Renforcer le Livret A, une mesure à contretemps. L'épargne des Francais doit être mieux employée

Robin Rivaton | 24 août 2012

Tribune de Robin Rivaton, auteur de la note Libérer le financement de l’économie publiée par la Fondapol, parue dans Le Monde daté du 25 août.

Le ministre de l’Economie, Pierre Moscovici, a dévoilé les grands traits de la réforme du Livret A lors du conseil des ministres du 22 août, sans même attendre le rapport que devait lui remettre Pierre Duquesne, ancien conseiller économique de Lionel Jospin à Matignon, sur la réforme de l’épargne réglementée.

En décidant d’augmenter de 50 % le plafond du Livret A en deux étapes d’ici à décembre, il semble que le gouvernement ait aussi décidé de passer outre les recommandations de la Cour des comptes dans son rapport sur le financement de l’économie de juillet qui critiquait les propositions du président François Hollande de doubler le plafond du Livret A et du Livret de développement durable (LDD) et d’en augmenter la rémunération.

Pourtant ces mesures ne font qu’aggraver les travers du financement de l’économie en France. Selon le rapport 2011 de l’Observatoire de l’épargne réglementée, le Livret A a connu une croissance de 10,5 %, soit le double de 2010, l’encours atteignant son plus haut historique, a 225milliards d’euros.

Les Français plébiscitent le Livret A et le LDD, car ces produits ont une rémunération attractive dans une période d’incertitude sur les marchés boursiers et où la gestion collective a enregistré des performances médiocres, qu’ils sont totalement liquides et qu’ils profitent d’une garantie de l’État, contrepartie avantageuse dans un scenario de faillite bancaire.

En outre, depuis le 1er janvier 2009, le Livret A est en libre distribution dans l’ensemble des réseaux bancaires et assurantiels.

Ainsi, à la fin de l’année 2011, plus de 61,6 millions de Livrets A étaient ouverts en France. Faisant fi des multi détentions, puisque normalement un seul Livret A par personne est autorisé, il s avère que ces livrets présentent une forte concentration de l’épargne.

Seuls 8,5% des livrets, soit 5,2 millions, ont un solde égal ou supérieur au plafond (15300 euros) – possible par l’accumulation des intérêts – et représentent donc 43,2% des encours totaux. A l’inverse, 47% des livrets ont moins de 150 euros et ne représentent que 0,4% de l’épargne totale.

Le renforcement de l’attractivité du Livret A ne se fera qu’au détriment du financement des entreprises, alors que celles ci en ont cruellement besoin pour assurer la mise à niveau de leur appareil de production, notamment la robotisation, et assurer l’investissement en recherche et développement.

II s agit donc d’une mobilisation non optimale de l’épargne nationale. Soixante cinq pour cent des sommes collectées par le Livret A servent à octroyer des prêts pour le logement social. C’est pourquoi, dans son projet, François Hollande souhaitait favoriser le Livret A pour « que soient construits au cours du quinquennat 2,5 millions de logements intermédiaires, sociaux et étudiants dont 150000 logements très sociaux».

D’abord, notons qu’en janvier, les ressources excédaient de 75 milliards d’euros les prêts accordés au logement social et à la politique de la ville. Pour l’année 2011, sur les 10 milliards d’euros de nouveaux encours collectés, 8 milliards d’euros ont été attribués au logement social et à la politique de la ville. La Caisse des dépôts, qui centralise ces dépôts, a donc largement de quoi financer l’offre de logement social aujourd’hui et demain.

Ensuite, la richesse et l’épargne des Français n’allant pas soudainement exploser, tout mouvement vers le Livret A se fera par transfert depuis d’autres produits d’épargne, notamment l’assurance vie.

Depuis dix ans, l’épargne des investisseurs particuliers français s’oriente déjà vers un nombre de plus en plus réduit de produits très liquides et très sécurises. Ainsi le financement à destination des entreprises françaises a fortement diminué, passant de 43 % de l’épargne des ménages en 2000 a moins de 38 % en 2010.

« Le gouvernement prétend faire la chasse aux niches fiscales mais va encore agrandir une niche au profit d’une poignée de détenteurs »

Par ailleurs, la décision du gouvernement annoncée cette semaine créé des tensions supplémentaires pour le déficit de l’État, car le Livret A et le LDD échappent à toute taxation. Or le transfert vers le Livret A revient à déplacer de l’épargne de produits fiscalisés vers des produits qui ne le sont pas, privant au passage l’État de plusieurs centaines de millions d’euros voire jusqu’à un milliard de recettes d’après nos calculs.

Le gouvernement prétend faire la chasse aux niches fiscales mais va encore en 2004, agrandir une niche au profit d’une poignée de détenteurs. Si la Cour des comptes a vertueusement réclamé une fiscalisation des Livrets A, il y a peu de chance qu’elle soit entendue.

Alors que le financement des entreprises et des infrastructures rencontrent des problématiques lourdes (réglementations Bale III et Solvency II, désengagement de l’État), les mesures du président François Hollande constituent une nouvelle menace sérieuse sur l’économie française sous le masque généreux du logement social.

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