Cliquer pour s’engager ?
Farid Gueham | 19 août 2019
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Photo by Mad Fish Digital.
A l’occasion d’un débat, lors du programme « Du grain à moudre» diffusé sur France Culture, Antoine Genton sonde la portée de l’engagement via les plateformes et les pétitions en ligne. La mobilisation est aujourd’hui virtuelle et les outils de la défense, numériques : de groupes Facebook en « hashtags », l’activisme via internet aurait-il pris le relais des formes plus traditionnelles de manifestations et de revendications ? Mais quelle est la portée d’un engagement par « clic » et suffit-il aujourd’hui de cliquer pour s’engager ? Stéphanie Wojcik, docteur en science politique, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris Est Créteil, Anne Bellon, politiste chercheuse à l’université Paris 1 et au « Orange Lab », spécialiste des politiques numériques et de la régulation d’internet et Sarah Durieux directrice de « change.org», abordent les nouveaux vecteurs de mobilisation. Les pétitions, dont il est toujours complexe d’évaluer la portée, peuvent servir de porte-voix. Ces outils ont un impact externe, dans la mesure où ils permettent de faire bouger les lignes, mais également un impact interne, donnant aux acteurs mobilisés les moyens d’une nouvelle expression, d’une émancipation, d’un « empowerment» aujourd’hui affirmé.
La mobilisation des gilets jaunes : un engagement en dehors des cadres traditionnels.
Pour Anne Bellon, Il y a aujourd’hui un vrai débat entre la prise en compte des pétitions en ligne et le phénomène pétitionnaire traditionnel. « Nous essayons de trouver un équilibre entre la protection de l’identité des personnes signataires et la légitimité politique de ces pétitions »,précise Sarah Durieux. La mobilisation en ligne ratisse large : pour les anniversaires, les grévistes, les malades, les cagnottes pullulent sur internet, avec une montant record de 543 800 euros, collectés en faveur des grévistes contre la loi travail. Certaines cagnottes sont plus polémiques : celle destinée aux frais de justice du boxeur Christophe Dettinger, provoque l’indignation d’une partie de l’opinion publique. Les pétitions en ligne servent également les ONG qui veulent faire bouger l’état et les institutions, sur des sujets tels que l’écologie, la justice. Si le phénomène prend de l’ampleur, il n’est pas pour autant nouveau : Anne Bellon, rappelle que l’engagement rapide, dit « post it »,est un phénomène relativement ancien. « Ce que l’on voit aujourd’hui, c’est plus la superposition de plusieurs formes d’engagement : internet renouvelle les répertoires de l’engagement collectif ».
L’engagement en ligne, relais de l’engagement de terrain :
Pour Stéphanie Wojcik, une réalité sociologique doit être prise en compte : la majorité des gens qui cliquent, ou et participent à des groupes Facebook, sont également présents sur le terrain, font du porte à porte. « Il y a donc un continuum, mais il faut considérer la diversité des formes ». En 1897 ces mobilisations de court-terme, sont déjà théorisées et sont aujourd’hui regroupées sous la notion de « slacktivisme», un activisme mou, un engagement paresseux. Et si l’engagement dématérialisé présentait la même valeur que l’engagement sur le terrain ? « On peut signer une pétition même si on habite pas dans une grande ville, si l’on est handicapé et que l’on ne peut pas se déplacer. Nous vivons dans une société ou l’’engagement est plus diffus », rappelle Sarah Durieux. Stéphanie Wojcik, rejette quant à elle la notion de « d’activisme mou », dans la mesure où la sociologie des pétitionnaires est plus complexe et intéressante : cet activisme permet de faire émerger de nouveaux féminismes, de donner une voix et des relais à ceux qui manquent de visibilité. Minorer la qualité et la portée du cet « engagement mou »serait un écueil : participer à un groupe Facebook est une prise de risque sous certains régimes, avec la surveillance policière des réseaux sociaux qu’ils impliquent.
Les signataires qui d’e-pétitions pourraient-ils s’engager autrement ?
Pour Anne Bellon, faire parti d’un groupe Facebook politique est aussi une prise de position : dans les analyses consacrées au militantisme en ligne, on distingue des différences de position entre les hommes et les femmes. Sur les forums de discussions, on trouve plus de femmes, en revanche, pour des sujets comme l’actualité internationale, on trouve plus d’hommes : la palette d’intervention est large et les déterminants sociaux différents, selon les supports utilisés. Change.org, a lancé des enquêtes déclaratives, avec des résultats qui démontrent que si les pétitions sont majoritairement lancées par les hommes, les femmes y participent le plus. Les pétitions offrent aussi une bonne représentativité des villes de moins de 2000 habitants. Si la plateforme à bénéficiée lors de son lancement en France des mouvements militants avec une population très militante. Les pétitions seraient aussi des témoignages de nos sociétés. Ainsi, une quinzaine de mouvements furent lancés suite à des pétitions.
L’engagement numérique peut il avoir un impact « in real life ? »
Pour Sarah Durieux, les pétitions sont déclarées victorieuses par ceux qui les lancent : on décompte chaque semaine en France une dizaine de pétition déclarées « victorieuses». Il s’agit notamment de pétitions contre les fermetures d’écoles, ou en faveur de la délivrance de codéine que sur ordonnance uniquement. Le mouvement des gilets jaunes à toutefois introduit un changement de paradigme politique, en faisant évoluer les pétitions vers des questions de démocratie et de participation citoyenne. Cependant, la victoire d’un mouvement militant n’est pas uniquement liée à sa finalité, comme le rappelle Anne Bellon. Cette victoire repose également sur « la construction d’un collectif, d’un militantisme plus expert et d’une forme de structuration des continuums dans lesquels le mouvement s’insère ».
Quelle efficacité pour l’engagement virtuel ?
Pour Sarah Durieux, le « hashtag », « mot dièse » de référencement, permet de mettre en exergue un sujet, de l’inscrire à l’agenda médiatique, comme ce fut le cas lors du mouvement « me too». Partager le récit d’une agression, « c’est aussi une façon de faire évoluer les mentalités »ajoute-t-elle. Twitter est une arène pour Stéphanie Wojcik. La mise en perspective des agressions d’afro-américains par la police lors du mouvement « black lives matter », permet la structuration d’un collectif et la dénonciation de scandales institutionnels et politiques.
Pétitions et activisme en ligne : vers plus de démocratie directe ou une réforme de nos institutions ?
Selon Anne Bellon, les pétitions témoignent d’une aspiration pour plus de démocratisation de la vie politique, mais le vrai sujet est davantage les compétences, que les internautes pourront ou non acquérir en ligne. « Nous devons tempérer l’enthousiasme portés par ces nouveaux outils » précise-t-elle. Pour Stéphanie Wojcik, la clé de voûte d’une participation réussie réside dans l’articulation entre une consultation publique, comme celle portée par Axelle Lemaire dans le cadre de la loi pour la République numérique, et la prise en compte par les institutions de pétitions, avec le risque qu’elles présentent d’être noyautées par des groupes d’influences politiques ou idéologiques. « De ce point de vue, il y a encore énormément de travail à faire » conclut-elle.
Pour aller plus loin :
– « La CGT lance une cagnotte qui réunit plus de 200 000 euros pour les salariés grévistes »,lefigaro.fr
– « La cagnotte leetchi de Christophe Dettinger, condamné pour avoir frappé des gendarmes, reste bloquée », Lemonde.fr
– « Me too et activisme en ligne : nos cinq lectures clés », institutmontaigne.org
– « Faire du citoyen un acteur continu de la démocratie », jean-jaures.org
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