Présidentielle 2022 : pourquoi la gauche reste inaudible sur le pouvoir d’achat ?
Corinne Laurent | 27 octobre 2021
À six mois de l’élection présidentielle, les candidats de la gauche cherchent à mobiliser les catégories populaires sur le thème du pouvoir d’achat et de la redistribution. Sans grand succès pour l’instant.
La question du pouvoir d’achat arrive en tête des préoccupations des Français dans la quasi-totalité des sondages réalisés en vue de l’élection présidentielle. Pourtant, historiquement positionnée sur cette question, la gauche ne parvient pas à rendre audibles ses idées de redistribution et ses candidats demeurent dans le bas du tableau des intentions de vote.
« Sur le sujet du pouvoir d’achat, les candidats de gauche sont victimes de la défiance généralisée vis-à-vis de la parole politique. Ils n’apparaissent pas crédibles, leurs mesures n’impriment pas. Mais la question salariale pourrait peut-être leur permettre de revenir », analyse Bernard Sananès, président d’Elabe, qui pointe en outre « un problème d’incarnation » et « d’atomisation » de la gauche.
Droitisation du débat
Si la gauche a perdu la confiance des électeurs, c’est d’abord parce qu’elle les a déçus. L’ancienne ministre Martine Aubry a rappelé, lors de l’investiture d’Anne Hidalgo à Lille le 23 octobre, que « beaucoup de Français se sentent déclassés » et « s’éloignent de la politique », se tournant vers « l’abstention et le vote pour les extrêmes ». Avant d’ajouter : « Ça ne date pas d’aujourd’hui. Nous en avons aussi une part de responsabilité (…) Les Français pensent que les femmes et les hommes politiques ne les comprennent pas, ne les entendent pas et, parfois, les trahissent. Je ne l’oublie pas. »
Le « tournant de la rigueur », en 1983, et la priorité donnée à la construction de l’Europe, puis l’orientation vers les questions sociétales, ont éloigné le Parti socialiste du thème de la justice sociale. Parlant moins aux catégories populaires, la gauche est devenue « le parti des élites intellectuelles », résume l’économiste Thomas Piketty dans Clivages politiques et inégalités sociales, ouvrage collectif paru en avril au Seuil.
En parallèle, la gauche a perdu son « hégémonie culturelle », ainsi que le relevait l’ancien premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis en 2015. Cette année-là, la crise migratoire a accéléré la droitisation du débat sur la question de l’identité nationale, l’immigration et la place de l’islam.
Défaite sociologique
Dans une nouvelle vague de son indicateur de la protestation électorale, publiée mercredi 27 octobre, la Fondation pour l’innovation politique observe d’ailleurs « la prépondérance de la droite » : 56 % des électeurs pourraient voter pour au moins l’un des candidats de droite testés (Xavier Bertrand, Nicolas Dupont-Aignan, Marine Le Pen ou Éric Zemmour).
Si la droite acquiert un tel poids, c’est parce qu’elle domine au sein des couches populaires, analyse le laboratoire d’idées. Après la défaite quantitative de la gauche, c’est la défaite sociologique. Ainsi, la disponibilité déclarée à voter à droite est largement majoritaire chez les répondants sans diplôme ou faiblement diplômés (63 %), appartenant aux catégories socioprofessionnelles inférieures (60 %), ou ceux qui estiment s’en sortir difficilement à la fin du mois (60 %) ou ceux dont le niveau de vie s’est dégradé ces dernières années (60 %). »
Mobiliser les abstentionnistes
La gauche n’apparaît donc plus crédible pour répondre aux attentes des plus fragiles. Pourtant, ses candidats rivalisent de propositions pour convaincre les catégories populaires. La socialiste Anne Hidalgo, en déplacement ce jeudi en Côte-d’Or sur le thème du pouvoir d’achat, est entrée en campagne sur le social pour se différencier de l’écologiste Yannick Jadot. Défendant une baisse des taxes sur le carburant, elle propose « une écologie plus populaire », souligne Johanna Rolland, directrice de campagne.
Rappelant avoir quitté le PS « qui a abandonné les classes populaires, les classes moyennes », victimes d’un « matraquage fiscal » et des « plans d’austérité » de François Hollande, l’ex-ministre Arnaud Montebourg propose d’augmenter le smic de 10 % et tous les bas salaires publics et privés. Une revalorisation aussi demandée par l’insoumis Jean-Luc Mélenchon, qui prône une « loi d’urgence sociale » pour bloquer les prix des produits de première nécessité.
De son côté, le communiste Fabien Roussel tente d’organiser la colère, avec « un grand rassemblement à Paris sur le thème du pouvoir d’achat », le 21 novembre. Enfin, loin des radars, l’eurodéputé Raphaël Glucksmann et le député François Ruffin tentent d’attirer les jeunes engagés sur des sujets de société. Tous sont tendus vers un objectif : aller chercher les abstentionnistes en 2022.
Lire l’article sur la-croix.com.
Dominique Reynié (dir.), 2022, le risque populiste en France (vague 5), (Fondation pour l’innovation politique, octobre 2021).
Aucun commentaire.