L’Europe et le bottier, réflexions autour des souliers d’un colosse
Jean Sénié | 06 juin 2019
Sur : Merci l’Europe ! Riposte aux sept mensonges populistes – Bernard Spitz, publié aux Éditions Grasset (février 2019)
L’Europe à la croisée des chemins, l’Europe au bord de la falaise, l’Europe à l’heure de la dernière chance, autant de manières de définir l’incertitude qui s’est emparée des Européens à la veille des élections de mai 2019 et alors que l’issue des négociations du Brexit est plus incertaine que jamais. Toutefois ces qualificatifs, comme les tensions qu’ils recouvrent, ne datent pas d’aujourd’hui mais bien d’hier. C’est justement pour en finir avec une politique du déni, consistant à recouvrir les problèmes du voile pudique de l’indifférence, que Bernard Spitz a écrit son dernier ouvrage intitulé Merci l’Europe ! Riposte aux sept mensonges populistes. Un titre empreint de gratitude, qui masque toutefois le plan d’attaque du président de la Fédération française de l’assurance. Loin de se contenter d’une vision lénifiante où seraient énumérées toutes les qualités de l’Europe, l’auteur a décidé de relever le gant et de livrer la bataille de l’Europe. Il s’inscrit en cela dans la continuité de l’université tenue à l’été 2018 par le Medef et qui avait justement pour thème principal « Merci l’Europe ».
En bon stratège, Bernard Spitz part à l’assaut des idées reçues sur l’Europe, véhiculées par les populistes, tout en consolidant ses défenses, injustement remises en question. En effet, dans son introduction celui-ci revendique un « parler vrai », héritage de ses années auprès de Michel Rocard. Cette attitude volontaire s’explique au regard d’un court chapitre servant de prolégomène et déroulant la leçon d’un manuel scolaire de fiction paru en 2026, date où l’Union Européenne aurait disparu en raison de la somme de tous les renoncements. Le premier combat de Bernard Spitz porte sur la désignation de l’adversaire. Ce sont les populistes, eux qui veulent mettre un terme à l’aventure européenne telle qu’elle s’est construite depuis la Seconde-Guerre mondiale. Preuve des évolutions du débat intellectuel, l’essayiste ne nie pas le ressenti des adhérents aux idées populistes. Il convient que l’Europe n’a pas su parler à tout le monde, ne trouvant pas les mots pour proposer un projet politique suffisamment intégrateur. Toutefois, si les pro-Européens n’ont pas toujours trouvé les mots justes, ils ne se sont jamais lancés dans des campagnes fondées sur le mensonge, la calomnie et les contre-vérités. C’est afin de lutter contre ces « mensonges » que le président du think tank « Les Gracques » va dérouler son argumentaire.
L’auteur traite ainsi de sept contre-vérités sur l’Europe dans autant de courts chapitres organisés de manière didactique. Sont ainsi abordés, l’immigration et les frontières de l’Europe, le rôle de Bruxelles dans la vie politique des États-nations, les politiques industrielles et technologiques de l’Europe, la politique monétaire de la zone euro, l’organisation de l’Europe comme un marché du travail plus ou moins unifié, l’Europe face à la mondialisation et l’Europe comme puissance. L’organisation de l’ouvrage vise à dévoiler les erreurs, les rumeurs et les mensonges des populistes, à l’image de la campagne menée par les Brexiters. En même temps, l’auteur défend le bilan de l’Europe et propose de nouvelles solutions pour l’avenir de l’Union. C’est certainement la partie la plus intéressante et la plus riche de l’ouvrage, lorsque, après avoir démonté les arguments populistes, l’auteur ne se paye pas de mots sur le futur de l’Europe mais propose systématiquement plusieurs mesures pour améliorer la situation. Cela passerait par la création d’une demande d’asile unique à l’échelle de l’Europe allant de pair avec un vrai conseil des ministres de l’intérieur à l’échelle européenne ou par la mise en place d’une véritable union économique, fondée sur des transferts fiscaux et sociaux. Bernard Spitz, conscient des réticences des États, propose systématiquement un jeu de mesures permettant, en cas de frilosité ou de doutes, de procéder de manière graduelle, ménageant ainsi tous les acteurs politiques et institutionnels.
Toutefois, c’est la première interrogation que soulève la lecture de Merci l’Europe !, à savoir s’il est possible de prendre son temps alors que la situation semble se dégrader rapidement tant avec le Brexit qu’avec l’émergence de plusieurs Europes. Au-delà de cette interrogation sur la faisabilité et le rythme des réformes, c’est leur ampleur même qui apparaît comme l’enjeu central d’un redémarrage de l’Union Européenne. L’auteur rappelle à juste titre toutes les réalisations concrètes de l’Europe d’Erasmus à Schengen en passant par une Europe de la technologie et une autre de l’agriculture. Toutefois, même si ces considérations sont nécessaires, l’auteur n’aborde que trop brièvement la question de l’identité européenne, de la construction d’un espace politique commun fondé sur des valeurs partagées. Qu’il soit indispensable d’améliorer le fonctionnement quotidien de l’Europe, nul ne saurait en disconvenir. En revanche, il faut peut-être encore davantage porter la réflexion sur la dimension politique de la refonte de l’Union Européenne. L’auteur l’explique d’ailleurs parfaitement dans une tribune parue dans L’Opinion le 15 février 2019. Tout l’ouvrage aboutit à tirer cette conclusion, que le temps presse et qu’il faut trouver une issue politique à la crise. La réponse à apporter aux populistes s’avère être celle de la définition de l’Europe comme un véritable espace de vie démocratique.
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