Dette : la question du remboursement divise économistes et politiques

Manon Malhère | 22 décembre 2020

Politiques et économistes divergent sur la solution pour régler le fardeau de l’endettement du pays qui frôle les 120 % du PIB.

S’il y a un domaine où Emmanuel Macron essuiera un échec lorsque le temps du bilan sera venu, c’est celui du surendettement du pays. Autant dire, un boulevard pour l’opposition qui, à quinze mois de l’élection présidentielle, a déjà bel et bien investi la question de l’annulation d’une partie de la dette, suscitant des divergences tant à gauche qu’à droite.

Les chiffres sont, il est vrai, vertigineux. Par la force des choses – une crise sanitaire -, la France s’est endettée comme jamais pour tenter de sauver l’économie tricolore depuis mars. Au troisième trimestre 2020, la dette publique a ainsi atteint 116,4 % du PIB, soit 2.674,3 milliards d’euros, a indiqué ce mardi l’Insee. Et, selon les prévisions du gouvernement, elle devrait atteindre 119,8 % à la fin de l’année et dépasser les 120 % en 2021…

On ne va pas avoir des plans d’austérité ad vitam aeternam pour rembourser une dette dans laquelle nous n’avons aucune responsabilité, ni morale, ni politique, ni économique.

La France, tout comme les autres pays confrontés à la pandémie, a ainsi basculé dans un nouveau paradigme où l’argent ne semble plus avoir de valeur. Alors qu’hier on avertissait sur le danger d’un endettement de près de 100 % du PIB – la France n’ayant pas engagé les réformes nécessaires pour assainir ses comptes ces dernières années -, la dette apparaît comme la solution miracle pour soigner les maux du pays. D’autant que cette crise intervient à l’heure où les États peuvent s’endetter à bas coût grâce à la politique de la BCE de rachat de dettes publiques et le surcroît d’épargne. Résultat : alors que la dette est passée de 100 % à 120 % du PIB cette année, le coût d’emprunt pour la France n’a jamais été aussi faible, avec une charge des intérêts ramenée à 36,2 milliards. Mais jusqu’à quand cette situation sera-t-elle soutenable auprès des marchés?

La BCE n’a pas besoin de demander le remboursement de la dette tant qu’elle n’est pas attaquée.

Depuis plusieurs semaines, le gouvernement infléchit ainsi son discours en vue de préparer les esprits à la fin du «quoi qu’il en coûte» présidentiel. «Il faut faire les choses les unes après les autres, la protection, la relance et ensuite rembourser la dette que nous avons contractée et reprendre le chemin des réformes», martèle le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire. L’exécutif vient d’ailleurs d’installer une commission sur l’avenir des finances publiques chargée de trouver des solutions mais surtout de renforcer sa communication sur le sujet. Certes, «la dette Covid est différente car elle n’est pas liée à la gestion financière du pays. Tous les pays se sont endettés pour faire face à la crise, précise l’économiste Jean-Noël Barrot, par ailleurs secrétaire général du MoDem. En revanche, si nous continuons à lever de la dette pour financer la mauvaise gestion de l’État, cela risque de poser problème auprès des investisseurs à terme.»

Sauf que pour l’heure le message reste d’autant plus inaudible qu’il est pollué par le débat sur la suppression d’une partie de la dette, celle contractée pour répondre à la crise. Le sujet n’a pas échappé au président du groupe LFI, Jean-Luc Mélenchon, qui propose d’«annuler une partie de la dette qui se trouve dans le bilan de la BCE». L’ancien ministre Arnaud Montebourg a lui aussi prôné «une annulation concertée de toutes les dettes Covid des pays de la zone euro». Une solution qui n’est toutefois pas partagée par tous à gauche. «La BCE n’a pas besoin de demander le remboursement de la dette tant qu’elle n’est pas attaquée. Et pour cela, il nous faut une croissance potentielle suffisante», explique Valérie Rabault, la présidente du groupe PS à l’Assemblée.

Personne ne paiera jamais cette dette. La solution est d’annuler une partie de la dette qui se trouve dans le bilan de la BCE.

Même à droite, où la rigueur budgétaire est de mise, l’idée fait son chemin. «Il faut réfléchir à une renégociation au niveau de l’UE pour transformer une partie de la dette, comme la dette Covid, en une dette perpétuelle. En échange, on redéfinirait avec les partenaires européens de nouveaux critères de rigueur budgétaire», explique Guillaume Peltier, le vice-président délégué de LR. De quoi faire grincer des dents certains barons du parti. «Une dette est une dette qu’il faut rembourser, sinon on s’attaque à la souveraineté même du pays. Tout le reste est de l’artificiel», recadre Éric Woerth, président de la commission des finances à l’Assemblée et ancien ministre du Budget. Quant à l’extrême droite, «la dette Covid détenue par la BCE est tout à fait annulable», estime Laurent Jacobelli, porte-parole du Rassemblement national.

Question de crédibilité

S’attaquer au désendettement de la France est un sujet complexe qui divise aussi les experts. Si certains économistes prônent également l’effacement de la dette détenue par la BCE, d’autres tirent la sonnette d’alarme. Tant sur son annulation – interdite par les traités européens – que sur la constitution d’une «dette perpétuelle» qui reviendrait à seulement payer les taux d’intérêt ad vitam aeternam. «Ceux qui prônent l’annulation de la dette font croire à tort que l’on dispose d’une baguette magique pour financer sans conséquences des dépenses. C’est très dangereux. Au final, il y a toujours quelqu’un qui paie», avertit Gilbert Cette, professeur associé à l’université d’Aix-Marseille.

Il faut faire les choses les unes après les autres : la protection, la relance, et ensuite rembourser la dette que nous avons contractée et reprendre le chemin des réformes.

En réalité, c’est moins le niveau de la dette que sa soutenabilité qui est en jeu. Autrement dit, la capacité de la France à rester crédible sur les marchés et donc la garantie qu’elle honorera ses créances. Sinon, le pays risque de perdre toute légitimité face à des investisseurs affolés qui pratiqueront certainement des taux très élevés et rédhibitoires sur les futurs emprunts.

«Grâce à la politique ultra-accommodante de la BCE, la Banque de France a acheté la quasi-totalité de la dette Covid et détient environ 30 % des 120 % de PIB de la dette française dans son bilan. Cette part de la dette est totalement gratuite pour l’État car la Banque de France lui reverse les intérêts. C’est donc une dette qui restera dans le bilan de la Banque de France et il ne faut rien faire. C’est comme si elle n’existait pas, nuance pour sa part Patrick Artus, chef économiste chez Natixis. Le vrai sujet est la dette pré-Covid mais aussi post-Covid que nous allons devoir sérieusement maîtriser en engageant des réformes car la BCE va progressivement revenir à une politique normale et les taux vont augmenter.»

Une dette est une dette qu’il faut rembourser, sinon on s’attaque à la souveraineté même du pays.

D’ailleurs, même si la BCE continue une politique accommodante, sans assainissement de ses comptes la France risque d’être sérieusement pénalisée sur les marchés lorsque des pays comme l’Allemagne, qui ont abordé la crise en pleine forme financière, rétabliront leurs finances et bénéficieront, eux, de toute la confiance des investisseurs…

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