Sécurité : la conversion de Macron

Claire Gatinois | 11 mai 2021

En renforçant l'arsenal législatif, le chef de l'Etat veut reprendre la main sur les sujets régaliens avant 2022.

En 2017, il s’affichait en politicien « disruptif », déterminé à dépasser les clivages partisans et à bousculer « le système ». A un an de la présidentielle, après un mandat ponctué de crises emblématiques des désordres du XXIe siècle, Emmanuel Macron semble revenu à plus de classicisme politique, empruntant le terrain favori d’une droite à l’aise avec la fermeté.

Avant même d’annoncer le très attendu calendrier du déconfinement , le chef de l’Etat a lancé l’offensive sur le thème de la sécurité qui promet d’être l’un des enjeux-clés de la campagne présidentielle. L’émoi suscité par le meurtre d’un policier à Avignon, mercredi 5 mai, lors d’une fusillade avec des trafiquants, est encore venu le confirmer.

Dans une France décrite par la droite et l’extrême droite comme un nouveau « Far West », Emmanuel Macron promettait de se battre « pour le droit à la vie paisible », dans un entretien au Figaro le 18 avril. Faisant valoir son bilan, il assurait que « chaque Français verra plus de bleu sur le terrain en 2022 qu’en 2017 ». « Ça rassure les gens, ça dissuade les délinquants », expliquait-il. Après une tournée dans les quartiers sensibles de Montpellier, un nouveau projet de loi antiterroriste a été présenté par le gouvernement fin avril, quelques jours après l’attentat contre une fonctionnaire de police à Rambouillet (Yvelines).

Le texte, soumis au conseil des ministres mercredi 12 mai, vient renforcer un arsenal sécuritaire déjà fourni allant de la loi « confortant les principes de la République » à celle sur la Sécurité globale en passant par la proposition du garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, visant à rétablir la confiance dans la justice, examinée au Parlement à partir du 17 mai.

Cette surenchère législative paraît aujourd’hui bien éloignée de l’ADN présidentiel. « Nous devons nous désintoxiquer du recours à la loi et de la modification incessante de notre droit criminel », écrivait dans son livre programme, Révolution (XO Editions, 2016), le futur candidat à l’élection présidentielle. La manoeuvre rappelle aussi celle de l’ancien chef de l’Etat, Nicolas Sarkozy, à l’origine de neuf lois sur la délinquance et régulièrement suspecté de gouverner au gré de l’émotion des Français.

Visées électorales

Emmanuel Macron, qui, il y a cinq ans, appelait dans un entretien à Le Un hedbo les « gouvernants à ne pas se laisser dicter leurs décisions par la tyrannie des événements », se serait-il lui aussi laissé étourdir par l’agitation des faits divers ?

La récente proposition de loi contre les violences sexuelles sur les mineurs , adoptée mi-avril, a été examinée au Parlement après la sortie du livre de Camille Kouchner, Familia grande (Seuil, 208 p., 18 euros), décrivant le trauma de l’inceste. Une nouvelle loi sur l’irresponsabilité pénale doit être présentée fin mai en conseil des ministres pour combler le « vide juridique » qu’aurait révélé l’affaire du crime antisémite de la sexagénaire Sarah Halimi. Enfin, le projet de loi antiterroriste s’entremêle à l’effroi suscité par l’attaque de Rambouillet.

« Dès 2016, Emmanuel Macon s’est emparé du thème sécuritaire. Au final, il a dit ce qu’il allait faire et il a fait ce qu’il avait dit. Ensuite, il y a eu des ajustements nécessaires, liés aux événements et à l’évolution de la société », se défend-on à l’Elysée. Quant au procès intenté à la Macronie de flirter avec la Sarkozie, il est balayé d’un revers de la main.

« Je suis toujours sidéré du réflexe des responsables de la gauche qui disent que parler sécurité c’est chasser sur les terres de la droite. C’est un non-sens. Dans l’opinion il n’y a plus de divergence entre gauche et droite s’agissant de la demande de sécurité », assure le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal. Manuel Valls n’affirmait-il pas, quand il était premier ministre socialiste, en 2015, que « la sécurité est la première des libertés » ?

