Le capitalisme rouge à l’assaut de l’Europe
03 avril 2019
Le président Xi Jinping s’est rendu en Italie, à Monaco et en France, quelques semaines après un déplacement en Espagne et au Portugal, et avant le sommet des « 16 + 1 » à Dubrovnik, le 16 avril prochain, réunissant la Chine et 16 pays d’Europe centrale et orientale… C’est peu dire que la Chine s’intéresse à l’Europe.
A l’heure où l’Union européenne opère, sur le modèle américain, un spectaculaire revirement de doctrine à l’égard de la Chine (mécanisme de contrôle des investissements étrangers, volonté d’obtenir l’ouverture des marchés publics et une meilleure protection de la propriété intellectuelle, méfiance à l’égard du géant Huawei au moment de la mise en place de la technologie de la 5G…), Pékin entend, au contraire, renforcer ses liens avec l’Europe pour sécuriser ses débouchés commerciaux et trouver un allié de circonstance face aux Etats-Unis.
La Chine a opté pour une stratégie en deux temps. D’abord, diviser pour régner, en multipliant les accords bilatéraux avec les Européens sous couvert d’un discours multilatéral. Le régime chinois utilise le format « 16 + 1 » ainsi que la signature de l’accord « Routes de la Soie » avec l’Italie, premier membre du G7 à endosser un tel document, pour pousser ses pions. Ensuite, la Chine poursuit à marche forcée l’édification de géants industriels mondiaux pour sécuriser son marché national et emporter des contrats à l’export. State Grid, première entreprise mondiale avec plus de 1,7 million de salariés et 348 milliards de revenus en 2017, fournit de l’électricité à 1,1 milliard de personnes en Chine. State Grid a consacré plus de 4 milliards d’euros pour s’offrir la majorité d’un énergéticien au Brésil et réaliser des acquisitions aux Philippines, en Australie, en Grèce ou en Italie. China Three Gorges, qui exploite le grand barrage des Trois Gorges, a proposé de racheter EDP, l’énergéticien portugais pour près de 10 milliards d’euros.
La doctrine stratégique de l’Europe à l’égard de Pékin doit être clarifiée afin d’éviter l’émiettement des positions et de construire un discours commercial, monétaire, industriel et technologique unique d’autant que la contestation gagne les rangs du Parti communiste chinois contre Xi Jinping
Surveillance. Ces opérations industrielles sont conduites sous l’étroite surveillance du régime communiste qui a ciblé des actifs stratégiques industriels à l’étranger, que ce soient les réseaux de transports d’électricité, les infrastructures portuaires ou encore les technologies d’avenir. La politique d’acquisition d’actifs industriels de Pékin s’accompagne de deux mesures : une politique de rapatriement des devises, en vendant des actifs non stratégiques à l’étranger, notamment dans l’immobilier ; une offensive technologique d’envergure conduite par Huawei, premier déposant mondial de brevets, à travers la course mondiale engagée pour le déploiement de la 5G.
La doctrine stratégique de l’Europe à l’égard de Pékin doit être clarifiée afin d’éviter l’émiettement des positions et de construire un discours commercial, monétaire, industriel et technologique unique d’autant que la contestation gagne les rangs du Parti communiste chinois contre Xi Jinping, accusé d’avoir sous-estimé la détermination de Donald Trump, et dont le raidissement idéologique grippe la machine économique en favorisant les entreprises d’Etat au détriment des structures privées. Dans le cas contraire, l’Europe deviendra, à long terme, une terre d’évangélisation du capitalisme rouge à la chinoise.
Laurence Daziano, maître de conférences en économie à Sciences Po, est membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique.
Aucun commentaire.