Télésanté, espoir du monde rural ? Des objectifs à la construction des usages.
18 mars 2019
« La télésanté est perçue comme une solution pertinente sur des territoires où l’offre de soins est déficitaire. Dans le monde rural, la situation est intensifiée. Avant, l’expertise médicale était limitée aux sites de présence du médecin. Ou le client se déplaçait pour rencontrer le médecin, ou bien le médecin rendait visite au patient. La télémédecine rend possible l’expertise médicale en tout lieu. La télésanté est l’élargissement du champ de la santé, faisant une large part au social ». Dans leur ouvrage collectif, Bruno Salgues, directeur d’études à l’institut Mines Télécom, Norbert Paquel, ingénieur économiste spécialiste de la e-santé et leurs contributeurs, sont les témoins d’un tournant majeur pour notre système de santé : un écosystème dont on attend une qualité de service égale, sur l’ensemble des territoires, y compris dans les zones rurales les plus isolées. Mais comment se déclinent réellement l’application des TIC au secteur de la santé ? Les usages sont aussi multiples que les applications et les terminologies utilisées : « télésanté »,« télémédecine »,« télé-expertise », « téléconsultation », etc… L’analyse des auteurs ne se limite pas au seul périmètre français, des réflexions provenant d’exemples canadiens ou africains enrichissent cette étude. La e-santé s’est concrétisée par la multiplication des usages, sur des territoires faisant apparaître des contraintes, s’inscrivant dans différents modèles économiques.
Le numérique dans la santé : objectifs publics versus usages.
« Tandis que l’exigence du système de santé français est d’assurer un égal accès en tout point du territoire à des soins de qualité, l’offre de soins demeure hétérogène. (…) Le Ministère de la Santé considère que la télémédecine offre des perspectives considérables, (…) constituant un levier essentiel pour réduire les fractures territoriales et restructurer l’offre hospitalière ». La télésanté est donc souvent associée à l’amélioration de la qualité de soin, le partage d’informations médicales, en particulier pour les personnes âgées, ou les patients atteints de maladies chroniques. Les objectifs publics de la e-santé, de la réduction du nombre d’examens redondant à la diminution de la fréquence des interactions médicamenteuses ou la cohérence du parcours de soin, ne s’articulent pas spontanément avec les usages, qui permettent d’analyser la pertinence d’un outil technologique. Les cinq principaux critères d’usages sont l’acceptabilité, l’accessibilité, l’apprenabilité, l’utilisabilité et enfin l’utilité de cette technologie. Comme le rappelle Norbert Paquel, en arrière plan du suivi de paramètres cardiaques par exemple, ou plus globalement, derrière un écran, « il doit y avoir toute une organisation et des outils pour la mettre en place. Un véritable maillage se tisse, et sa construction ressort du politique autant que du technicien ».
Des solutions technologiques existent depuis longtemps : l’exemple Cardiauvergne.
« La prise en charge de l’insuffisance cardiaque chronique représente aujourd’hui en France un des grands enjeux de santé publique en raison, tout d’abord, de la fréquence de cette pathologie qui touche 2% de la population, soit 25 000 patients en Auvergne »,précisent Jean Cassagnes, cardiologue et Jean-Pierre Bastard, secrétaire général de cardiauvergne. Le coût de la prise en charge de cette pathologie est estimée à 20 000 euros par an et par patient, dont 92,6% en frais d’hospitalisation. En effet, près d’un patient sur trois est réadmis dans le trimestre qui suit sa première poussée de décompensation, et un sur deux dans les six mois. Le projet« cardiauvergne »a pour ambition la surveillance ambulatoire coordonnée et le suivi des insuffisants cardiaques les plus graves. Cardiauvergne se structure autour d’une cellule de coordination constituée d’un cardiologue, d’un médecin généraliste, d’une infirmière, et d’une secrétaire. Ses missions sont l’information et la formation des patients et personnels de santé, l’inclusion du patient à sa sortie de l’hospitalisation, la définition d’un planning de surveillance et enfin la prise en charge d’alertes et la gestion de la surveillance globale du patient. « La plateforme cardiauvergne est développée par Almerys, selon le référentiel défini par l’ASIP Santé, sous tutelle du Ministère de la Santé, en vue d’assurer l’interopérabilité entre les différents systèmes d’information de santé et de garantir le respect des exigences de sécurité et de confidentialités des données personnelles de santé ».Sur le plan quantitatif, du 1er janvier au 13 novembre 2012, cardiauvergne a inclus 274 patients dont 253 sont toujours en file active. Sur le plan qualitatif, le ressenti des patients inclus et des professionnels de santé conforte l’adhésion rapide au dispositif.
