
UMP-FN : comment comprendre le rapport de force électoral
Jérôme Fourquet | 14 octobre 2014
Article de Jérôme Fourquet paru dans Le Figaro le 15 octobre 2014, consacré au rapport de forces entre l’UMP et le Front national lors des dernières élections européennes.
Quatre mois après les élections européennes, la Fondation pour l’innovation politique a publié une étude détaillée consacrée à ce scrutin : Européennes 2014 (1) : la gauche en miettes et Européennes 2014 (2) : poussée du FN, recul de l’UMP et vote breton. Réalisée par Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’Ifop, elle croise l’analyse géographique (à partir des résultats canton par canton) et l’analyse sociologique (à partir des études d’opinion de l’Ifop).
• Jusqu’à 14 points d’avance pour le FN dans les régions du Nord
La carte du vote UMP porte les stigmates de la défaite essuyée lors de ces élections européennes, qui a vu la principale formation d’opposition être reléguée derrière le Front national. Tel un relief ayant subi une forte érosion, n’apparaissent plus que les zones de force de la droite les plus solides, tous les points d’appui secondaires ayant
été arasés (…). Sous la poussée frontiste, les positions de la droite ont été disloquées dans la circonscription Nord-Ouest où ne surnagent que le Perche, le Pays de Caux, la Thiérache et l’arrondissement de Montreuil dans le Pas-de-Calais. Au sud de la Loire, ne subsistent que le réduit auvergnat (Cantal, Haute-Loire, nord de la Lozère et de (‘Aveyron et Haute-Corrèze), le Pays basque, le bassin d’Arcachon, la Côte d’Azur, le Rhône et la Loire et une partie de la Savoie. À l’est, la droite a mieux résisté (la poussée frontiste y a été aussi forte mais le centrisme et la gauche y sont moins présents) avec de vastes zones comprenant toute la Champagne-Ardenne, mais aussi le nord de la Côte-d’Or, la Haute-Saône, le Doubs, l’Alsace et plus au sud, la Bresse et le Maçonnais. Au total, la formation frontiste surclasse le parti de droite sur une grande partie du territoire avec une avance supérieure à 14 points dans le Nord-Pas-de-Calais, en Picardie, en Haute-Normandie, mais aussi dans toute une partie de la Lorraine, sur le pourtour méditerranéen ou le long de la Garonne.
• L’UMP résiste dans les enclaves catholiques…
La droite ne parvient à résister à la poussée frontiste que dans un nombre limité d’endroits (en bleu sur la carte) qui correspondent, pour l’essentiel, à trois types de territoires. Il s’agit en premier lieu de zones de tradition catholique comme le Léon, le sud de la Manche, l’ouest de l’Ille-et-Vilaine (entre Fougères et Vitré), les Mauges et le Choletais, le bocage vendéen et le nord des Deux-Sèvres, le Cantal, l’Aveyron, la Lozère, une partie de la
Haute-Loire et des Pyrénées-Atlantiques et de l’Alsace. Au plan national, une enquête de (l’Ifop a d’ailleurs montré que les catholiques pratiquants votaient majoritairement pour l’UMP (34 %) et que c’est dans ce groupe que l’avance sur le FN était la plus significative puisqu’elle s’établissait à 14 points. Le parti lepéniste obtient néanmoins 20 % parmi les catholiques pratiquants.
•… et dans les enclaves aisées
À ces bastions catholiques s’ajoutent des enclaves aisées. Le cas du Haut-Rhin est assez parlant. Sur l’ensemble du département, et notamment dans les zones les plus rurales, le FN (30 %) distance largement l’UMP (23,4 %). Mais le rapport de force s’inverse dans une bonne partie des communes situées sur la Route des vins. Dans ces terroirs privilégiés, viticulture et tourisme assurent un train de vie relativement confortable à une large frange de la population locale. La prospérité de ces villages tranche avec la situation d’autres espaces ruraux haut-rhinois moins favorisés et on constate au plan électoral que bon nombre de ces communes viticoles ont placé l’UMP devant le FM contrairement à la tendance départementale, nettement plus favorable au FN. De la même façon, il est frappant de constater que sur l’ensemble de la grande région Nord-Pas-de- Calais/Picardie, la liste UMP ne devance celle du FN que dans trois cantons isolés: les très privilégiés cantons de Marcq-en-Baroeul (le «Neuilly lillois»), du Touquet (canton de Montreuil-sur-Mer) et de Chantilly. On retrouve une configuration identique un peu plus au sud en Haute-Normandie et dans le Calvados où les seules poches de résistance bleues sont situées à Bois-Guillaume et Mont-Saint-Aignan (banlieues aisées de Rouen) et dans les cantons de frouville, Ouistreham et Creully (qui comprend la station balnéaire de Courseulles-sur-Mer). Sur la façade atlantique, hormis les terroirs catholiques déjà évoqués, les quèlques points d’appui de l’UMP sont également constitués par des stations balnéaires ou zones touristiques favorisées: côte bigoudène dans le Finistère, golfe du Morbihan, cantons de Guérande, de La Baule et de Pornic en Loire-Atlantique, des Sables d’Olonne en Vendée, de l’île de Ré, de La Rochelle et de Royan en Charente-Maritime, le bassin d’Arcachon en Gironde, la côte landaise et enfin la côte basque dans les Pyrénées-Atlantiques. Dans la plupart de ces départements, dès que l’on s’éloigne du littoral et que l’on quitte les enclaves aisées où retraités, professionnels du tourisme et professions libérales sont surreprésentés, le vote FN prend immédiatement l’ascendant sur (‘UMP
dans l’arrière-pays.
