Dominique Reynié : “Depuis 1988, la droite s’est arrêtée de penser”

Henrik Lindell et Pascale Tournier | 04 juin 2019

Alors que Laurent Wauquiez a démissionné de la présidence des Républicains, le politologue Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), analyse les raisons profondes de la crise que traverse le parti.

Comment expliquer une telle déroute ?

On ne peut pas demander à un seul candidat, malgré sa sincérité, son intelligence et son implication, d’empêcher le naufrage d’un gros bâtiment qui était déjà en train de couler. François-Xavier Bellamy n’est pas un magicien. Par ailleurs, il a été choisi pour de mauvaises raisons. L’entourage de Laurent Wauquiez semble avoir imaginé que le retour de la droite le plus facile et le moins coûteux pouvait s’opérer à partir d’un usage superficiel des valeurs. La vision de l’humanité que porte un parti politique est un sujet central. Tout peut se déduire de là. Mais le raisonnement de ceux qui ont composé la liste Bellamy relève de l’utilisation simpliste : il s’agissait de choisir une figure censée incarner une droite catholique, conservatrice. Ils pensaient pouvoir séduire les électeurs de La Manif pour tous et de Sens commun.

Tout se passe, une fois de plus, comme si l’on voulait réaliser un bon coup, à peu de frais, quitte à dévoyer le sens du message supposé. Un ou deux jours après l’officialisation de la liste des LR, Laurent Wauquiez a voulu mettre en scène un échange avec Éric Zemmour, où l’on voyait le premier insister lourdement sur sa complicité avec le second. Inévitablement, le choix d’une telle mise en scène, au lendemain de la désignation de la tête de liste, donnait à la décision de choisir Bellamy le sens d’un tournant idéologique mettant l’accent sur l’identité.

Pendant la campagne, on parlait de dynamique pour LR ; les médias pointaient le retour de la droite. Comment expliquez-vous une telle différence avec les résultats ?

Il existe un fossé structurel entre les médias, les experts et les électeurs. C’est un problème de plus en plus important. Les élites politico-médiatiques sont trop endogames. C’est comme sur les réseaux sociaux avec le phénomène des bulles filtrantes : on pense que tout le monde est d’accord avec soi, mais on ne croise pas ceux qui sont en désaccord. Si on ne prend pas garde à cela, il devient impossible d’observer correctement la société.

Le positionnement conservateur de François-Xavier Bellamy n’est-il pas à remettre en question ?

Son analyse est juste à bien des égards. Une société est équilibrée si, à la fois, elle respecte son passé tout en se projetant dans l’avenir. Il définit une tension nécessaire et qui peut aider bien des concitoyens en pleine déstabilisation existentielle. Son propos sert de structure générale. Mais il reste trop conceptuel. Bellamy a fait l’impasse sur des problématiques comme l’intelligence artificielle ou les biotechnologies. Quand il s’est rendu en Grèce, il n’est pas allé au port du Pirée, aujourd’hui propriété des Chinois. Il n’a rien dit sur nos voisins, comment s’associer avec eux. L’idée d’ériger une double frontière, nationale et européenne, ne me paraît pas sérieuse.

À vous écouter, le mal ne date pas des européennes, mais il est très profond…

Le monde change, mais pas la droite. Cette situation remonte à la fin des années Pompidou. Avec l’arrivée de la crise pétrolière des années 1970, la droite n’a pas changé son logiciel, ou à la marge. Elle n’a pas su penser la mondialisation. Après la défaite face à François Mitterrand, elle a semblé vouloir réviser son rapport à l’État, avec Jacques Chirac et Édouard Balladur. Après 1988, elle s’est arrêtée de réfléchir. Résultat : hormis quelques postures ou formules, on ne peut plus faire la différence avec la gauche. Les deux familles politiques appliquent la même politique. Parallèlement, le FN commence à percer dès la fin des années 1980 et ne cesse de progresser par la suite, faisant mécaniquement reculer la droite et la gauche.