Numérique et désert médical : les obstacles à l’accès aux soins en Languedoc-Roussillon.
« Le Languedoc-Roussillon, région du littoral méditerranéen, dispose d’un nombre de médecins par habitants supérieur à la moyenne française, mais leur répartition est fortement hétérogène : tandis que la frange littorale est bien dotée, l’arrière pays rural connaît une raréfaction de l’offre de soins », comme le rappelle Joy Raynaud, consultante en aménagement du territoire. L’inégalité de la répartition des médecins est ainsi couplée aux difficultés d’accès aux soins. En 2011, la région comptait 163 médecins généralistes pour 100 000 habitants contre 177 en France métropolitaine et 172 spécialistes pour 100 000 habitants contre 185 000 en France (données Adeli sur EcoSanté, IRDES 2010).L’amélioration de l’accès aux soins par le numérique doit être mise en adéquation avec les besoins des médecins et des patients et, du côté du médecin, l’augmentation du temps médical et la diminution du temps administratif, couplée à une réorganisation de l’offre de soins, en privilégiant le regroupement des médecins par spécialités, afin de mieux gérer la permanence de cette offre.
Des living labs pour la santé et l’autonomie.
Selon Robert Picard, cofondateur du « Forum des Living Labs en santé et autonomie », la conception de produits et de services basés sur les TIC et à l’aide à l’autonomie, se heurte à des problèmes bien spécifiques. Les « Living labs », – laboratoires d’innovation ouverte associant des contributeurs extérieurs à la conception de l’offre première-, seraient des solutions à ces problèmes, à travers des initiatives de type « cluster économiques ». Ces derniers visent à « améliorer la conception de solutions TIC pour la santé ou l’autonomie par une implication des utilisateurs ».Dans ce contexte, le concept de Living Lab « LL », et les avancées de la recherche en TIC, notamment les « laboratoires d’usage », restent peu exploités. Paradoxalement, les démarches de conception orientée vers une participation accrue de l’utilisateur profane ou professionnel, connaissent un certain succès en Europe. L’Union européenne en est un promoteur actif, à travers le réseau européen « ENoll-European Network of Living Labs », réunissant près de 212 Living Labs. Une initiative régionale, « Limousin expansion » est ainsi à l’origine du pôle de compétitivité « ELOPSYS » dans le cadre de la politique nationale des clusters économiques, favorisant l’émergence d’un lab consacré à l’autonomie des personnes âgées, l’Autonom’Lab. La e-santé est l’affaire de tous. Mais comme le rappellent Bruno Salgues et Norbert Paquel, la multiplicité des acteurs rend parfois complexe une coordination des moyens que l’Etat s’est efforcé de structurer à l’échelon régional, autour d’un acteur central, l’Agence régionale de santé. Mais rien ne se fera durablement, sans une implication élargie aux professionnels de santé, aux citoyens et aux élus, afin d’aboutir à des propositions médicales, économiques et techniques durables pour l’avenir de la e-santé.
Farid GUEHAM
Pour aller plus loin :
– « Télémédecine : une autre manière de soigner »,solidarites-sante.gouv.fr
– « Cardiauvergne : réseau de coordination des soins de l’insuffisance cardiaque », cardiauvergne.com
– « Démographie des professions de santé (Drees/Asip-Santé, répertoire Adeli) », ecosante.fr
– « Autonom’lab : plateforme d’innovation sociale visant à favoriser l’émergence de solutions innovantes pour l’autonomie des personnes sur le territoire du Limousin », avise.org
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