
Nos décideurs sont-ils à la hauteur de nos think-tanks ?
Stephen Boucher | 03 juin 2012
Tribune de Stephen Boucher, Le Figaro, 4 juin 2012
L’auteur, spécialiste du sujet*, considère qu’au cours de cette campagne, la France a rattrapé son retard en matière d’influence politique des « laboratoires d’idées ».
La campagne présidentielle de 2012 aura marqué le plein avènement des think-tanks sur la scène politique française. Ces « laboratoires de réflexion politique », installés de longue date dans le paysage institutionnel britannique et allemand, ont – enfin – trouvé leur place chez nous. Chaque parti a son officine affiliée, chaque problématique importante son institut spécialisé. Ils sont aujourd’hui presque deux cents, produisant analyses, notes de synthèse, propositions de politique publique et même textes de loi préredigés. C’est une bonne nouvelle pour la démocratie française.
En 2007, peu de think-tanks à l’horizon. Des acteurs de la société civile tel Nicolas Hulot sur les thématiques environnementales ou des intellectuels – André Glucksmann, Pascal Bruckner, Bernard-Henri Levy et d’autres – occupent le devant de la scène. En 2012, les thèmes de la campagne présidentielle ont été prépares en amont par des think-tanks : jeunesse, redressement industriel, révolution fiscale, débat sur le référendum…
La Fondation Terra Nova, fondée en 2008 et inspirateur de la primaire socialiste, a même été créée avec pour mission centrale d’armer le PS d’un nouveau logiciel politique en vue des élections.
Le rôle de ces centres aura été multiple pendant la campagne. L’Institut de l’entreprise, entre autres a chiffré en détail les propositions des candidats. L’Institut Montaigne et la Fondation pour l’innovation politique pour Nicolas Sarkozy, la Fondation Terra Nova pour François Hollande, la Fondation Copernic pour Jean Luc Mélenchon ou Idées nation pour Marine Le Pen ont préparé des notes d’argumentaires. D’autres ont organisé des forums pour mettre le projecteur sur des problématiques particulières, par exemple EuropaNova avec ses Etats généraux de l’Europe en mars. Et tous ont partage leurs analyses dans les médias certains journaux créant même une section « think tanks » dans leurs pages.
Éditoriaux, blogs et interviews témoignent de fait de leur plus grande maîtrise des outils de communication signe qu’ils sont sortis d’une logique d’intellectuels isolés pour rentrer dans une approche plus institutionnalisée d’organisations spécialisées participant au débat public de manière professionnelle et structurée. Après le marketing puis le lobbying, voici donc une nouvelle forme de communication d’inspiration anglo-saxonne qui s’installe en France, probablement de manière durable. Faut-il s’en plaindre ?
Certains déploreront que ces centres de réflexion à l’agenda parfois orienté ou étroit éloignent le débat des visions larges pour le centrer sur des propositions ponctuelles. Ou au contraire que des réflexions cohérentes, fruit de recherches sérieuses, soient réduites a des gadgets communicationnels. Ou encore que la notion valorisante de « laboratoire à idées » soit instrumentalisée pour masquer des activités d’influence politique intéressées.
Toutes ces critiques peuvent être valables et doivent être prises en compte. Mais on ne peut que se féliciter de constater le formidable creuset de réflexion que constituent ces centres qui permettent a des chercheurs académiques, des entrepreneurs, des responsables politiques et d’autres acteurs de réfléchir en commun et porter leurs idées à l’attention des décideurs.
Les think tanks privés ne font pas d’ombre aux administrations publiques dont le rôle est d’aider nos responsables à la décision. Celles-ci sont foison en France allant du Conseil d’analyse stratégique ex-commissariat au Plan au Credoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) en passant par l’Insee, le Commissariat à l’énergie atomique, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, et des dizaines d’autres instituts produisant statistiques et analyses sur toutes les problématiques sociales et économiques possibles. Et le poids des think tanks reste marginal face à ces mastodontes publics, sans compter celui des organisations internationales telle l’OCDE, avec ses quelques 2 500 employés et 350 millions d’euros de budget annuel.
II s’agit donc de les utiliser a bon escient et ce quinquennat est une opportunité pour eux de s’installer durablement au cœur du dispositif politique français. A eux d’apporter une réflexion de fond sur le renouvellement des formes de l’économie et de la vie politique française, sur la durée. Aux financeurs de respecter l’indépendance et la capacité de critique intellectuelle qui fait leur valeur ajoutée par rapport aux instituts publics. Et aux responsables politiques de les consulter largement. Espérons que nos décideurs seront à la hauteur de nos think tanks pour stimuler un débat politique plus riche.
* Coauteur avec Martine Roya, de « Les Think Tanks cerveaux de la guerre des idées » Ed Le Félin, 3e édition avril 2012, pour aller plus loin Observatoire français des think tanks, www.oftt.eu.
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