
Débat entre Nicolas Baverez et Robin Rivaton : Notre pays est-il fichu ?
Nicolas Baverez, Robin Rivaton | 19 octobre 2014
Débat entre Nicolas Baverez et Robin Rivaton, paru dans Le Parisien du 19 octobre 2014. Y aurait-il une dépression made in France ? Pliant sous le joug d’un chômage chronique, notre pays, en quête d’identité, glisserait inéluctablement vers son déclin. Les pessimistes ont-ils toujours raison ?
Suicide, névrose, hantise du déclin… A lire nos pamphlétaires et nos Cassandre, l’état de la France relèverait de la psychiatrie. Chômage, déficits, crise d’identité, tous les facteurs
concourant à la dégénérescence du corps et de l’esprit de la nation se conjugueraient, avec, comme symptômes, une poussée des extrêmes, Front national en tête, et un repli sur soi europhobe, voire xénophobe. La France n’est pas la seule, depuis la Seconde Guerre mondiale et la décolonisation, à avoir été rétrogradée au rang de puissance moyenne. Alors pourquoi cette déprime ? Déclinistes et optimistes sont d’accord : la faute en incombe aux politiques français, incapables de réformer et d’adapter le pays au XXIe siècle. Pour les deux camps aussi, le temps presse : après 2017, ça passe ou ça casse.
Le Parisien : Ce sentiment de déclin est-il spécifique a la France?
Nicolas Baverez : La mondialisation fait basculer la croissance et les emplois vers
les pays émergents,au détriment des pays développes, et notamment de l’Europe, grande
perdante. Pour autant, il existe bien une exception française qui réside dans l’incapacité de notre pays à se reformer. La plupart des pays développés se sont adaptés le Canada et la Suède dans les années 1990, l’Allemagne avec Gerhard Schroder à partir de 2002, les États-Unis après la crise de 2008, la Grèce et l’Espagne après le choc sur l’euro. Ce refus du changement s’explique par notre histoire, qui fait de l’État le vecteur de la modernisation, et par le déni de la classe politique, entièrement issue de la haute fonction publique. Les Français, eux, ont pris conscience du problème mais sont paralyses par un État impuissant pour conduire le changement. Le pilotage étatique était gagnant dans les années 1960, du temps de l’économie administrée, il est suicidaire dans la société ouverte du XXIe siècle.
La déstabilisation des classes moyennes à l’origine de la crise.
Robin Rivaton : Je ne pense pas qu’il y ait une spécificité française. Le regard des Français sur leur situation économique personnelle est dans la moyenne de l’Union européenne. Plus globalement, je m’oppose aux théories du déclin. Sur le plan collectif, ce sentiment peut exister parce que nous considérons plus que les autres pays que l’économie est le reflet de la puissance Or la France a pris beaucoup de retard. Mais, sur le plan individuel, le sentiment de déclin n’existe pas. La décennie passée, les Français ont fait une révolution culturelle, se sont convertis à l’esprit d’entreprise, à la mondialisation, ils se sont décomplexés par rapport à l’argent. Ils sont prêts a accepter des réformes importantes
pour rattraper le retard accumulé depuis une vingtaine d’années. Ils croient en un avenir meilleur, ce qui est l’inverse du déclin. Mais les politiques n’ont pas su ou pas voulu s’adapter.
Le Parisien : Ce sentiment de déclin du pays est-il le symptôme d’une crise de l’identité française ?
Nicolas Baverez : Le déclin français renvoie a des réalités croissance zéro, baisse du niveau de vie, pauvreté des jeunes, chômage de masse, surendettement de l’État, perte d’influence en Europe et dans le monde Ce qui engendre une crise politique puis existentielle et morale, dont l’origine est la déstabilisation des classes moyennes. C’est aussi le cas aux États-Unis
avec le Tea Party, en Suède avec la poussée de l’extrême droite, au Royaume-Uni, en Italie et en Espagne avec la montée des populismes et des séparatismes. Le problème français découle de l’incapacité du système politique a apporter des solutions. La question de l’identité n’est pas l’origine de la maladie, elle est une affection opportuniste que d’aucuns utilisent pour éluder la modernisation d’un modèle économique et social.
