Il a d’abord fallu se mettre bien d’accord sur la définition du terrorisme islamiste. A savoir, l’usage illégal de la force et de la violence par un acteur non étatique, visant par la terreur, à l’instauration d’un ordre politique et social fondé sur la religion musulmane interprétée dans un sens fondamentaliste. Ensuite, l’équipe de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) s’est livrée depuis juin 2018 à un travail de fourmi pour vérifier et compiler les données associées à chaque attentat islamiste commis depuis 1979.

Pourquoi la France est-elle le pays européen le plus touché par les attentats islamistes ?
Dominique Reynié | 09 novembre 2019
Le directeur général de la Fondation pour l’innovation politique est à l’origine d’une étude menée sur l’histoire des attentats islamistes de 1979 à 2019. Il livre son analyse des résultats.
Les six chercheurs du Fondapol, dont Dominique Reynié, directeur général de ce cercle de réflexion, ne sont pas partis d’une feuille blanche. Ils ont pu s’appuyer sur le Global Terrorism Database, une base de données créée par l’Université du Maryland (Etats-Unis), qui compile tous les attentats, quelle que soit leur nature, commis depuis 1970.
Pourquoi la France est-elle le pays de l’Union européenne le plus touché par les attentats islamistes au cours de ces 40 dernières années ?
DOMINIQUE REYNIÉ. La première raison est liée à la position diplomatique et militaire de la France. Notre pays est en effet l’une des rares puissances démocratiques, avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni, à avoir envoyé des militaires sur le terrain extérieur et, notamment, dans des pays musulmans, comme au Mali et en Syrie ces dernières années. Mais cet argument n’est pas suffisant.
C’est-à-dire ?
Par son histoire coloniale, la France a entretenu des relations intimes avec plusieurs pays musulmans qui se sont soldées parfois par des guerres. Je pense bien sûr à l’Algérie. Cette hostilité ancienne s’est enkystée et a constitué un terreau idéologique pour des opérations terroristes sur le sol français. Enfin, le nombre important de Français musulmans et juifs (NDLR : respectivement 5 millions et 500 000 environ, pratiquants et non-pratiquants confondus), a favorisé au cours de ces quatre dernières décennies l’importation sur notre territoire du conflit israélo-palestinien.
Au-delà de la France, quel est le principal enseignement de votre étude ?
Ces données compilées sur 40 ans confirment la réalité d’une terrible montée en puissance de la violence islamiste sur l’ensemble de la planète, en particulier au cours des vingt dernières années. Avant 2001, la progression est relativement lente et les événements restent localisés. A partir de 2001, nous relevons une globalisation du terrorisme islamiste. A partir de 2013, une accélération dramatique et spectaculaire a lieu, sous les influences conjuguées de l’Etat islamique et de Boko Haram. C’est sur cette période 2013-2019 que se concentrent 73 % des victimes du terrorisme islamistes que nous recensons depuis 40 ans.
Selon les conclusions de votre étude, 91 % des victimes des attentats islamistes vivaient dans un pays musulman. Comment interprétez-vous ce résultat ?
Cela signifie très clairement qu’à l’échelle de la planète, les musulmans sont les principales victimes de l’islamisme. Ce que, d’ailleurs, beaucoup de musulmans de France nous disent. Il faut donc libérer l’islam de l’islamisme. En France, comme ailleurs.
Vous établissez par ailleurs un lien entre les attentats islamistes et la montée des populismes…
Nous parlons là des populismes de droite. Les débuts électoraux du populisme en Europe se situent à la fin des années 1980, en France comme dans les pays scandinaves. Cela ne cesse ensuite de progresser. Le 11 septembre 2001 est un facteur direct d’accélération du vote populiste. Aux Pays-Bas, par exemple, et en France aussi, bien sûr, avec la présence quelques mois plus tard de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de l’élection présidentielle. Quant au pic de la vague terroriste en 2015 et 2016, il a clairement profité au populisme de droite, en France comme en Europe. De la même manière, la victoire de Donald Trump en 2016 doit beaucoup à la peur de l’étranger, en tant que figure négative de la globalisation.
Au-delà de leur concomitance, comment démontrez-vous que ces deux phénomènes, l’islamisme et le populisme, se répondent à ce point ?
Les Européens ont le sentiment, au cœur d’un univers globalisé, de flotter sans frontières, ni nationales ni européennes. Ils se sentent ainsi très exposés à toutes les figures de la mondialisation : les pandémies, les crises financières, les mouvements migratoires, les délocalisations, le réchauffement climatique… Et le terrorisme islamiste. Ce qui conduit à une question de fond qui se diffuse au sein de la population : Qui est capable de nous protéger ? Ceci offre un extraordinaire avantage aux populistes et presque toujours aux populistes de droite. Ces derniers, le Rassemblement national en France ou la Ligue en Italie, ramassent la mise sur le plan électoral parce qu’ils ont pris en charge la dénonciation de l’immigration et de l’islam, pas seulement de l’islamisme. D’ailleurs, que se passera-t-il si une nouvelle vague d’attentats se produit en France d’ici la prochaine élection présidentielle de 2022 ? On peut être très inquiets à ce sujet.
Pourquoi les partis traditionnels peinent-ils à trouver la parade ?
Les populistes européens ont tous prospéré sur des préoccupations qui n’étaient pas jugées recevables par les partis installés, de droite comme de gauche. Or, il faut parler de la peur suscitée par l’islamisme et les attentats islamistes. Il faut même parler de la peur suscitée par l’islam. Il faut en discuter, mais pas avec le vocabulaire, les intonations et les outrances des populistes.
Quelle réponse concrète les démocraties peuvent-elles apporter ?
A mon avis, elles doivent réagir au travers d’une réponse collective, en particulier en Europe. Cela doit passer par la sécurisation du continent et de ses frontières. Mais cet idéal n’est pas vraiment énoncé aujourd’hui et nous en sommes réduits à des systèmes de gestion « jour après jour » et à du chacun pour soi. Notamment sur les questions de politique migratoire.
Que pensez-vous de l’idée d’une société de la vigilance proposée par le président Emmanuel Macron à la suite de l’attentat de la préfecture de police de Paris, le 3 octobre ?
Cette réponse me semble adaptée à la situation. Il est impossible de contenir les menaces terroristes par la seule mobilisation des forces de police et des services de renseignement. Sinon, nous finirions par une sortie de l’Etat de droit. Veut-on vivre dans un Etat policier de type chinois? Tous filmés et géolocalisés en permanence? Le prix à payer sur les libertés individuelles serait colossal. Donc, l’idée de solliciter les citoyens en leur demandant d’être vigilants et solidaires est un discours raisonnable.
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