Le malaise de l’Université est aussi ancien que l’absence d’Université véritable dans ce pays. L’Université d’Ancien Régime, moins autonome par rapport au pouvoir royal que dans d’autres pays, a fini par fonctionner comme une manufacture produisant des cadres lettrés, mais surtout disciplinés et obéissants, capables de remplir les différents offices réservés d’une société d’ordres. La vie de l’esprit, la reconnaissance du talent se fait ailleurs : dans les ordres religieux, dans les académies, dans les salons, chez les éditeurs. La Révolution se contente de mettre à bas un système qui s’était distingué par son inertie intellectuelle, sa docilité politique et son manque de caractère pratique. Les écoles de Thermidor tournent le dos au modèle universitaire. La refondation universitaire de Napoléon renforce d’abord les écoles centrales, les écoles d’ingénieurs et le rôle de l’Institut ; elle place les nouvelles universités sous le strict contrôle politique des recteurs et des doyens.Malgré les efforts de Guizot ou de Victor Cousin, malgré les réflexions nourries d’Ernest Renan ou de Louis Liard pour conférer à l’Université, au lendemain de la défaite de 1870, la vigueur et la cohérence qui avait si vivement contribué à l’essor de l’Allemagne rivale, l’Université n’a pas trouvé en France la place qu’elle s’est acquise dans les autres grands pays européens. Seule sans doute la IIIe République triomphante – celle des années 1890-1914 – avait su trouver un équilibre nouveau dans lequel enseignement universaliste et recherche de pointe ont pu, un temps, fonctionner de concert. Les grandes réformes de 1945 ont rendu le paysage universitaire plus complexe en créant, en dehors de l’Université, de nouvelles institutions dotées chacune d’une logique propre et de règles de fonctionnement particulières : organismes de recherche (CNRS, INSERM, INRA) ou nouvelles écoles (ENA, EHESS). Cette situation singulière n’a fait que se détériorer après la crise de Mai 68. La réforme en trompe-l’oeil concoctée en 1969 par Edgar Faure n’a fait que donner l’illusion de l’autonomie à des conseils d’administration privés de la maîtrise du budget et de la gestion des personnels. La loi Savary de 1984 a pérennisé ces dispositions contraires à l’esprit universitaire. Elle a fait proliférer les nouvelles missions de l’Université. Parallèlement était engagée une fonctionnarisation générale de la recherche française, avec tout ce que cela pouvait comporter de dirigisme, de centralisme et de conformisme. Sans y avoir été préparée, l’Université se trouvait confrontée à l’augmentation en masse des effectifs et à la nécessité de répondre à des objectifs nouveaux de professionnalisation, au besoin de s’affirmer dans le cadre d’une concurrence scientifique internationale plus vive. Mission impossible : l’Université était partie, sans surprise, pour un quart de siècle de réformes avortées et de révoltes stériles.
Analyser et comprendre l’enchaînement des erreurs et des contradictions depuis la loi Faure, c’est se donner les moyens de penser non seulement l’Université d’aujourd’hui, mais aussi celle de demain, qu’il nous reste à bâtir. Socle du dispositif institutionnel français, dernière loi à traiter globalement du problème de l’Université, la loi Savary servira ici de fil conducteur : malgré son âge, elle continue à générer et à révéler les problèmes que rencontre de manière récurrente l’Université française depuis plus de trente ans.

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