La droite classique a-t-elle encore un espace politique ?

Le problème de fond est que Macron a absorbé un électorat de droite modérée, les retraités et une grande partie des catholiques pratiquants. La droite était pourtant sûre de ce « stock ». Par ailleurs, les électeurs pro-entreprise sont chez Macron, puisque la droite accepte désormais d’afficher son hostilité aux privatisations, aux côtés de LFI, du PCF et du PS sur la question d’ADP… Le créneau qu’il pourrait lui rester est celui de l’identité, disent certains. La campagne a porté sur ce sujet de manière implicite. Elle a conduit au résultat que l’on connaît. En réalité, les causes sont profondes. Quand la droite a été battue, en 2017, il aurait fallu organiser un immense débat permettant une mise à plat et l’émergence d’idées et de têtes nouvelles. J’ai alors entendu : « Notre candidat était mauvais, il y a eu les affaires. » Mais le déclin de la droite, comme celui de la gauche, était engagé depuis longtemps. L’affaire Fillon n’explique pas grand-chose.

C’est Macron qui a fait la mise à plat…

La droite n’a pas compris l’élection présidentielle de 2017. Elle s’est dit : « Emmanuel Macron a gagné par erreur, les gens vont s’en rendre compte. C’est un accident. On ne va pas tarder à revenir. » Et quand le résultat aux européennes tombe, le premier commentaire de Laurent Wauquiez est : « C’est la faute à Macron. » Ce n’est pas, alors, une attitude responsable. D’autres encore ont parlé du « fiasco Bellamy ». Mais c’est le fiasco des LR ! La démission de Laurent Wauquiez est à la mesure de l’échec. C’est une bonne décision.

La droite pourrait-elle s’en sortir avec un chef qui incarnerait une dynamique ?

C’est une nécessité de changer l’organisation qui vient d’échouer. La droite doit trouver ses chefs, peut-être même son nouveau nom. Peut-être pourrait-elle alors revenir, à la faveur des difficultés que ne manquent pas de rencontrer les gouvernants. Mais la droite vient de tomber du deuxième au quatrième rang. La probabilité de voir Marine Le Pen accéder au pouvoir est donc plus grande. À mon avis, ce serait la fin de la Ve République. La droite pourrait être à l’origine de l’effondrement du régime qu’elle a fondé.

Mais Marine Le Pen ne se heurterait-elle pas à un plafond de verre ?

Cette notion de plafond de verre a émergé à un moment particulier, qui ne correspond plus à la réalité : Marine Le Pen était alors opposée à l’euro. Or, aujourd’hui, même si elle demeure confuse, elle a écarté la sortie de la monnaie unique. On avait aussi le choix entre la droite et la gauche. C’est aussi fini ! En 2022, de nombreux Français vont être exaspérés par le pouvoir en place. Déjà, cette année, à travers le mouvement des « gilets jaunes », on a vu des niveaux de détestation sidérants et préoccupants. Beaucoup de leurs sympathisants se sont abstenus par colère ou ont voté Le Pen. Le plafond de verre ne résisterait pas à une nouvelle poussée de colère.

Finalement, la gauche semble être en moins mauvaise posture que la droite…

Je suis plutôt d’accord. Mais à une réserve près : la gauche est en porte à faux sur la question du multiculturalisme. C’est un sujet sur lequel la France est très crispée. Macron le sait bien et il a déjà donné des signes. Il doit continuer, car il va devoir arrimer son électorat de droite qui a voté pour lui aux européennes. Sur ce sujet, la gauche était jusqu’ici très maladroite et à contre-pied avec sa propre tradition sur la laïcité et sur l’émancipation. Les politiques sont victimes d’une ambiance très particulière, très parisienne, en fait. Je ne crois pas qu’un candidat pourra être élu en 2022 sur un programme prônant l’ouverture dans ce domaine.

 

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