"Aubry et Hollande sont plus différents que ne le voit Montebourg"

Christophe de Voogd | 13 octobre 2011

Interview de Christophe de Voogd, responsable du blog Trop Libre dans Atlantico, du 12 octobre 2011.

Atlantico : Martine Aubry et François Hollande débattent ce mercredi soir avant le second tour de la primaire PS. Entre la fille de Jacques Delors et l’un des anciens dirigeants du Club Témoin, think-tank de Delors, l’ombre de l’ancien Président de la Commission européenne planera-t-elle ?

Christophe de Voogd : Tous les deux peuvent être qualifiés de « deloristes ». Mais la fille biologique de Jacques Delors n’est pas forcément sa fille spirituelle ! Martine Aubry a un lien affectif et reste proche de son père sur deux sujets indiscutables : le dialogue social dans l’entreprise (son premier titre de gloire fut d’avoir rédigé il y a trente ans les lois Auroux) et la construction européenne.

Mais j’ai tendance à penser que François Hollande est plus proche de l’héritage politique de Jacques Delors. Il est moins étatiste que Martine Aubry, qui reste rattachée à la loi des 35 heures…

C’est Dominique Strauss-Kahn qui était à l’origine de cette loi…

Vous avez historiquement raison. Mais c’est Martine Aubry qui a étatisé le dispositif de Dominique Strauss-Kahn. C’est elle qui a imposé et uniformisé les règles. Quand on écoute son discours, les termes d’État et de service public reviennent sans cesse. Cela n’est guère deloriste. C’est éloigné de l’inspiration sociale chrétienne de son père.

Comment peut-on définir le « delorisme » ?

Celui-ci correspond essentiellement à ce que l’on appelle « la deuxième gauche », c’est-à-dire à un courant de la gauche réconcilié avec le marché.

L’oeuvre majeure de Jacques Delors c’est l’oeuvre européenne, particulièrement le traité de l’Acte unique, son « traité favori » dit-il, sa grande réalisation. Or l’acte unique introduit la libre circulation notamment des capitaux et la libéralisation du marché des prestations financières. Le « delorisme » est donc un social-libéralisme qui évoque le « rocardisme »… sans Rocard !

Comment ces « deloristes » peuvent-ils donc intégrer à leur pensée sociale-libérale la démondialisation vantée par Arnaud Montebourg ?

Vont-ils seulement tenter de l’intégrer ? J’ai vu que François Hollande ne prononçait pas le terme de « démondialisation ». Il parle de « régulation » ce qui s’inscrit dans le cadre du « delorisme » qui consiste justement à réguler le capitalisme.

L’électorat de Montebourg devrait se répercuter plus largement sur Martine Aubry que sur François Hollande, car elle se positionne plus à gauche. Il faudrait bien-sûr analyser la sociologie des électeurs de chacun, mais s’il se confirme que l’électorat d’Arnaud Montebourg est rempli d’agents du service public, ses voix devraient aller plutôt à Martine Aubry, même si lui-même fait un autre choix.

Reste que l’un des points clés du débat de ce mercredi soir tient à son dispositif. On ignore dans quelle mesure les journalistes interviendront… De cela dépend beaucoup le contenu de la discussion. Si le débat est mené par des journalistes, alors il devrait largement être question de démondialisation, du positionnement des deux candidats vis-à-vis de l’électorat d’Arnaud Montebourg.

A l’heure actuelle, François Hollande n’a sans doute pas encore trouvé le bon discours. Il n’est pas encore très clair sur son positionnement : il se dit « cohérent sur son programme » tout en indiquant qu’il entend ce que signifie le vote Montebourg. En revanche, Martine Aubry, par son positionnement ancré dans la tradition étatiste de la gauche française dans laquelle s’inscrit totalement Arnaud Montebourg, est plus à même de recueillir le vote des électeurs « montebourgeois ».

Cependant, Jacques Delors est à l’opposé des idées développées par Arnaud Montebourg. Souvenons-nous que c’est lui qui en 1983 a prôné le maintien de la France dans le système monétaire européen (SME) et que c’est lui qui a désindexé les salaires en France. Qu’aurait fait Montebourg à l’époque ?

