
Une qualification pour chacun, la croissance pour tous
Emmanuel Combe | 18 janvier 2012
Tribune d’Emmanuel Combe parue dans Le Monde, le 17 janvier 2012.
La situation actuelle sur le front de l’emploi nous place devant une équation pour le moins inédite : faire baisser un taux de chômage qui frôle aujourd’hui les 10 % dans un contexte budgétaire fortement contraint. Exit les solutions de court terme dont la France a tant usé et abusé pendant trente ans et dont le bilan est pour le moins décevant : « emplois jeunes », contrats aidés dans le public, préretraites, etc. La crise de la dette nous impose aujourd’hui de faire preuve d’audace, en s’attaquant enfin aux racines du mal.
Rappelons que la conjoncture actuelle – très dégradée – n’explique pas tout : depuis les années 1980, la France a toujours affiché de piètres performances en matière de chômage par rapport à des pays comme les Etats-Unis, l’Allemagne, la Hollande ou les pays nordiques. Même en période de forte croissance, nous n’avons jamais réussi à faire baisser le chômage en dessous du plancher des 8 %, contre 4,5 % aux Etats-Unis et 5,5 % en Allemagne. Plus encore, la France affiche un fort taux de chômage de longue durée et des jeunes, signalant ainsi de fortes barrières à l’entrée et un dualisme du marché. Toute politique de l’emploi qui ambitionne de s’inscrire dans la durée doit donc d’abord s’attaquer à ces problèmes structurels. De nombreuses propositions ont été faites par les économistes – songeons au rapport Cahuc Kramarz en 2005 – pour lever les rigidités qui pèsent sur le marché du travail – comme l’instauration d’un contrat de travail unique – sans qu’il soit besoin d’y revenir ici en détail.
Nous voudrions attirer l’attention sur une cause structurelle du chômage dont on sous-estime souvent l’importance : l’insuffisante qualification de la main d’œuvre, alors même que la mondialisation nous impose aujourd’hui de monter en gamme toute notre production pour aller vers une « compétitivité par la qualité », alors même que la qualification et le diplôme constituent les meilleurs remparts contre le chômage et la précarité. L’enjeu aujourd’hui n’est pas seulement de développer une « société de la connaissance », fondée sur l’enseignement supérieur long et la recherche : il est aussi et surtout d’offrir à chaque Français une qualification minimale tout au long de la vie.
- En premier lieu, nous devons poursuivre la lutte contre l’illettrisme, fléau qui touche en France plus de 3 millions de personnes. Si être illettré n’empêche pas d’occuper un emploi, cette situation se révèle toutefois très handicapante, en limitant les possibilités de reconversion ou de promotion, en rendant plus difficile la recherche d’emploi. Beaucoup d’initiatives heureuses ont été prises ces dernières années pour prévenir l’illettrisme à l’école primaire et y remédier durant la vie professionnelle. Mais il reste encore beaucoup à faire, notamment en direction des 40 000 jeunes qui chaque année sont repérés comme illettrés lors de la Journée de Défense et de Citoyenneté et s’apprêtent à entrer dans la vie active.
- En second lieu, nous devons faire monter le niveau de qualification des salariés peu qualifiés, en réorientant prioritairement la formation professionnelle vers ces publics, alors que cet instrument profite aujourd’hui davantage aux salariés qualifiés. Par exemple, on pourrait relancer l’idée d’un compte épargne-formation dont le montant serait inversement proportionnel au niveau de diplôme de départ.
- En troisième lieu, au-delà des personnes peu qualifiées, la formation continue doit devenir centrale dans le parcours professionnel de chaque individu : dans un monde où l’emploi à vie n’est plus la norme, les changements de poste et d’entreprise doivent être anticipés et rendus plus fluides. Ceci suppose une lisibilité plus forte de l’offre de formations ainsi qu’une redéfinition de leur contenu, en faveur de compétences transférables d’un emploi à l’autre.
- En dernier lieu, il est important d’envoyer un signal fort et crédible auprès des jeunes et de leurs familles quant à la diversité des qualifications et des voies d’excellence. N’oublions pas que chaque année certaines professions dites « manuelles » et certains secteurs peinent à recruter… faute de candidats ou de profils adéquats. Trop longtemps, au nom d’une conception étroite et erronée de l’excellence, les filières professionnelles ont pâti d’une image négative aux yeux du grand public, et tout particulièrement les filières industrielles. La récente réforme de la voie professionnelle et le développement de l’apprentissage – surtout lorsqu’il est ciblé sur les peu diplômés – vont dans le bon sens et doivent être poursuivis.
Au-delà des réformes structurelles sur le marché du travail, à l’évidence nécessaires, n’oublions pas que la lutte contre le chômage passe aussi par une croissance économique plus forte. Si elle ne se décrète pas, la croissance peut être encouragée par une politique d’offre qui mise sur tous les atouts économiques dont dispose la France. En particulier, il est grand temps de considérer que les leviers de la croissance ne se résument plus à quelques industries et quelques entreprises exportatrices – fussent-elles des champions mondiaux – mais qu’ils reposent aussi sur une myriade de PME et de secteurs trop longtemps délaissés par les pouvoirs publics comme le tourisme, le luxe, le numérique, les services à la personne. Si nous réussissons à monter en gamme toute notre offre vers des produits et services de qualité, si nous injectons un peu de concurrence et de liberté d’initiative là où elles manquent cruellement, nous avons, à portée de main, de formidables gisements de croissance et… d’emplois non délocalisables et qualifiés.
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