies aériennes, le transport aérien représente des centaines d’emplois directs ou indirects outre-mer. Dans son sillage, c’est aussi le développement économique des territoires ultramarins qui est en jeu, en particulier le tourisme qui reste la première ressource de la Polynésie française par exemple. C’est enfin la continuité territoriale entre la France hexagonale et ses territoires d’Outre-mer qui est directement menacée.
Bienvenue à bord
Impossible du coup de survoler le sujet. « Outre-mer, et si on bougeait les lignes ? » prendra donc de l’altitude en convoquant des experts du transport aérien. Didier Bréchemier du cabinet d’expertise Roland Berger, partagera son analyse. Il a d’ailleurs dans co-écrit avec Emmanuel Combe pour la Fondation pour l’innovation politique, un rapport intitulé « Après le Covid 19, le transport aérien en Europe, le temps de la décision« .
Raymond Woessner, géographe, évoquera la question sensible de la continuité terriotoriale. Auteur du livre « La crise du transport aérien : vers une autre planète » paru aux éditions Atlande, il décortiquera ce dispositif de service public mis en place pour les Outre-mer au début des années 2000.
Les compagnies aériennes transportent également des marchandises dans leurs soutes. Un fret mis à mal durant le premier confinement. Les producteurs de melon de Guadeloupe et de Martinique, regroupés au sein de Caraïbes Melonniers, doivent expédier par avion une grande partie de leur production. Sa directrice, Laure de Roffignac, en duplex depuis la Guadeloupe, expliquera toutes les mesures mises en place cette saison pour limiter la casse.
Karine Zabulon, présentatrice de l’émission, lancera le débat avec le président d’Air Caraïbe et French Bee. Marc Rochet, connu pour son franc-parler, viendra dire comment il envisage l’avenir. Faudra-t-il de nouveau demander au personnel de faire des sacrifices ? Faudra-t-il augmenter les tarifs des billets d’avions, ou au contraire les baisser pour attirer le plus grand nombre de passagers ? Autant de questions qui se posent dans un secteur en pleine crise. Stéphane Artano, sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon et président de la délégation sénatoriale aux Outre-mer, exposera ses champs d’actions. Prix des billets et continuité territoriale, des combats menés de longue date par le CRéFOM, le Conseil représentatif des français d’Outre-mer. Son président, Daniel Dalin, viendra défendre les intérêts des usagers sur le plateau.
L’émission sera diffusée prochainement sur les antennes des 1ère et sur le Portail des Outre-mer.
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