• Un vote corrélé au taux d’imposition
Dans le même ordre d’idées, on constate une forte corrélation entre les scores de l’UMP et du FN et la part des ménages imposés par commune. Plus le taux de personnes imposées est important et plus le vote en faveur de l’UMP sera élevé. La relation avec le vote FN est statistiquement encore plus marquée mais elle fonctionne dans le sens opposé: plus la part de ménages imposés est forte et plus le vote FN sera faible. Comme le montre le graphique suivant, le FN fait donc ses meilleurs scores dans les communes les plus pauvres où il écrase l’UMP, cette dernière ne prenant en moyenne l’ascendant qu’à partir du moment où la part des ménages imposés dépasse le seuil de 67 % dans une ville. La traduction spatiale de cette «loi statistique» s’observe particulièrement bien en région parisienne où l’UMP
s’impose à Paris et dans l’Ouest parisien (Hauts-de-Seine et la partie aisée des Yvelines : Versailles et vallée de Chevreuse) quand les banlieues du 93 et du 94 ont accordé une large avance au parti de Marine Le Pen. À l’est, en Seine-et-Marne, le FN domine très largement sauf à Meaux (fief de Jean-François Copé) et dans le canton, lui aussi privilégié, de Fontainebleau. La configuration est encore plus flagrante en Paca où le FN règne sans
partage hormis dans les cantons d’Avignon, d’Aix et de Saint-Raphaël qui ont placé l’UMP en tête.
• La bataille des frontières
À ces quèlques enclaves «bleues», il faut ajouter en Paca les cantons de Saint-Étienne-de-Tinée et Saint-Martin-Vésubie dans les Alpes-Maritimes. Ces cantons appartiennent au troisième type de territoire où l’UMP a devancé le FM: les zones frontalières. Dans les Alpes-de-Haute-Provence (Barcelonnette), les Hautes-Alpes (Aiguilles) ou les deux Savoie (cantons de Bourg-Saint-Maurice, Lanslebourg-Mont-Cenis, Samoëns) et plus globalement tout le long de la frontière suisse dannemasse à Huningue dans le Haut-Rhin en passant par le pays de Gex et le Haut-Doubs (région de Pontarlier), l’UMP s’impose sur le FM. On retrouve la même configuration dans le nord de l’Alsace (cantons de Lauterbourg, Wissembourg, Seltz) et en Moselle (cantons de Sierck-les-Bains, Cattenom et
de Thionville), à la frontière luxembourgeoise. Si l’UMP devance le FM dans ces cantons, le parti d’extrême droite s’impose néanmoins sur une large portion de la frontière mosellane et alsacienne ainsi que dans les Ardennes et dans le Nord. Le phénomène frontalier ne garantit donc pas systématiquement, loin s’en faut, une avance pour
l’UMP et un faible vote FM. Ce dernier s’établit ainsi en moyenne à 27,2 % sur l’ensemble des communes frontalières de France contre 21,4 % pour l’UMP.
D’une manière générale, la proximité immédiate avec un pays membre de TUE (ou la Suisse) et les possibilités d’échanges et de circulation offertes par cette situation géographique particulière ne semblent pas avoir été de nature à contenir le vote FM aux européennes. Les habitants de ces espaces, souvent présentés comme «vivant au rythme de l’Europe et de l’ouverture des frontières», votent encore davantage que leurs concitoyens en faveur du FN, parti réclamant le retour des contrôles aux frontières et l’instauration de «la priorité nationale». Deux facteurs expliquent cependant que dans certaines régions frontalières bien particulières, l’UMP parvienne néanmoins à devancer le FN. Il s’agit d’une part de la présence de très nombreux travailleurs frontaliers (le long
de la frontière luxembourgeoise ou suisse principalement) qui bénéficient très concrètement des retombées de la libre circulation et d’autre part d’un effet «communes aisées», mentionné plus haut.
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