Le débat actuel ferait donc écho à celui de 1983 ?

Disons que le débat qui entoure la démondialisation en rappelle d’autres au sein du PS : celui de 1983, mais aussi celui du débat constitutionnel européen, comme celui sur l’ouverture du marché commun… Je ne vois donc aucune « idée nouvelle » là-dedans. Ces débats correspondent à une très forte tentation de renfermement, vieux comme la culture politique française, qui existe aussi bien à gauche qu’à droite (il suffit d’écouter Marine Le Pen).

Le politologue Gérard Grunberg insiste ainsi sur la permanence entre deux cultures de la gauche française :

  • L’étatisme, héritage long de l’histoire de France, aussi bien monarchique que révolutionnaire, comme l’a montré Tocqueville, relayé et renforcé par l’apport marxiste. C’est dans cet héritage que s’inscrit Martine Aubry.
  • La tradition de la deuxième gauche qui, pour une part, remonte à Proudhon, centrée sur le dialogue social, l’autonomie, l’autogestion et le réalisme économique. François Hollande, qui a une forte culture économique, me paraît plus proche de ce « social-libéralisme ».

Cette ligne de fracture passe au sein du PS depuis toujours.

Par conséquent, je ne partage pas l’avis d’Arnaud Montebourg ou d’autres : je vois d’assez nettes différences entre Martine Aubry et François Hollande. Regardez lors des débats précédents le premier tour de la primaire comment Martine Aubry se situait du côté de Ségolène Royal pour tout ce qui touche aux sanctions, interdictions ou condamnations et comment François Hollande se trouvait lui beaucoup plus dans l’incitation et le pragmatisme.

Finalement, Martine Aubry s’inscrit bien plus au coeur de l’héritage mitterrandien. Ce n’est pas un hasard si elle a été ministre sous Mitterrand, alors que François Hollande ne l’a jamais été. Regardons aussi qui se trouve autour d’elle : Benoît Hamon n’a rien de « deloriste », ni dans le style, ni dans l’idéologie. Même chose pour Laurent Fabius qui était opposé en 1983 à Delors, souhaitait voir la France sortir du SME et a voté non en 2005 au Traité constitutionnel européen. De son côté, François Hollande se situe lui dans la tradition « deloriste », plus incitative et sociale-libérale. Et ce n’est pas un hasard si les Européens les plus convaincus du PS, comme Pierre Moscovici, sont derrière lui.

 

Dans le contexte de crise actuel, le « delorisme » peut-il encore subsister ou doit-il insuffler une dose de « démondialisation » pour s’adapter ?

Tout le problème tourne en fait autour de la grande impasse du premier tour des primaires : rien sur l’international ! Ce qui est tout de même inouï quand on vit dans la mondialisation et que certains proposent la « démondialisation » ! Arnaud Montebourg affirme son attachement à l’Europe et à l’euro et dit placer son protectionnisme au plan européen : ce qui pose deux petits problèmes : est-il sûr que l’Europe ait intérêt au protectionnisme ? Or, pas la moindre discussion là-dessus. Et surtout aucun de nos partenaires n’est sur cette ligne, à commencer par l’Allemagne : les formules incantatoires du genre « dès que je serai élu(e) j’irai voir Madame Merkel ! » relèvent donc purement et simplement de l’autosuggestion…

 

Ce débat télévisé et la primaire en général permettront-ils au Parti socialiste d’étouffer une bonne fois pour toute les fantômes passés qu’il ne semble pas avoir réussi à combattre définitivement depuis une trentaine d’années ?

Tant que les réalités internationales et européennes (et non les fantasmes ! ) ne seront pas intégrées dans le débat public français, ces fantômes se porteront comme un charme. Le vrai problème de notre pays, qui recouvre tous les autres, est un problème de compétitivité dû à nos propres choix depuis 30 ans. Voilà une analyse, pour le coup, vraiment « deloriste » !

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