« Pour l'instant, la relocalisation reste largement un slogan »
Yves Bertoncini | 15 février 2021
Entretien avec Yves Bertoncini, auteur de l’étude Relocaliser en France avec l’Europe (Fondation pour l’innovation politique, septembre 2020).
Enjeux : La crise du coronavirus a suscité beaucoup de commentaires sur la fragilité des chaînes d’approvisionnement et la dépendance de la France à l’égard de l’étranger. N’a-t-on pas un peu noirci le tableau ?
Yves Bertoncini : Le point de départ de cette prise de conscience était valide. Nous avons manqué de produits pharmaceutiques indispensables pour lutter contre le virus parce qu’ils étaient essentiellement produits en Chine -à 80% pour le paracétamol – et que personne n’avait vraiment anticipé ce choc qui a bloqué la planète. Ensuite, il est vrai que l’on a noirci le tableau – non sans arrière-pensées politiques – en exagérant notre dépendance économique et industrielle. La DG Trésor a montré que la France était surtout très connectée au marché européen et plutôt moins dépendante de l’étranger que ses voisins. Ce qui nous a rendu dépendant, c’est le flux tendu. Si nous avions eu des stocks, de masques par exemple, nous aurions été moins vulnérables. Le vrai problème, c’est la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement, pas la dépendance.
E. : Pour y faire face, le nouveau mot d’ordre est de relocaliser. Est-ce la bonne solution ?
Y. B. : Le mot « relocalisation » résonne beaucoup plus en France qu’en Allemagne, sans doute parce que le pays a souffert plus que d’autres des délocalisations et que cela a laissé des traces. D’où cette idée, relayée jusqu’au plus haut niveau de l’État, que la crise offre une opportunité de revenir en arrière, de prendre une revanche. Ce qui est un leurre. Il vaudrait mieux se préoccuper de localiser les investissements du futur que de relocaliser les productions d’hier. Le mouvement de relocalisation entamé depuis une dizaine d’années va se poursuivre, mais il restera limité pour au moins deux raisons. La première est que la fragmentation des chaînes de valeur permet aux entreprises de maximiser leurs coûts et qu’elles ne vont pas y renoncer. La deuxième est qu’elles continueront de localiser leurs investissements là où il y a une demande forte et dynamique, et d’abord en Asie. Cela explique que pour l’instant la relocalisation reste largement un slogan.
E. : Vous êtes de ceux qui soutiennent que la bonne échelle pour traiter le problème, c’est l’Europe. Mais que fait-elle sur ce sujet ?
Y. B. : L’Europe peut beaucoup, mais elle ne peut pas tout. On peut se désoler de la désindustrialisation de la France : l’industrie ne représente plus que 13 % du PIB, contre 25 % en Allemagne. Pourtant, nous partageons le même marché unique, la même union douanière, la même zone euro. S’il existe une telle disparité, c’est qu’il y a un problème domestique spécifique. Il faut le redire inlassablement, car nos élites politiques et économiques ont tendance à reporter la faute sur l’Europe. Or, les règles européennes n’empêchent ni les grands champions comme Airbus, ni les grandes alliances comme on l’a vu récemment avec l’union PSA-Chrysler-Fiat. Depuis quelques années, on voit aussi se développer les projets d’intérêt commun, dans les batteries électriques ou l’hydrogène par exemple. Enfin, l’Europe finance de grands projets de recherche, hier Galileo, aujourd’hui Iter. Mais il est également vrai que la politique de concurrence ou commerciale qui a prévalu jusqu’ici favorise plutôt le consommateur. L’Europe a une difficulté consubstantielle à se doter d’une politique industrielle, car faire des choix axés sur les consommateurs profite à tous les Européens, alors que faire des choix industriels avantage par nature certains pays et certains territoires. La réponse protectionniste est-elle pour autant la bonne ? Je crains que la rhétorique du produire et consommer français soit contre-productive. Elle ne peut que crisper nos partenaires et frustrer nos compatriotes.
Lisez l’étude Relocaliser en France avec l’Europe (Fondation pour l’innovation politique, septembre 2020) sur fondapol.org.
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