« Regards Citoyens » : comment l’Open data peut restaurer la confiance entre les parlementaires et les citoyens

Farid Gueham | 15 décembre 2014

1024px-Panorama_de_l'hémicyle_de_l'assemblée_nationale« Regards Citoyens » : comment l’Open data peut restaurer la confiance entre les parlementaires et les citoyens

Par Farid Gueham

Le collectif Regards Citoyens est une association regroupant des citoyens de tous les âges et de toutes les régions de France, dans un désir commun de proposer un accès simplifié au fonctionnement des institutions à partir des informations publiques. Le collectif s’est formé en Juillet 2009 à l’initiative de trois cofondateurs. Benjamin Ooghe Tabanou, ingénieur de recherche à Paris et membre du collectif répond aux questions de Trop-Libre.

Trop-Libre : Où en est la France en matière de transparence parlementaire et d’ouverture à l’Open data ?
Benjamin Ooghe Tabanou : La France est un exemple en matière de transparence parlementaire. Les publications sont nombreuses et depuis des années nous avons une culture de la publication des informations. Il reste toutefois quelque petits points sur lesquels le parlement pêche comme le détail individuel du vote. Nous disposions déjà de l’orientation générale des groupes et de quelques votes dissidents. On peut mieux faire.

Trop-Libre : Justement, vous avez plaidé pour le détail des votes au sein des groupes. Cette revendication a-t-elle été entendue ?
Benjamin Ooghe Tabanou : Oui. C’est désormais réglé. « Regards Citoyens » plaide pour plus de transparence à ce niveau. En avril 2014, le président de l’Assemblée Nationale et le bureau ont décidé que tous les votes mentionneraient le détail individuel des positions. Mais une disposition reste dans l’ombre : la délégation de vote. C’est la raison pour laquelle nous avons communiqué sur ce souhait de protéger les absentéistes : un parlementaire a la possibilité de donner sa voix à un autre parlementaire. En théorie, un parlementaire peut déléguer une voix, mais dans la pratique au Sénat notamment, il arrive que cette limite ne soit pas respectée. Nous n’avons aucune visibilité sur la mise en place effective des délégations si bien que l’on ne peut pas savoir quel parlementaire était présent ou pas au moment du vote.

Trop-Libre : Vous comprenez les citoyens lorsqu’ils s’étonnent que des délégations soient portées par des députés exclus de leurs groupes ?
Benjamin Ooghe Tabanou : Tout à fait. Lors des travaux en commission, un amendement du groupe EELV pour la transparence des délégations de vote a été adopté. En hémicycle le groupe des radicaux déposait un amendement porté par le député Olivier Falorni visant à supprimer cette disposition. Revirement de situation dans l’hémicycle : tous les groupes à l’exception des verts et du rapporteur se prononcent contre cette idée de transparence y compris le parti socialiste qui l’avait pourtant adopté en commission. Le motif du rejet était pour le moins fallacieux. Cet argument s’articulait autour de l’idée que nos députés privilégient le vote de groupe au vote individuel. Mais la constitution dans son article 21 dit clairement que le vote est personnel et que le concept de voter en groupe n’est en aucun cas une obligation. La vraie raison est plus technique. Les groupes politiques tiennent à conserver la majorité lors des votes, quitte à donner pouvoir à un député exclu ou condamné par la justice. Aucun groupe ne souhaite ébruiter cela. Le parlement, c’est le lieu des débats et des échanges. Chez « Regards Citoyens », nous sommes attachés à cet idéal. C’est tout l’esprit du parlement, c’est la recherche de consensus. C’est la démocratie parlementaire. Et le fait de nier en bloc ce principe de libre parole, ce n’est pas très encourageant pour la démocratie.

regards-citoyens

Trop-Libre : Comment décririez-vous votre fonction, votre rôle entre les électeurs et les parlementaires ?
Benjamin Ooghe Tabanou : Tout d’abord, nous voulons valoriser le travail des parlementaires. Il y a énormément de choses qui sont faites au Sénat et à l’Assemblée. Et souvent lorsque l’on parle de ces travaux dans la  presse, cela se limite à « l’assemblée a adopté » etc.… Tout le travail en amont n’est pas ou peu connu. Notre seconde mission, c’est de rapprocher les citoyens de leurs élus. Nous voulons rendre l’information accessible pour que les citoyens puissent se saisir des questions qui leur tiennent à cœur. Des milliers d’abonnés sur les réseaux sociaux commentent tous les jours les travaux des députés et nous recevons quotidiennement des courriels d’usagers qui essaient de contacter leurs représentants. Il y a une vraie appétence républicaine pour le dialogue avec les assemblées. En termes de représentativité, on peut surement se poser des questions. Le système n’est jamais parfait et le processus législatif n’est pas immuable. Par exemple, Olivier Faure, député socialiste de Seine et Marne a récemment proposé un projet de loi pour le droit d’amendement citoyen. La diffusion des questions au gouvernement n’est pas représentative du travail du parlement. C’est plus un show médiatique. L’essentiel du travail ne se fait pas là. Sur certaines questions, les citoyens manifestent un véritable intérêt : mariage pour tous, HADOPI, loi contre le terrorisme… Autre exemple de cet intérêt sur les réseaux sociaux, le succès du « #directAN ». Les retweets et les commentaires sont nombreux, c’est incomparable avec ce que nous observions, il y à quatre ou cinq ans. Le temps de la démocratie est un temps long, petit à petit, les choses changent et nous sommes confiants.

