Ouest France / Huffington Post : Comment un des plus sûrs fiefs de droite a glissé à gauche

Dominique Reynié | 14 juin 2012

Analyse de Dominique Reynié parue dans le Huffington Post et Ouest France, le 13 juin 2012.

Avec 46% des suffrages exprimés au soir du premier tour des élections législatives, Stéphane Le Foll, le nouveau ministre de l’Agriculture, est en passe de prendre la 4ème circonscription de la Sarthe que la droite semblait détenir depuis toujours, dans des terres où cependant socialistes et communistes n’ont jamais cessé d’exercer une forte influence. A droite, ce fief passait pour l’un des plus sûrs, notamment grâce à l’autorité de François Fillon, élu pour la première fois en juin 1981, au premier tour, malgré la puissance de la vague rose provoquée alors par l’arrivée de François Mitterrand à la présidence de la République.

En 1986 François Fillon est réélu. Il conserve son siège en 1988, une fois encore dès le premier tour tandis que les électeurs de la circonscription venaient de préférer massivement François Mitterrand (58,5%) à Jacques Chirac lors du second tour de la présidentielle… François Fillon est encore réélu en 1993 (58,5%) cette fois sur fond de déroute électorale du Parti socialiste. A la suite de la dissolution ratée de 1997, il doit affronter au second tour son adversaire socialiste. S’il parvient à le battre, il ne l’écrase pas cependant (52,7%). La victoire du candidat UMP aux élections présidentielles suivantes semble confirmer la domination de la droite dans la circonscription. Après la réélection de Jacques Chirac en 2002, François Fillon est réélu député au premier tour (55,2%).

Cependant, un ensemble de signes annonce la fin d’une époque. Depuis le milieu des années 1990, la 4ème circonscription de la Sarthe glisse progressivement vers la gauche. Lionel Jospin (50,8%) y devance Jacques Chirac lors du second tour de la présidentielle de 1995. De manière inédite, les législatives de 1997, on l’a vu, se disputent au second tour. Un véritable tournant a lieu lors des élections régionales de 2004 qui voient la gauche emporter la région Pays de La Loire. Dans la circonscription de François Fillon, la droite réalise même un score inférieur (46,3%) à son niveau régional (47,6%). Membre du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, Fillon porte la réforme sensible des retraites et en supporte alors le prix politique. En 2007, lors du second tour de l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy devance de peu (50,3%) Ségolène Royal. Promu Premier ministre, François Fillon est réélu (53,4%), une dernière fois. Il doit cependant consentir un recul de 2 points par rapport à 2002 (55,2%) tandis que Stéphane Le Foll progresse de 5 points. Les élections régionales de mars 2010 confirment l’érosion électorale de l’UMP dans la circonscription (44%). Il est évident que les années passées au pouvoir par temps de crise sapent les bases électorales du parti alors majoritaire et de tous ses représentants. Le 22 avril 2012, les électeurs de la 4ème circonscription donnent l’avantage à François Hollande (27,8%) sur Nicolas Sarkozy (26,1%). Le 6 mai, ils confirment leur choix en faveur du candidat du PS (52%). La circonscription peut désormais basculer à gauche.

Les résultats du premier tour des élections législatives de 2012 dans la 4ème circonscription de la Sarthe viennent de loin. Ils procèdent d’une lente érosion de la droite de gouvernement, plus marquée au cours de la décennie 2002-2012, en raison des effets désormais attachés à l’exercice des responsabilités gouvernementales. Ce phénomène a d’autant plus joué que François Fillon a été un ministre particulièrement exposé, d’abord dans le gouvernement conduit par Jean-Pierre Raffarin, de 2002 à 2005, puis à la tête du gouvernement, de 2007 à 2012. La deuxième explication se trouve dans la défaite de Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle. L’arrivée à la présidence de la République de François Hollande, qui s’inscrit elle-même dans la suite d’une série d’élections intermédiaires favorables à la gauche, déclenche le mécanisme du basculement politique de la 4ème circonscription, et avec d’autant plus de force que Stéphane Le Foll a su, depuis plus de dix ans, s’y imposer comme le prétendant au titre. La troisième raison tient à la décision prise par François Fillon de quitter les terres sarthoises pour leur préférer une circonscription parisienne. Privée de son champion historique, la droite locale a perdu beaucoup de ses forces. En cinq ans, le candidat de l’UMP, de François Fillon en 2007 à Marc Joulaud en 2012, recule en effet de 20 points, passant de 53% à 31% des suffrages exprimés. Dans le même temps, la gauche se montre plus forte que jamais. Stéphane Le Foll, devenu ministre de l’Agriculture, enregistre ainsi une progression de 16 points par rapport au premier tour des législatives de 2007, passant de 30% à plus de 46% des suffrages exprimés. Dimanche prochain, seule une mobilisation massive des abstentionnistes de droite, scénario peu probable sinon impossible, peut empêcher Stéphane Le Foll de s’emparer de la 4ème circonscription de la Sarthe.

Mais le glissement politique des terres sarthoises ne semble pas devoir s’arrêter là. Dans une circonscription qui, en 2005, a rejeté le « Traité constitutionnel européen » avec plus de force (57%) que l’ensemble des Français (54%), la poussée protestataire semble à l’œuvre. Se succédant au pouvoir, les partis de gouvernement subissent tour à tour les mêmes effets de l’impopularité, cette loi d’airain qui mine les démocraties aujourd’hui confrontées à la gestion d’une crise historique. Le glissement à gauche de la 4ème circonscription de la Sarthe ne doit pas empêcher de voir un autre phénomène, non moins spectaculaire, qui est la poussée très régulière du vote en faveur du Front national. Initialement moins portés que l’ensemble des Français à donner leurs suffrages au candidat du parti d’extrême droite, les électeurs de la circonscription ont au fil des ans tendance à le soutenir autant, puis davantage. Ainsi, en 1995, lors du premier tour de l’élection présidentielle, la circonscription accorde 10,6% de suffrages à Jean-Marie Le Pen quand la France entière lui en donne 15%, soit une différence de -4,5 points ; en 2002, au premier tour, Le Pen attire à lui 14,5% des électeurs de la circonscription, contre 16,8% au niveau national, soit une différence de -2 points ; en 2007, il n’y a presque plus de différence entre le score réalisé par Jean-Marie Le Pen dans la circonscription (9,8%) et au plan national (10,4%) ; en 2012, si Marine Le Pen réalise un excellent score au niveau national (17,9%), il est meilleur dans la 4ème circonscription de la Sarthe (18,9%), soit une différence de +1 point. C’est la première fois qu’un cinquième des électeurs de la circonscription décide de voter pour le candidat de la droite populiste dans le cadre d’une élection présidentielle. En ce qui concerne les élections législatives, le candidat du Front national enregistrait le score insignifiant de 2,4% en 2007 tandis qu’il atteint 11,7% en 2012. Localement, pour l’UMP, la reconquête sera plus difficile ; pour le PS, cela fait un adversaire de plus.

Lisez l’article sur huffingtonpost.fr et ouest-france.fr.

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