La bataille des classes moyennes est engagée

Albert Zennou | 29 février 2012

Elles représentent l’essentiel du corps électoral français. Les classes moyennes, qui développent une extrême sensibilité aux valeurs comme le travail et le mérite individuel, seront un des enjeux stratégiques de la présidentielle.

«La France qui se lève tôt.» Certains ont longtemps cru que cette célèbre phrase prononcée par Nicolas Sarkozy en 2007 était destinée aux ouvriers. À y regarder de plus près, ce sont les classes moyennes qui étaient les premières visées. Car l’un des enseignements de 2007 est que ces classes, longtemps arrimées à la gauche, ont basculé en partie à droite. «Travailler plus pour gagner plus» est un slogan qui non seulement leur convenait parfaitement mais surtout correspondait à leurs aspirations profondes. Cinq années après, les analyses qui avaient conduit le candidat Sarkozy à cibler les classes moyennes sont toujours valables, même si une partie d’entre elles est tentée de voter pour l’opposition. Nicolas Sarkozy est parti à la reconquête de ces Français. François Hollande, François Bayrou et Marine Le Pen ne veulent pas être en reste et ont décidé d’évangéliser ces nouveaux territoires électoraux.

En 2007, Ségolène Royal avait nettement devancé Nicolas Sarkozy chez les actifs, selon un sondage sorti des urnes réalisé par Ipsos. De son côté, le vainqueur de 2007 parvenait à rétablir l’équilibre chez les employés et les professions intermédiaires, à prendre l’ascendant (53 % contre 47 %) chez les salariés du privé, et à dominer nettement Royal chez les personnes habitant hors des grandes agglomérations avec 55 % au second tour. «Plus que jamais, la clé du scrutin en 2012 se trouve chez les classes moyennes», résume Gaël Sliman, directeur de BVA Opinion. Les deux favoris du second tour vont devoir livrer bataille sur ce segment. Hollande devra convaincre que les hausses d’impôts ne les menacent pas en priorité, et Sarkozy leur rappeler son engagement à protéger leurs avantages et leurs conquêtes. «Pour l’instant, ces classes moyennes sont prêtes à voter à gauche au second tour, mais elles peuvent encore se raviser si l’offre du candidat socialiste se révèle décevante», note Gaël Sliman dans le livre Le Pompier ou le maçon? (Éd. du Moment), qu’il vient de publier.

Une catégorie difficilement appréhendable

Personne ne connaît Jean-Louis et sa femme, Estelle. Pourtant, ils forment le cœur de cible des candidats à la présidentielle. Lui est technicien, elle secrétaire de direction dans une PME de l’Ouest parisien. À eux deux, ils gagnent 3250 euros net par mois. Ce couple avec deux enfants de 6 et 13 ans appartient à cette fameuse classe intermédiaire, qui forme jusqu’à près de 50 % de la population française et qui se subdivise en plusieurs sous-groupes aux attentes et aux intérêts différents. Car il n’existe pas UNE classe moyenne mais DES classes moyennes. Le terme même de «classe» renvoie a la théorie marxiste de lutte des classes alors que cette catégorie est difficilement appréhendable par son origine aussi bien sociale culturelle que politique En résumé, les classes moyennes ne se vivent pas comme telles, elles n’ont pas de réel sentiment d’appartenance à une catégorie particulière, comme il peut en exister avec les ouvriers ou les agriculteurs, qui revendiquent fièrement leur origine sociale. Jean-Louis et Estelle appartiennent à ce que les sociologiques ont baptisé classe moyenne inférieure, «celle qui est juste au-dessus de la ligne de flottaison», selon l’expression d’un sociologue. En France, le salaire médian est de l’ordre de 1650 euros par mois. Ce qui signifie que la moitié des Français gagne au-dessus, l’autre moitié en dessous. Schématiquement, les classes moyennes regroupent les foyers ou le salaire mensuel est compris entre ce salaire médian et 5000 euros. Selon Laurent Wauquiez, le ministre de l’Enseignement supérieur, qui s’est très tôt emparé de ce sujet, le sentiment d’appartenance existe. «Au fond, écrit le ministre dans son livre La Lutte des classes moyennes, ces valeurs sont assez simples. Elles partent d’une réalité les classes moyennes vivent de leur travail. Tout est dit. Leur dignité, c’est le travail. Ce n’est pas tout à fait rien, quand le salaire, une fois qu’on a tout payé, vous permet de dégager quelque chose. Le fruit de ce travail est fragile, toujours menacé par une augmentation d’impôts, un impayé, un emprunt plus lourd que prévu. Mais face à cela, c’est bien le travail qui permet de tenir ». Le mot est lâché. La vertu cardinale des classes moyennes, c’est le travail, seule assurance contre le déclassement, leur peur ultime. Pour Jérôme Fourquet, directeur du département opinion à l’Ifop, «les classes moyennes ont une importance particulière dans la mesure ou elles concentrent des problématiques de manière aiguë mais qui résonnent bien au-delà, notamment autour des questions comme l’ascension sociale, l’accession a la propriété, l’éducation ou la santé. Que ce soit vrai ou non, les classes moyennes sont très sensibles à l’impôt. D’une manière générale, elles estiment que la pression fiscale est trop forte ».  Les classes moyennes, celles qui intéressent les politiques, sont ces 40 % de foyers qui disposent de revenus situes entre 1700 et 2400 euros net mensuel. «Trop riches pour être aidés mais pas assez pour être confortablement installés», rappelle Fourquet. Pour cet expert de l’opinion, on accède à la classe moyenne quand on devient propriétaire. Le logement est donc un marqueur fort. Les classes moyennes rejettent l’assistanat car elles ont le sentiment d’en être écartées alors même qu’elles contribuent au système. Pour les Français les plus modestes, les aides sociales peuvent représenter jusqu’à 30 % des revenus d’un foyer et même 40 % pour les plus pauvres. De leur côté, les classes moyennes consacrent entre 4 et 8 % de leurs revenus aux impôts tandis que les allocations et aides diverses ne représentent que de 0,1 % à 2 % de leurs revenus. Ce qui fait écrire à Gaël Sliman «Les classes moyennes contribuent jusqu’à six fois plus au modèle économique redistributif qu’elles n’en profitent ». Les citoyens des classes moyennes ont développé une extrême sensibilité au thème de l’assistanat et à tout ce qui s’y rattache. Ils ont du mal a accepter que certains «profitent» quand eux ont le sentiment de subir.