Robin Rivaton : Je suis moi aussi très hostile à ces thèses sur l’identité française qui ne font que liguer les Français les uns contre les autres et entretenir une sorte de guerre civile. Or ces idées qui prospèrent sur le terreau des déclinistes sont dangereuses car elles transfèrent un problème politique sur le terrain culturel et contaminent la société. Avant de s’intéresser aux questions identitaires, on ferait mieux de réparer les institutions économiques.
Le Parisien : Pourtant, la percée de l’extrême droite comme le rejet de toute réforme par certaines catégories prouvent l’existence de fractures au sein du pays…
Nicolas Baverez : Nous voyons diverger quatre France. Une France moderne et intégrée dans la mondialisation, symbolisée par les récents prix Nobel. Une France des exclus qui dépend des aides sociales. Une France protégée qui vit de la dépense et de la dette publiques. Une France hors les murs, qui réussit à l’étranger. Ces quatre France ont de plus en plus de mal à se parler, ce qui engendre une dynamique de la peur et de la haine. Les démagogues flattent ces peurs et ces haines, exacerbant les maux qu’ils prétendent combattre et accélèrent le déclin de la France.
Robin Rivaton : II est vrai que 10 à IS % des Français se trouvent exclus et vivent sans confiance dans l’avenir. Mais la très grande majorité de nos concitoyens portent un regard plutôt homogène et consensuel sur l’entreprise, la mondialisation, le rôle de l’État. Il n’y a qu’en France, grâce à notre protection sociale, que les inégalités de revenus et de conditions
de vie se soient réduites ces dernières années, ce qui n’a pas échappé aux Français. Ce sont les corps politiques et intermédiaires qui se trouvent en décalage. Ils ne sont plus porteurs de solutions adaptées. D’où la percée du FN. Mais il s’agit plus d’un vote de contestation que d’adhésion.
Nicolas Baverez : Je ne suis pas d’accord. Le moment où le FN n’était que l’expression d’un vote protestataire est derrière nous. Le FN compte de plus en plus d’électeurs et d’élus, ce qui témoigne d’un vote d’adhésion. Mais c’est une fausse solution. Le FN est en effet à la fois hyper-nationaliste, car xénophobe et anti-européen, et hyper-socialiste, car étatiste et protectionniste.
L’élection présidentielle de 2017 pourrait être la dernière opportunité.
Le Parisien : Quelles seraient les vraies solutions ?
Nicolas Baverez : La France doit imaginer une voie originale. L’Europe ne réformera pas notre pays, même si elle peut nous y aider. La France doit utiliser ses atouts : sa démographie, son
épargne, ses pôles d’excellence, son patrimoine et son art de vivre. Elle doit prendre appui sur la Ve République, qui a été conçue pour permettre au président de la République de gérer les crises. Les réformes engagées par les autres pays montrent que seules les thérapies de choc sont efficaces. Il nous faut donc mobiliser les Français autour de cinq pactes : un pacte productif pour reconstituer la compétitivité des entreprises; un pacte social pour donner de la flexibilité au marché du travail; un pacte financier avec la diminution de 100 Mds€ des dépenses publiques ; un pacte citoyen en faveur de l’intégration des jeunes et des immigrés; un pacte européen fondé sur la relance du couple franco- allemand. La France a cinq ans pour se redresser ou pour sombrer dans la violence.
Robin Rivaton : L’élection présidentielle de 2017 représente la dernière fenêtre d’opportunité. Il s’agira pour une nouvelle équipe d’inventer la France de 2025 et pas seulement de rattraper notre retard en copiant l’Allemagne de 2010. Ce « monde d’après » sera notamment celui des entrepreneurs et de l’innovation, où nous excellons. Capitalisons sur ces forces en facilitant la création d’entreprise, la concurrence et un libre marché du travail pour en faire le levier du redressement du pays. Les Français sont prêts et ne veulent plus de discours pessimistes.
Robin Rivaton, 27 ans, économiste est membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique et est membre de la Société d’économie politique. Il vient de publier « La France est prête » (Les Belles Lettres).
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