Le Front national et sa mutation difficile vers un « parti de pouvoir »
Pascal Perrineau | 13 avril 2015
Le Front national et sa mutation difficile vers un « parti de pouvoir »
Par Pascal Perrineau
Avec plus de cinq millions d’électeurs (25,2% des suffrages exprimés) s’étant retrouvés derrière des binômes du Front national au premier tour des élections départementales et encore plus de quatre millions (22,2% des suffrages exprimés) lors d’un second tour où il n’était plus présent que dans 58% des cantons restant à pourvoir, le parti de Marine Le Pen a fait la preuve de sa capacité à compter parmi les trois grandes familles politiques qui se partagent aujourd’hui plus des neuf dixièmes de l’électorat français.
La droite associée au centre a rassemblé 36,6% des électeurs, la gauche de gouvernement a attiré 30,6% et le Front national en compagnie de quelques rares binômes d’extrême droite a atteint 25,3%. La formation frontiste a ainsi confirmé son résultat des élections européennes de mai 2014 et la tripartition de l’espace politique que l’on avait alors pu constater.
L’évolution concomitante des cotes d’opinion et les sondages d’intentions de vote dans la perspective de la prochaine élection présidentielle de 2017, montrent que le Front national et sa présidente sont entrés dans la cour des grands partis. Dans le dernier baromètre SOFRES-Figaro Magazine de mars 2015, 25% des personnes interrogées souhaitent que Marine Le Pen « joue un rôle important au cours des mois et des années à venir ». 21% des mêmes personnes déclarent « avoir une bonne opinion » de son parti, confirmant en cela un niveau d’opinions favorables constamment au-dessus de la barre des 20% depuis juin 2012 alors que jamais auparavant (sauf une fois en mai 1995) ce seuil n’avait été franchi. Enfin, dans un dernier sondage d’intentions de vote pour la prochaine présidentielle (IFOP pour Marianne, enquête effectuée du 21 au 23 janvier 2015), Marine Le Pen était créditée de 29% à 31% à 6 ou 7 points devant ses challengers (Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, Manuel Valls ou François Hollande).
En revanche, dans la perspective d’un second tour, elle ne capitalisait « que » 39% à 45% d’intentions de vote (39% contre Manuel Valls, 40% contre Nicolas Sarkozy et 45% contre François Hollande) et semblait devoir être écartée de l’accès à l’Elysée.
Bien sûr, ces intentions de vote ne sont, à plus de deux ans des échéances, que de simples conjectures destinées à être reconfigurées même si celles-ci donnent une idée des rapports de force dans l’opinion. Elles laissent présager une puissance électorale de premier tour rencontrant des difficultés à transformer l’essai quand l’élection devient directement pourvoyeuse de pouvoir. Tel est un second tour d’élection présidentielle. Tel a été, sur un mode mineur, le second tour des élections départementales. Or, ce second tour a montré qu’après l’impressionnante percée du premier tour, le Front national semblait rencontrer un véritable « plafond de verre » qui l’empêchait d’avoir de nombreux élus capables d’exercer le pouvoir dans les assemblées et les exécutifs départementaux. En effet, en dépit d’une présence massive au second tour (1107 binômes présents) le Front national n’a réussi à obtenir des élus que dans 31 cantons (4 au premier tour et 27 au second). 31 cantons sur un ensemble de 2054 soit 1,5% : le ratio est faible et témoigne de la difficulté profonde du Front national à convaincre une majorité, relative dans le cas des triangulaires et absolue dans le cas des duels, d’électeurs.
On s’aperçoit, à la lecture du sondage IFOP Fiducial qui a été réalisé le jour même du second tour que le Front national est arrivé, en moyenne nationale, en troisième position (28%) dans les triangulaires derrière la droite (37%) et la gauche (35%) et qu’il a échoué dans ses duels, l’échec étant important (41%) lorsqu’il affrontait la droite et moins net lorsqu’il était confronté à la gauche. Pourquoi cette difficulté à instaurer une vocation majoritaire alors que, depuis quatre ans, le Front national, sous la houlette de Marine Le Pen, a forcé le pas de sa stratégie de « respectabilisation » ?Dans sa volonté de passage de la protestation au pouvoir, le parti frontiste rencontre les obstacles d’un programme qui reste un programme de rupture radicale (« la révolution bleu Marine »), d’une stratégie d’isolement (« seul contre tous ») et d’un personnel partisan peu frottée à la culture de gestion et parfois portée à la culture de provocation comme aime à le prouver le président d’honneur du Front national. Ces divers éléments peuvent amener, en particulier lorsque les électeurs savent qu’au bout de leur bulletin de vote il y a une équipe de dirigeants à mettre en place, des réticences.
Il est frappant de voir qu’à la veille du vote de second tour, plus de deux-tiers des personnes interrogées par IPSOS déclaraient que ce ne serait pas une bonne chose que le Front national remporte les élections et dirige leur département pendant les prochaines années. Presque trois quarts des électeurs proches de l’UMP partagent ce diagnostic montrant ainsi que si « porosité » il y a entre UMP et FN elle ne va pas jusqu’à partager une même culture de pouvoir.
Cette distance entre le principal parti d’opposition et le Front national est d’ailleurs très lisible dans les distances idéologiques et politiques qui séparent les électeurs de ces deux formations. Sur le plan des grandes options économiques et sociales, sur l’ouverture au monde, sur l’Europe, sur la confiance en l’autre, les différences qui séparent les deux univers est importante et même très importante et donnent la mesure du travail qui reste à faire pour ceux qui seraient tentés, au Front national comme dans certaines marges de l’UMP, par un rapprochement. Les seuls terrains sur lesquels les proximités sont fortes sont celui de l’immigration et d’un certain conservatisme au plan des mœurs. Le viatique commun est faible au regard des options économiques et même des conceptions du monde et de la société qui les séparent.
On comprend, dans ces conditions que les électeurs de l’UMP, et bien sûr ceux de l’UDI, soient massivement hostiles non seulement à tout accord local entre l’UMP et le FN pour diriger les départements ou les régions mais aussi à tout accord national pour gouverner le pays. Le Front national s’engage ainsi dans le chemin aride et solitaire que connaît toute force politique puissante mais isolée et enclavée.
Jadis, le Parti communiste avait connu cette situation des années 1946-47 au début des années 1960 avant de s’inclure dans une alliance qui alimenta sa marginalisation. Le Front national n’a pas envie de connaître un même destin. Maintien du superbe isolement ou recherche de l’alliance et du compromis ? Tel est le dilemme du Front national à l’horizon de l’élection présidentielle de 2017.
Cet article a également été publié dans Le Figaro
Crédit photo : Global Panorama / Flickr
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