Trop-Libre : Les travaux, les publications et les actions de « Regards Citoyens » sont suivis d’effets. Pouvez-vous nous donner des exemples concrets ?
Benjamin Ooghe Tabanou : La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a demandé aux parlementaires de remplir des déclarations d’intérêt et des déclarations de patrimoine. « Regards Citoyens » à toujours plaidé pour que les déclarations de patrimoine ne soient pas rendues publiques afin de sécuriser la vie privée ou le domicile des parlementaires. Ce qui nous intéresse davantage, c’est l’évolution des patrimoines, l’enjeu étant de montrer qu’il n’y a pas eu d’enrichissement anormal du fait de l’activité du mandat. Les documents les plus riches en informations sont incontestablement les déclarations d’intérêt. Elles permettent de voir les participations dans les entreprises, les activités des collaborateurs parlementaires. On pourrait aussi imaginer que l’on y précise l’activité des proches. En un mot, tout ce qui permettrait de mettre en lumière le conflit d’intérêt. Grâce à notre action, il est dorénavant reconnu que les déclarations d’intérêt même si elles contiennent des informations nominatives, peuvent être réutilisables en Open data dans la mesure où elles revêtent une utilité publique. La Haute autorité n’a pas disposé de beaucoup de temps pour lancer des formulairesélectroniques et les parlementaires ont du remplir ces documents à la main. Nous nous sommes retrouvés avec les documents scannés à l’écran, de la donnée certes, mais difficilement exploitable.

Trop-Libre : C’est pour ce genre d’action que vous pouvez compter sur l’aide des citoyens via les outils collaboratifs ?
Benjamin Ooghe Tabanou : Nous avons lancé une application de crowdsourcing et 8000 citoyens nous ont aidé à déchiffrer les pattes de mouches des déclarations manuscrites. En dix jours, nous avons reconstitué de la donnée numérique uniforme et vraiment exploitable.

Trop-Libre : Face à certaines réticences de parlementaires à jouer le jeu de la transparence, revendiquez-vous votre action de lobbying ?
Benjamin Ooghe Tabanou : Globalement les parlementaires jouent le jeu, mais il y a des cas particuliers. Lorsqu’un parlementaire rédige « A bas l’inquisition » sur sa déclaration d’intérêt, la résistance est évidente. Mais la majorité des parlementaires ont bien compris que les citoyens veulent comprendre ce qui se passe dans les sphères inaccessibles du pouvoir. C’est le rôle de l’Open data. Nous revendiquons tout à fait notre travail de lobbying républicain. Pour les lois sur la transparence, nous avons fait un certain nombre de propositions déclinées en une cinquantaine d’amendements diffusés à l’ensemble des parlementaires. Pour nous, le lobbying n’est pas quelque chose de problématique. Ce qui nous importe dans l’activité de lobbying, c’est de savoir ce qui a été dit, par qui, comment, et ce qui a été entendu. Les bonnes conditions du lobbying c’est la transparence et le pluralisme.

Trop-Libre : Ce lobbying citoyen comment s’organise-t-il concrètement ?
Benjamin Ooghe Tabanou : Nous pouvons être sollicités par des citoyens sur des questions qui sont en général tout à fait en dehors du scope de « Regards Citoyens ». Notre champ d’action est défini dans les statuts de l’association : la transparence de la vie publique et la mise à disposition des données publiques. Nous sommes engagés, mais plus que des acteurs neutres, nous nous décrivons souvent comme transpartisans. Nous sommes tous impliqués dans le débat citoyen, mais nous ne voulons pas que nos points de vue personnels puissent transparaître à travers des travaux qui concernent la totalité des parlementaires.

Trop-Libre : Qui du Sénat ou de l’Assemblée Nationale est le plus avancé dans la démarche d’Open data ?
Benjamin Ooghe Tabanou : Le sénat s’est lancé beaucoup plus tôt dans l’Open data. La Haute Assemblée avait fait une première tentative d’ouverture lors des dernières élections de 2011 à travers une petite démarche pour mettre en ligne les résultats électoraux. Peu de temps après, la base s’est affinée et enrichie avec des biographies de sénateurs, des textes de lois, des amendements, des questions écrites. En revanche, l’Assemblée Nationale a été rétive pendant un temps. L’institution redoutait les classements. Cette posture n’avait pas de sens, puisque depuis les années 70, le Point ou l’Express réalisaient déjà des classements à partir du Journal Officiel. Les dernières déclarations du Président Bartolone vont dans le bon sens, vers plus d’ouverture, en mettant à disposition les données de l’Assemblée dans un format librement exploitable et réutilisable sans restrictions techniques, juridiques ou financières. Nous disposerons enfin de sources fiables et exploitables. Il faut toutefois rappeler qu’à l’échelle internationale à peine une demi-douzaine de parlements s’est lancée dans l’Open data et nous pouvons être fier en France, d’être des pionniers en la matière.

Pour aller plus loin

– Site de la Haute Autorité pour la Transparence de la vie Publique
– Site « Nos députés.fr »
– Site de « Nos Sénateurs.fr »
– Site consacré à l’évolution de la procédure parlementaire
Plateforme collaborative de partage des données
Cartographie des comptes des communes de France de 2000 à 2012
Communiqué de presse de l’Assemblée Nationale sur l’Open Data

Crédits photo : Regards Citoyens ; Richard Ying et Tangui Morlier

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