Refonder le modèle démocratique français
25 janvier 2019
Le grand débat a été officiellement lancé par deux rencontres entre le président de la République et des maires. Les discussions ont été nourries et la performance d’Emmanuel Macron unanimement saluée. L’exercice était intéressant car symptomatique de notre actualité immédiate : maîtrise des sujets par le Président, expression du malaise social par les élus « de terrain », réalité d’un « grand débat » qui est en fait une « vaste consultation »…
Il était également révélateur des difficultés structurelles de la démocratie française.
Le premier enseignement de ces rencontres est que la réforme a besoin de corps intermédiaires. Dans une démocratie de 70 millions d’habitants, il ne suffit pas de dérouler un plan techniquement parfait depuis un ministère : il faut obtenir un soutien renouvelé de l’électorat. Or, il est extrêmement difficile de rassembler dans la durée des individus isolés : les perdants, minoritaires mais identifiés, se mobilisent plus facilement que les gagnants, majoritaires mais diffus. Si En Marche avait réussi avec succès à les réunir pour un acte ponctuel de vote, le parti présidentiel a échoué à les maintenir actifs. C’est là que les corps intermédiaires trouvent leur rôle : ils alimentent des solidarités, diffusent des opinions ; ils peuvent bloquer ou faciliter des changements ; mais leur désagrégation interdit toute relation ordonnée entre le pouvoir et la masse des citoyens.
Lorsqu’il appelait et œuvrait au dépassement des corps intermédiaires, en achevant les partis politiques ou les syndicats, Macron renouait avec la mystique de la « volonté générale » rousseauiste
Révélation immanente. Cette tendance à l’écrasement des corps intermédiaires n’est pas neuve : Tocqueville s’y intéressait dans L’Ancien régime et la Révolution ; Pierre Rosanvallon en a fait l’analyse. Emmanuel Macron a souhaité la prolonger. Lorsqu’il appelait et œuvrait à leur dépassement, en achevant les partis politiques ou les syndicats, il renouait avec la mystique de la « volonté générale » rousseauiste, qui considère ne pouvoir supporter aucun médiateur et à propos de laquelle on prétend qu’elle ne trouverait de meilleure expression que dans une forme de révélation immanente dont l’Etat et les fonctionnaires auraient le monopole. Le projet d’En Marche était d’éliminer ces corps, perçus comme des facteurs de frictions risquant d’enrayer l’exécution du programme élaboré au nom d’un prétendu « intérêt général ».
Le second enseignement des débats avec les maires découle du premier : la France a besoin de décentralisation. Pour des raisons politiques : la multiplication des responsables locaux permet de placer des relais (et des fusibles) entre les citoyens et le pouvoir central – d’autant plus quand ce dernier se résume à un seul homme. Pour des raisons institutionnelles : une plus grande autonomie locale permet l’expérimentation et la concurrence des collectivités, évitant la concentration du pouvoir, comme Madison l’avait souhaité pour les Etats-Unis.
Depuis 2017, le gouvernement allait à l’inverse de cette tendance décentralisatrice. La suppression de la taxe d’habitation en est l’exemple fondateur : cette mesure a accru la tutelle sur les collectivités et affaiblit le lien de responsabilité fiscale entre élus et électeurs.
A travers ses échanges avec les maires, le Président a admis de fait une faille de son gouvernement, trop technocratique, et un échec du modèle français de gouvernance, trop centralisateur. Il ouvre ainsi de nouvelles perspectives pour rénover la démocratie française et revivifier la démocratie locale. C’est une bonne nouvelle !
Aucun commentaire.