Stéphane Courtois: « Vladimir Poutine ravive la fibre anti-occidentale pour tenter de masquer ses échecs »
Ronan Planchon, Stéphane Courtois | 21 septembre 2022
ENTRETIEN - La «mobilisation partielle» de 300 000 Russes, annoncée le 21 septembre par le maître du Kremlin, est d'abord un message de fermeté envoyé, dans le pays, au camp belliciste, argumente l'historien, maître d'ouvrage du célèbre Livre noir du communisme.
Stéphane Courtois, professeur à l’Institut catholique d’études supérieures (ICES), dirige la revue «Communisme», publiée aux Éditions Vendémiaire. Auteur de nombreux ouvrages, il a notamment publié «Lénine, l’inventeur du totalitarisme» (Perrin, 2017), salué par la critique. À l’occasion des 80 ans du pacte Molotov-Ribbentrop, Stéphane Courtois a publié une note remarquable, « 1939, l’alliance soviéto-nazie: aux origines de la fracture européenne » (Fondapol, 51 p., 5 €).
LE FIGARO. – Vladimir Poutine a pris la parole ce mercredi depuis Moscou alors que l’Assemblée générale de l’ONU se tient actuellement à New York. Le président russe a commencé son discours par une grande tirade anti-Occident: «L’objectif de cet Occident est de détruire notre pays». Faut-il y voir volonté de raviver la fibre anti-occidentale des citoyens russes ?
Stéphane COURTOIS. – J’y vois un mélange de propagande et de paranoïa. Il s’agit de retourner la charge de la preuve, en affirmant que les Occidentaux seraient les agresseurs. Sur le terrain, tout le monde a vu que la réalité était différente. Il faut souligner aussi que Vladimir Poutine a choisi de prononcer son discours au moment même où se tient l’Assemblée générale de l’ONU, à laquelle il ne participe pas.
Vladimir Poutine cherche ainsi à légitimer ses actions, à savoir l’intensification de son offensive militaire: il a annoncé la «mobilisation partielle» des Russes en âge de combattre afin de soutenir l’effort de l’armée en Ukraine et a à nouveau brandi la menace de l’arme nucléaire. C’est une vieille tactique.
Moscou a notamment annoncé la mobilisation partielle en Russie et des «référendums» d’annexion de territoires. Comment l’interpréter ? Est-ce un «aveu d’échec» de l’invasion en Ukraine comme l’a affirmé le ministre de la Défense britannique Ben Wallace ?
Vladimir Poutine s’est mis dans une situation très difficile. Sur le plan militaire, les Ukrainiens ont fait une percée. On a vu sur les vidéos du front qui ont circulé une armée russe en débandade totale, avec des militaires préférant fuir et abandonner leur matériel. Rien n’interdit aujourd’hui de penser que les Ukrainiens pourraient atteindre la frontière russe et reconquérir certaines de leurs provinces.
Sur le plan intérieur, Vladimir Poutine est également fragilisé.
Les Russes commencent à se rendre compte que l’invasion est en train tourner au désastre. Deux camps commencent à se dessiner: ceux qui pensent qu’il est temps de tout arrêter et les extrémistes, qui plaident pour une intensification de l’offensive militaire. Le chef du Kremlin est pris en étau entre ces deux positions.
Sur le plan international, cette déclaration intervient quelques jours après une grande conférence qui s’est tenue en Asie centrale le week-end dernier, où les dirigeants chinois et indien ont clairement envoyé un message à la Russie pour lui demander de ne pas aller trop loin. Pékin a semblé mécontent de la tournure des événements en Ukraine. Dans son discours, Xi Jinping a notamment insisté sur la recherche de «stabilité». Il a appelé à un ordre international «plus juste et rationnel» . Rappelons que la Chine et l’Inde sont les principaux alliés de Moscou. La Syrie, la Corée du Nord ou le Nicaragua n’ont aucune influence sur la scène mondiale.
La «mobilisation partielle» de 300.000 Russes en âge de combattre pourrait-elle avoir des conséquences sur le plan militaire ?
Encore faut-il que Vladimir Poutine y parvienne. Depuis cette déclaration, on a constaté une hausse phénoménale de l’achat de billets d’avion pour fuir la Russie. Face à la demande, leur prix a été multiplié par dix. Car les gens qui habitent en ville, les plus informés, et notamment ceux qui travaillent dans des secteurs comme l’informatique ou la téléphonie ont compris qu’ils risquaient d’être envoyés au front du fait des lacunes criantes de la Russie en matière de communication depuis le début du conflit.
De plus, ces 300.000 hommes ne sont pas formés. Et il faudra bien les armer. Or la Russie n’a pas d’armement adéquat pour l’instant alors que, en face, les Ukrainiens se sont professionnalisés. C’est la raison pour laquelle j’y vois surtout une opération de communication, un message de fermeté envoyé aux Russes les plus extrémistes.
«Si jamais les intérêts de la Russie sont menacés, nous allons utiliser toutes les armes à notre disposition», a-t-il dit. Les ambiguïtés nucléaires russes entretiennent-elles une instabilité qui de facto sert à Poutine en temps de guerre ?
Le discours de Vladimir Poutine sur le nucléaire n’a rien de nouveau. Déjà, au début du conflit, il avait menacé de brandir cette arme et il ne s’est rien passé. L’arme nucléaire n’a jamais été utilisée à quelque niveau depuis 1945, c’est une ligne rouge absolue. D’un point de vue purement tactique, le Kremlin sait que s’il l’utilise, il se mettra immédiatement à dos les Chinois et les Indiens car il franchira cette ligne rouge. De plus, une riposte des États-Unis serait quasi inéluctable. On entrerait alors dans une Troisième Guerre mondiale qui réduirait notre planète en morceaux.
Reste plusieurs inconnus. Quel est le mode d’emploi de l’arme nucléaire en Russie ? Quelles sont les procédures ? Qui est autorisé à appuyer sur le bouton et dans quelles conditions ? Personne ne le sait. Alors que la Russie n’a atteint aucun de ses objectifs et qu’elle est en échec sur toute la ligne, que le bilan de Poutine ces six derniers mois est désastreux, que va-t-il se passer désormais ? C’est très difficile prévoir. Le pouvoir à Moscou étant totalement opaque, on ne sait pas qui, à l’exception de Poutine, tire les ficelles au Kremlin et si le président russe est contesté chez les décisionnaires.
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Stéphane Courtois, 1939, l’alliance soviéto-nazie : aux origines de la fracture européenne, Fondation pour l’innovation politique, septembre 2019.
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