De fait, si l’insistance présidentielle sur les enjeux sécuritaires a des visées électorales, elle correspond aussi à l’état du pays. En dépit d’une actualité cannibalisée par la pandémie de Covid-19, 70 % des Français placent aujourd’hui la sécurité et la lutte contre le terrorisme parmi leurs thèmes prioritaires (contre 46 % en mai 2020), derrière l’éducation (73 %), la lutte contre la pandémie (82 %) et la santé (86 %), selon un sondage IFOP publié mi-avril.

« Il y a des causes objectives qui nourrissent cette inquiétude », estime Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’IFOP, évoquant les images de rixes à Dijon, à Paris ou dans l’Essonne ainsi que les attaques visant les forces de l’ordre, comme celle d’Avignon ou de Viry-Châtillon (Essonne). « Cela crée un climat électrique alimentant l’idée d’un Etat impuissant et d’une justice trop laxiste », observe-t-il.

« Ça n’imprime pas »

Une aubaine pour le Rassemblement national toujours prompt à dénoncer l’incurie du pouvoir macroniste face à la violence des temps modernes. Mais à l’heure où se dessine, pour 2022, un duel entre Emmanuel Macron et la représentante de l’extrême droite, qui se revendique la future présidente du « retour de l’autorité de l’Etat », le locataire de l’Elysée entend ne pas se laisser déborder. « Il y a eu un espace pour parler d’autre chose que du Covid, on avait le choix de prendre cet espace ou de subir », décrypte un ministre.

Il reste qu’Emmanuel Macron peine encore à convaincre de sa robustesse sur ce sujet régalien. « On a beau faire, ça n’imprime pas », observe un proche du chef de l’Etat.

Après une campagne davantage axée sur l’économie, son discours des Mureaux (Yvelines) en 2020 sur le séparatisme « est arrivé trop tard », selon M. Fourquet. L’arrivée, à l’été 2020, de l’ex- « Sarko boy » Gérald Darmanin, place Beauvau, censée envoyer un signal fort à l’opinion, a, elle, été contrebalancée par le recrutement d’Eric Dupond-Moretti au ministère de la justice. Un ex-avocat surnommé « acquitator » . « Je veux être ferme mais je veux être nuancé » , et « l’époque n’est pas à la nuance », s’est désolé le garde des Sceaux, dimanche 2 mai, lors de l’émission « Questions politiques » sur France Inter.

À un an de la présidentielle, Emmanuel Macron pourra-t-il rattraper son retard sans se renier ? « Notre seul ennemi, c’est nous-mêmes », assure un proche du chef de l’Etat persuadé que la solution réside dans la mise en avant des actions menées et à venir, tels la hausse du budget de la sécurité de 1,7 milliard d’euros et le recrutement de 10 000 policiers et gendarmes d’ici à la fin du quinquennat. « Si nous constations un embrasement des violences nous serions mal à l’aise. Mais ce n’est pas le cas. Nous avons des résultats », souligne une source proche du président rappelant les trente-cinq attentats déjoués depuis 2017 ou la baisse de 18 % et de 25 % des vols à main armée et des cambriolages, selon les statistiques du ministère de l’intérieur.

Peu importe que certains, au sein de l’aile gauche du gouvernement, se sentent brusqués. Ou que d’autres, à l’instar de Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation , s’alarment qu’on « pérennise des mesures qui ont été initiées dans l’état d’urgence » , au nom de la lutte contre le terrorisme. « D’un côté on nous dit : “ vous êtes laxistes ” , de l’autre : “ vous êtes autoritaires ” . La réalité c’est qu’on est dans un équilibre », rétorque-t-on à l’Elysée.

Un équilibre qui se déplace sans doute au gré de l’évolution de l’électorat. En cinq ans, la proportion de Français se situant à droite de l’échiquier politique est passée de 33 % en 2017 à 38 % en 2021, souligne une enquête menée par la Fondation pour l’innovation politique publiée le 4 mai.

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