Vive la concurrence fiscale entre Etats!
11 octobre 2018
Mi-septembre, les leaders européens se sont retrouvés à Salzbourg pour discuter notamment d’un projet de taxation des Gafa ; porté par la France, il rencontre l’hostilité de l’Irlande et le scepticisme de l’Allemagne.
L’initiative est révélatrice d’une inquiétude contemporaine : la fluidité de l’économie numérique interroge la capacité de la puissance publique à maintenir son action de redistribution, alors que les bases taxables semblent lui échapper, et à préserver un niveau de confiance suffisant dans l’économie, à travers le prisme de l’équité du jeu concurrentiel.
Un rapport parlementaire a fait le choix de s’attaquer à cette problématique. Il porte sur l’évasion fiscale, qu’il distingue de la fraude (illégale) et de l’optimisation (légale). Il la définit en précisant qu’elle « engloberait ainsi toutes les opérations qui, bien que légales, sont artificielles et sans substance et doivent ainsi être fiscalement sanctionnées, car « il paraît en effet légitime de sanctionner un montage qui, bien que doté de substance économique, c’est-à-dire d’une présence tangible, n’a été réalisé qu’à des fins purement fiscales ». Cette pratique serait une marque d’oppression. Ainsi, « quand les multinationales essaient d’échapper à la juste part d’impôt qu’elles devraient payer en jouant avec la loi et en oubliant le droit, n’oppriment-elles pas les citoyens ? » La liberté « n’est-elle pas menacée lorsque des contribuables physiques ou moraux appliquent la loi de manière artificielle ? » interroge la rapporteure Bénédicte Peyrol (LREM).
A suivre ce rapport, l’administration serait conduite à sanctionner des pratiques, pourtant autorisées, en se fondant sur une appréciation morale au cas par cas. Ce n’est plus l’Etat de droit mais le règne de l’arbitraire
Ce texte est révélateur d’un danger politique et d’une incompréhension économique. L’Etat de droit a émergé aux XIXe et XXe siècles pour, progressivement, imposer des contraintes à l’action de l’administration, dans l’objectif de préserver la liberté des citoyens. La raison en est simple : dans notre histoire contemporaine, l’Etat a été le principal instrument d’oppression, depuis les régimes autoritaires, gauchistes ou réactionnaires, jusqu’aux totalitarismes qui ont tenté de fondre la société dans l’appareil étatique et partisan. Dans un régime démocratique, au contraire, l’Etat procède de la société et non l’inverse : il ne peut donc la réguler qu’avec mesure et n’a aucun droit spontané à la contrôler ou la prélever. Ce rapport parlementaire semble l’oublier. A le suivre, l’administration sera conduite demain à sanctionner des pratiques, pourtant autorisées, en se fondant sur une appréciation morale au cas par cas. Ce n’est plus l’Etat de droit mais le règne de l’arbitraire et du fait du prince.
L’offuscation ne permet pas de comprendre non plus les dynamiques économiques. Au niveau de l’entreprise on devrait, avec un peu de provocation, féliciter le gestionnaire qui optimise l’impôt : c’est de la gestion rationnelle et efficace d’une ressource rare (l’argent) ! Au niveau macro, l’harmonisation fiscale correspond à une forme d’entente entre Etats : elle éteint la concurrence entre eux. Or, celle-ci constitue une incitation en faveur d’une meilleure gestion des ressources publiques. La France, dont les recettes publiques atteignent 54 % du PIB, est-elle bien certaine de les utiliser de façon parfaitement optimale ?
L’avenir de la fiscalité est un débat passionnant et nécessaire – il fera l’objet d’un colloque à l’Assemble nationale samedi prochain. Mais il ne peut se faire au détriment de la liberté économique et des principes démocratiques fondamentaux !
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