«Le niveau de la menace populiste est historiquement élevé»

Loris Boichot | 09 octobre 2019

INTERVIEW – «De toutes les démocraties, la France est sans doute la plus exposée à une amplification de la protestation électorale», analyse le politologue Dominique Reynié.

Professeur des universités à Sciences Po, Dominique Reynié est directeur général de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol).

LE FIGARO. – À lire votre enquête, les électeurs sont majoritairement protestataires, c’est-à-dire tentés par l’abstention, le vote blanc ou le vote antisystème. Est-ce bien nouveau?

Dominique REYNIÉ. Oui, il y a une très spectaculaire montée des eaux protestataires. La dernière élection présidentielle l’a montré, avec un vote antisystème sans précédent dans notre histoire électorale. Dans ce prolongement du scrutin de 2017 se déploie une fébrilité sociétale inédite, entre les «gilets jaunes», les «zadistes», les animalistes, les écologistes… Sans parti ni représentants, ces formes de militantisme se transformeront nécessairement en puissance électorale en 2022. Plus encore qu’auparavant, c’est la future élection présidentielle, avec ses futurs candidats, qui récupérera cette agitation sociétale fragmentée et cette société en ébullition.

Quelle ampleur la protestation électorale peut-elle prendre lors de ce prochain scrutin national?

Le niveau de la menace populiste est historiquement élevé. D’autant que de toutes les démocraties, la France est sans doute la plus exposée à une amplification de la protestation électorale. Parce que l’élection directe du chef de l’État au suffrage universel semble faite pour les populistes. Et parce que la France, contrairement au Royaume-Uni par exemple, n’a pas une passion pour la démocratie représentative. En 2022, le système sera-t-il en mesure de réguler cette protestation électorale doublée d’une agitation sociétale? Résistera-t-il?

Pourquoi parlez-vous de «menace»?

L’élection en France d’un président populiste – par exemple Marine Le Pen – pourrait ouvrir une crise de l’Union européenne (UE), de l’euro, et une paupérisation radicale des Français. Dans le monde d’aujourd’hui, ce serait une aventure! Une élection a pour fonction de faire exister la confrontation dans la pluralité, mais cela ne saurait aller jusqu’à mettre en péril la nation qui l’organise. L’élection présidentielle serait à la fois la conséquence et la cause d’un effondrement historique.

Comment expliquer cette montée de la protestation électorale?

Ce mouvement est mû par les grandes forces de l’histoire. La fin des années 1980, marquée par la chute du communisme, l’entrée dans la globalisation et dans l’ère du numérique, a déstabilisé de façon existentielle la plupart des Français et des Européens. Ce phénomène a été aggravé par la question démographique, c’est-à-dire le vieillissement de la société et l’immigration. Depuis, notre système politique français ne parvient pas à donner le sentiment de reprendre le contrôle du destin des Français – souvenez-vous de «l’État ne peut pas tout» de Lionel Jospin, en 1999. À tel point que l’alternance entre la droite et la gauche est aujourd’hui épuisée. Devant les difficultés, le président socialiste sortant, en 2017, a même décidé de ne pas se représenter.

Avec la chute des deux mastodontes de la Ve République – la droite et la gauche – Emmanuel Macron est-il devenu le leader du vote non protestataire?

Oui, la situation historique crée ce clivage. Les bons vieux partis de gouvernement ont été portés au pouvoir et défaits à diverses reprises. Ils ont raté des rendez-vous, en refusant par exemple de redresser les comptes publics quand c’était encore possible, dans les années 1970 ; en permettant le regroupement familial, en 1976 ; en ouvrant les vannes de la dépense publique en 1981, etc. C’est leur échec qui a conduit au duel Macron-Le Pen, et non Macron-Le Pen qui les ont expulsés du pouvoir. Il ne faut pas inverser l’analyse. Ce qui se traduit dans le clivage entre partis de gouvernement et partis populistes, c’est une crise de la confiance dans les formes modérées de gouvernement et l’avènement d’un soutien à des formes plus radicales et moins conventionnelles.

Parler de «populismes», n’est-ce pas faire fi des différences entre le populisme protestataire de Mélenchon, doublé d’un national-populisme chez Le Pen?

Il n’y a qu’une seule différence entre les deux: la question du rapport à l’étranger. Ce qui fait le succès de Marine Le Pen, c’est son souci d’aborder à la fois la crise du «patrimoine immatériel» (le style de vie) et celle du «patrimoine matériel» (le niveau de vie). C’est ce populisme patrimonial qui triomphe, en France comme en Europe, quand Jean-Luc Mélenchon ne se limite qu’au patrimoine matériel. À la présidentielle de 2017, moins de deux points séparaient le chef de file de La France insoumise (LFI) et la candidate du Front national (FN). Aujourd’hui, le duel des populismes est terminé. Marine Le Pen a pris le leadership de la protestation électorale.

Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon n’échappent pourtant pas à l’usure de leur image, alors même qu’ils ne sont pas au pouvoir. Pourquoi?

Ils ont été candidats à deux présidentielles, en 2012 et 2017, et donc très exposés dans les médias. Le nouvel espace public, l’information en continu et les réseaux sociaux précipitent cette usure pour tous les politiques et pour eux aussi. C’est un phénomène nouveau, dans un cycle de dégagisme qui n’épargne pas les leaders populistes. Cela signifie aussi que leurs opposants doivent se réjouir de les voir demeurer en place. Car si, un jour, un président du Rassemblement national (RN) ne s’appelle plus Le Pen – un nom présent sans discontinuer dans la vie politique depuis 1974 -, le potentiel de ce parti serait encore augmenté. Cette usure des leaders populistes, conjuguée à l’attachement d’une majorité des Français à l’UE et à l’euro, est un frein à la tendance populiste.

Le développement de formes de démocratie participative ou directe est-il une réponse à cette crise de confiance?

Ces outils, pertinents à l’échelle locale, sont une façon d’interroger l’ingénierie institutionnelle. Mais nous ne manquons pas d’instruments pour savoir ce que veulent les Français. Nous manquons de moyens pour accomplir leurs préférences. Et peut-être de détermination.

 

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