
Retraites : débat sur un bras de fer
Gabriel Attal | 02 décembre 2019
Plus qu’un face-à-face classique, la semaine qui s’ouvre s’affirme comme un test pour les rapports sociaux dans un pays qui a profondément changé depuis 1995. Le haut-commissaire aux Retraites, Jean-Paul Delevoye, rencontrera une nouvelle fois les syndicats avant la grève de jeudi.
« Ni veillée d’armes, ni business as usual. On fait le point avant une séquence certes importante mais pas décisive. » Réuni en séminaire gouvernemental à Matignon dimanche après-midi, le gouvernement aborde une semaine que beaucoup cherchent à projeter comme un test.
Une semaine ? Ou des semaines ? La question agite politiques, observateurs, syndicalistes. Avec, en creux, l’image classique du bras de fer, où l’un des protagonistes finirait, par la force ou par l’usure, à l’emporter sur l’autre. 2019, miroir de 1995 ? Nombreux sont ceux qui en doutent aujourd’hui, voyant avant tout cette semaine comme un test pour la démocratie sociale. En soutien à cette conviction, un contexte profondément différent.
S’agissant de la donne politique, d’abord : le « plan Juppé », porté immédiatement après une campagne présidentielle engagée contre la « fracture sociale », fut vécu comme une trahison. Là où Emmanuel Macron, porté par un élan réformiste, s’engageait dès sa campagne pour un système universel de retraite par points qu’il s’attache aujourd’hui à appliquer.
Sauver le modèle français de répartition
S’agissant de la donne sociale, ensuite : vingt-cinq ans de réformes successives, et autant de réinterrogations du modèle français. « Ce qui a beaucoup changé, analyse Dominique Reynié, président de la Fondapol, c’est la conscience de la raréfaction des ressources entre membres d’une même communauté. » L’impératif de soutenabilité de notre modèle, qui fait désormais consensus s’agissant de l’environnement, s’applique-t-il aujourd’hui aux débats sociaux ? La majorité, en tout cas, n’a eu de cesse de marteler ces dernières semaines le sens de sa réforme : sauver le modèle français de répartition en l’adaptant aux bouleversements de la société et du monde du travail.
D’autant que ces dernières années ont vu émerger d’autres vecteurs de mobilisation. Pétitions, réseaux sociaux, boycotts, occupation symbolique de l’espace public : la manifestation et le blocage ne sont plus que deux outils dans une palette désormais bien plus large. « Le spectre des mobilisations s’est déplacé. On voit bien qu’il y a une réinvention via des méthodes plus ponctuelles, en témoignent les actions autour du Black Friday et le mouvement Extinction-Rébellion », analyse Raphaëlle Remy-Leleu, ancienne syndicaliste à l’Unef, qui estime cependant « qu’une grève, ce n’est pas un moment d’inertie, mais de création de discours via le rassemblement, qui a donc une utilité forte ».
Pour Jean-Marie Pernot, spécialiste des mouvements sociaux, « on voit bien que le sous-bassement gréviste s’est progressivement réduit depuis 1995. A l’époque, il y avait des mouvements de grève très ancrés, en 2010 des millions de gens dans la rue mais un fond gréviste assez faible ». Erosion des points de force, lassitude face à des mouvements qui n’ont pas eu l’efficacité attendue : ces facteurs pèseront sans aucun doute.
Renouvellement historique des rapports sociaux
« Le 5 décembre est préparé et mis en scène comme une grande confrontation avec une forme de compte à rebours de la mobilisation, c’est dangereux pour nous tous », estime Aurore Bergé, porte-parole de La République En marche. Plutôt qu’un bras de fer, cette semaine sociale est plutôt regardée, par la majorité, comme l’opportunité d’un renouvellement historique des rapports sociaux. A l’Elysée, un proche du chef de l’Etat résume ainsi l’état d’esprit de la majorité : « Faire un compromis, c’est admettre qu’il n’y a pas de réforme chimiquement pure et que les rapports sociaux ne peuvent être prisonniers d’une logique du pour et du contre ».
Dans une semaine, le haut-commissaire aux Retraites, Jean-Paul Delevoye, proposera une issue aux centaines de rencontres avec les syndicats ces derniers mois. De la chimie à l’alchimie sociale ?
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