Un monde sans travail

04 octobre 2018

« Les technologies vont-elles détruire le travail ? Cette question tourmente les hommes depuis les débuts de l’ère industrielle. La machine à vapeur, l’électricité, l’automobile ont remplacé des millions d’ouvriers… mais toujours, de nouveaux postes sont apparus. Aujourd’hui, les stupéfiants progrès de l’intelligence artificielle vont confronter la société à un terrible défi ». Tiffany Blandin, journaliste indépendante passionnée d’investigation, nourrit sa réflexion d’entretiens et d’enquêtes de terrain. Sous l’influence et les prédictions des oracles de la Silicon Valley, les entreprises du monde entiers, indépendamment de leur taille, envisagent de se séparer d’une partie de leurs salariés. Au-delà des actions manuelles, l’automatisation concerne aujourd’hui les tâches intellectuelles. Dès lors, comment s’engager dans ce tournant majeur pour le monde de travail, sans que la majorité des emplois soit sacrifiée ?

Le travail ce grand malade. 

 

« Selon les statistiques, 480 000 professionnels souffrent à cause de leur travail. Et combien encore subissent sans rien dire une gestion de plus en plus tournée vers la performance, et acceptent de faire toujours plus, plus longtemps et plus vite… Quant aux jeunes, derniers arrivés sur le marché de l’emploi, ils se voient surtout proposer des contrats de stagiaire, d’autoentrepreneur, de pigiste et autres ». Le marché du travail est malade et les maux dont il souffre sont multiples : de la crise économique mondiale de 2008à l’ouverture des marchés qui pousse les entreprises à toujours plus de compétitivité, le troisième mal serait, selon l’auteure, la révolution numérique. Internet aurait entrainé dans son sillage des secteurs entiers et de nombreux métiers : de la presse écrite en passant par l’audiovisuel, l’industrie musicale, premières victimes de la mise en ligne de contenus gratuits. Le numérique est pourtant une chance pour l’économie, dès lors, pourquoi s’inquiéter ? Pour l’auteure, le constat s’impose : la montée en puissance du numérique est implacable, irrésistible.

 

L’automatisation invisible. 

 

A l’occasion d’un entretien à Châlons-en-Champagne, Tiffany Blandin rencontre Olivier Fache, directeur de la SCAPEST, la centrale d’achat de 11 magasins Leclerc de la région Grand Est. C’est en quelque sorte l’entrepôt du futur, la plateforme logistiquela plus automatisée de France. Un entrepôt 100% autonome, ou presque : « devant l’entrée, nous suivons une palette de jus multivitaminés sur roulettes. Un opérateur l’installe sur un monte-charge, avant qu’elle ne s’envole vers le plateau supérieur. Un second employé la débarrasse alors de son film plastique. A partir de maintenant, il n’y aura plus aucune intervention humaine, me promet le directeur de 54 ans ».La plus-value de ces plateformes réside principalement dans leur capacité à donner des milliers d’ordres simultanés à une centaine de robots. Elle surveille par ailleurs presque 7 kilomètres de tapis roulants, sachant en temps réel où se trouve chaque produit. Toutes ces informations sont analysées, croisées, permettant à la machine de les ranger plus ou moins loin de l’entrée des salles de stockage. Les technologies sont aujourd’hui presque capables de surpasser le cerveau humain« Les automates ont accompagné les cols bleus vers la sortie des usines. Les ordinateurs pourraient-ils réserver le même sort au cols blancs ? ». 

 

 

Des robots employés : tous les métiers sont concernés. 

 

Dans les locaux de l’école 42 de Xavier Niel, le « startup weekend »regroupe de jeunes étudiants aux profils aussi brillants que variés, comme Moojan Asghari, une jeune Iranienne qui a quitté son pays a 22 ans, refuse à 25 ans un emploi « plan-plan » au Crédit Agricole, pour se lancer dans la création d’entreprise. Dans la compétition, elle rejoint une équipe qui développe un robot-avocat,« une machine virtuelle, répondant aux interrogations juridiques des particuliers ». Ces entrepreneurs en herbe assument vouloir capter une partie de la clientèle des professionnels de différents secteurs : les coachs sportifs, les conseillers d’orientation etc… Qu’ils soient trop chers, ou pas assez performants, les algorithmes sauront rapidement les concurrencer et pourquoi pas les surpasser. Techniquement, une grande partie des emplois pourraient être réalisés par une intelligence artificielle« Les programmes automatiques actuels, quand ils seront totalement au point, sont en effet capables d’effectuer avec brio toutes les tâches simples et répétitives, ainsi que les tâches consistant à rechercher des éléments dans une grande quantité d’informations », rappelle Tiffany Blandin. Carl Frey et Michael Osborne, chercheurs à université britannique d’Oxford estiment que 47% des postes existant aux Etats-Unis sont remplaçables, contre 42% en France selon le cabinet Roland Berger. Selon d’autres études, cette substitution ne serait que partielle. Ainsi l’OCDE affirme en 2016 que seulement 9% des emplois présenteraient un risque élevé d’automatisation.

 

Regarder l’automatisation dans les yeux. 

 

« Combien d’emplois vont-ils disparaître à cause de l’intelligence artificielle ? Personne ne peut le dire précisément. Mais la menace d’un chômage massif est bien réelle. C’est pour cela que des organisations aussi différentes que l’université d’Oxford, l’OCDEou le cabinet McKinsey & Company ont financé de grandes études sur l’automatisation des emplois ».Paradoxalement, la question de la destruction de l’emploi par des machines est souvent tournée en dérision. Lors de sa campagne, Emmanuel Macron versait aussi dans cette posture, volontairement caricaturale « Il faudra que des emplois disparaissent, comme les chandeliers ont disparu, mes amis, comme les carrossiers et les porteurs d’eau », affirmait-il lors d’un meeting. Pour Oussama Amar, membre fondateur de l’incubateur de startups The Family, les personnalités politiques et médiatiques refusent souvent de regarder l’automatisation droit dans les yeux. « C’est une question de génération, beaucoup de politiques sont trop âgés pour comprendre la portée de la révolution technologique en cours », ajoute-t-il. Une scientifique française impliquée dans le projet pour le développement de l’intelligence artificielle« France IA » confesse à demi-mot, que le risque de destruction d’emplois est réel « mais de toute façon nous ne pouvons pas faire marche arrière. Alors pourquoi effrayer les gens ? ».La classe politique devra rapidement se saisir de cette question aux ramifications et aux incidences multiples : du financement du chômage de masse, à la réversion des gains de cette nouvelle productivité aux personnes sans capital ni emploi. Le digital laborest en train de s’écrire en l’absence de tout cadre réglementaire, et l’allègement du code du travail n’aidera pas à mieux protéger le salarié du futur.

Farid Gueham

Pour aller plus loin :

–       « De nombreux emplois menacés par l’IA et les robots d’ici cinq ans », iatranshumanisme.com

–       « Digital revolution forces rethink of labour and welfare »euractiv.fr

–       « Le site automatisé de la SCAPEST : du jamais vu en France », lhebdoduvendredi.com

–       « Découvrez comment amazon a remplacé les humains par des robots », challenges.fr

–       « Digital et grande distribution : l’humain d’abord », acccenture.com

–       « The future of employment », oxfordmartin.ox.ac.uk

–       « Quelle réglementation pour les entreprises du numérique », latribune.fr

Photo by Franck V. on Unsplash

 

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