Sylvain Fort : "Les déclarations d’Édouard Philippe sur l’accord franco-algérien pèsent lourd..."

Sylvain Fort | 06 juin 2023

Dans son entretien à L'Express, Édouard Philippe préconise la dénonciation de l'accord de 1968 avec l'Algérie. Mais avant de faire de cet accord le chiffon rouge des débats, interrogeons-nous sur la façon dont nous avons échoué avec notre immigration.

Dans le maquis des textes qui réglementent l’immigration en France, il en est un qui ces derniers temps attire l’attention. Il s’agit de l’accord franco-algérien de 1968, qui accorde aux ressortissants algériens des droits particuliers lorsqu’ils souhaitent s’installer en France. Xavier Driencourt, qui a été longtemps notre ambassadeur en Algérie, et qui aime, connaît, observe ce pays mieux que personne, a décrit les dispositions exorbitantes de cet accord dans une récente note pour la Fondapol, et préconise son abrogation, non sans anticiper naturellement la crise que cela ouvrira avec l’Algérie.

Que vont faire les politiques de cette préconisation ? Marion Maréchal en a déjà fait un cheval de bataille. Probablement la droite va-t-elle également faire fond sur cet accord léonin pour augmenter la pression sur le gouvernement, car les lois sur l’immigration en préparation font sagement l’impasse sur ce dispositif. Il ne fait guère de doute, à cette aune, que la question de cet accord de 1968 va monter en puissance et devenir non l’apanage des experts, mais un os à ronger dans le débat public. A cet égard, le ralliement public d’Edouard Philippe à l’idée qu’il faut remettre complètement à plat ce texte pèse lourd : le sujet est maintenant au cœur du discours de la majorité.

Débats tordus

Il faut tout de même se méfier quand les avis d’expert deviennent une arme électorale. Le niveau de simplification et de déformation a tôt fait d’accoucher de débats tordus. En l’espèce, c’est bien parti pour, et c’est un peu inquiétant. Car en vérité, une chose frappe lorsqu’on met en perspective historiquement cet accord de 1968 : c’est que depuis 1968, nous n’avons pas, nous Français, changé notre vision de l’immigration. Il s’agit toujours de faire entrer en France une force d’appoint économique, dans des conditions considérées comme à peu près acceptables d’un point de vue social – et voilà tout.

Or cela fait un demi-siècle que nous voyons bien que l’immigration n’est pas seulement, très loin de là, une donnée économique fongible dans nos statistiques publiques, mais une donnée qui interroge en profondeur notre modèle social, notre méritocratie, notre école, notre culture, notre regard sur l’Autre. C’est un phénomène qui est venu percuter nombre de nos certitudes, remettre en question nombre de nos habitudes, interroger nombre de nos croyances. Comment en aurait-il été autrement ?

Facilité et lâcheté

Là-dessus, il me semble qu’il y a un travail à fournir bien plus fondamental et bien plus fécond, qui est de s’interroger sur la manière dont, depuis cinquante ans, nous avons largement échoué avec notre immigration. Pourquoi ? Parce que nous pensions que ces prolétaires venus de loin resteraient à leur place, alors qu’ils sont bien évidemment créé de nouvelles dynamiques sociales, lancé de nouveaux défis à la République. Face à cela, nous avons eu deux réflexes : le réflexe sécuritaire (police et ghettoïsation) ou le réflexe humanitaire (politique de la ville et victimisation). Mais où est la réflexion du simple humanisme ? Où est passée la foi que nous croyions avoir en l’école, dans la culture, dans l’éducation pour donner à chacun sa place ? De cela il n’a été question qu’à coups de ZEP, de REP, de voies de garage et de bourses sociales, qui ont progressivement défait la méritocratie dont nous avions fait le moteur de la République, et dont pourtant des générations d’immigrés avaient été pour nous l’illustration la plus éclatante et la plus rassurante. Pour un Debbouze ou un Zidane, combien d’échecs consentis, combien de renoncements acceptés ?

La vraie question est : sommes-nous innocents des fruits de notre politique migratoire ? N’avons-nous pas de notre propre chef cédé sur bien des fondements de notre grammaire sociale par facilité et lâcheté ? Faut-il compter sur les immigrés pour apurer la facture de nos renoncements ou faut-il nous regarder au miroir de nos propres échecs, qui sont autant de complaisances que nul ne nous a demandées à ce point ? Cet accord franco-algérien n’est peut-être plus au goût du jour, mais avant d’en faire le chiffon rouge des futurs débats, il serait peut-être temps de se demander si nous sommes capables d’offrir aux immigrés, notamment ceux venus du Sud, autre chose que de la sueur, des taudis, et aussi pas mal de mépris, et si notre complaisance – parfois amère – à offrir aux nouveaux venus une carte de Sécurité sociale n’est pas un peu, et de plus en plus, le solde de tout compte de notre triste médiocrité.

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