La peur du déclassement

C’est sur ce constat que la Droite sociale, avec à sa tête Laurent Wauquiez, s’est emparée du sujet. «Les classes moyennes sont une des priorités de la campagne. L’enjeu pour nous est double: leur montrer que nous avons tout essayé pour les protéger de la crise et de ses conséquences et que le programme de François Hollande leur sera très défavorable car il représente un matraquage fiscal. Car sur les 45 milliards d’euros que le programme de Hollande générera comme impôts supplémentaires, 15 à 20 milliards seront prélevés sur les classes moyennes avec notamment la volonté de – fusionner l’impôt sur le revenu et la CSG, la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires et la réforme du quotient familial.» À ses yeux, la meilleure manière de protéger les classes moyennes est de leur «garantir une pression fiscale moins forte, rendue possible par une réduction des dépenses publiques». Wauquiez se dit satisfait que Nicolas Sarkozy ait repris cette thématique, avec notamment la lutte contre les dérives de l’assistanat. «Le PS et le FN développent un discours anxiogène. Les défendre, c’est le rôle que je me suis fixé depuis trois ans», assure-t-il. Pour les classes moyennes, la pression fiscale est vécue comme une prédation, «une remise en cause du pouvoir d’achat, explique Dominique Reynié, le directeur général de Fondapol. Il y a l’idée chez elles que l’on aide trop les classes populaires, avec qui elles sont en concurrence directe. Elles craignent que par les revenus de transfert, elles soient rejointes par les plus modestes. Cette idée leur est même insupportable». L’important se joue donc sur les valeurs. C’est le discours qu’attendent et entendent les classes moyennes. «Elles sont extrêmement sensibles aux notions de travail, de mérite, d’épargne, de propriété, de transmissions, d’éducation», poursuit Dominique Reynié. C’est pour cette raison que la peur du déclassement est si forte. «Elles sentent qu’elles peuvent glisser. Surtout, elles ont le sentiment que leurs enfants seront moins bien traités qu’eux-mêmes. Ce glissement est attribué selon elles au dysfonctionnement du système de rétribution sociale. C’est pour cette raison que l’école est sacralisée, comme le moyen pour leurs enfants de poursuivre l’ascension par l’effort et le mérite. Dès qu’elles ont le sentiment que l’école est dégradée, elles sont catastrophées.» Jérôme Fourquet confirme cette peur du déclassement. «Ce qu’ils redoutent par-dessus tout, c’est d’être rattrapés par le bas et de ne plus pouvoir monter, alors qu’ils considèrent avoir beaucoup donné pour arriver là où ils sont.» C’est pour toutes ces raisons que le logement a pris une place aussi importante. L’idéal est le logement individuel avec une sacralisation du pavillon, généralement en périphérie des villes. Elles sont donc très affectées par les thèmes de l’insécurité et des transports entre leur logement et leur travail. Elles développent donc là aussi une extrême sensibilité au prix de l’essence, qui devient un élément vital de leur mode de vie. À droite, comme à gauche, la bataille des classes moyennes est donc engagée.

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