Économie numérique : le lièvre et la tortue

23 février 2012

L’explosion des nouveaux services

Pour Didier Lombard, président du Conseil de Surveillance de STMicroelectronics, une véritable accélération de l’histoire, due à la prolifération des technologies, est aujourd’hui en marche. Cette révolution est portée par les progrès à la fois de l’informatique, des réseaux et des équipements. L’innovation dans les terminaux (iphones, ipad, ebooks,) et l’explosion des nouveaux services (réseaux sociaux, musique et vidéo à la demande, e-commerce) ont provoqué un changement d’échelle dans la diversité des usages. Ces transformations sont loin d’être terminées : il reste une nouvelle étape à franchir avec les infrastructures à très haut débit, pour le fixe et le mobile (4G et LTE).

L’Europe à la traîne

L’ancien patron de France télécom lance avec ce livre un cri d’alarme, suivi d’un appel à la mobilisation. En effet, trop peu d’acteurs encore sont européens dans les services et  les nouveaux métiers, face aux géants que sont Amazon, Facebook, Google etc. Pourtant, selon l’auteur, l’Europe dispose d’atouts indéniables : une forte demande intérieure, des consommateurs éduqués, une expertise scientifique de haut niveau et des capacités d’innovation, comme l’a montré en son temps le succès du GSM.

Avec l’arrivée dans la sphère économique de la génération Y et la pénétration des mobiles dans les pays émergents, il devient urgent de mieux comprendre les batailles industrielles qui se livrent actuellement. Celles-ci concernent les nouveaux business models et le partage de la valeur à l’échelle mondiale. Selon l’auteur, nous avons deux à trois ans pour agir avant qu’il ne soit trop tard. Il convient donc de définir rapidement les actions à entreprendre à l’échelle européenne.

La recherche, un moteur en panne ?

Le diagnostic de Didier Lombard est sévère. En matière d’investissement public en Recherche & Développement, l’UE 27, avec 1,9 % en 2009, a été dépassée en 2011 par l’ensemble Chine, Japon, Corée, Taïwan. Par ailleurs, l’écart se creuse avec les Etats-Unis. Cette faiblesse concerne également la R&D  dans le secteur privé.

Pour autant, la stratégie communautaire UE 2020 intègre bien l’impératif d’innovation en matière de nouvelles technologies. Sept objectifs prioritaires sont définis par la Commission pour faire de l’économie numérique un atout européen. L’auteur redoute cependant qu’il ne s’agisse que d’incantations qui ne débouchent pas nécessairement sur les actions qui pourraient faire basculer favorablement la décennie qui vient. Pour lui, le remède à cette atonie est clair : « l’Europe doit retrouver ses fondamentaux : innover, être le champion de l’ouverture et investir. Telles sont les trois conditions de sa prospérité numérique. »

Innover et investir

Dans la ligne de son précédent ouvrage [1], Didier Lombard prône donc un volontarisme industriel au niveau européen. Celui-ci passerait par une relance de l’investissement tout autant que par une modernisation des politiques de concurrence et par l’augmentation de la capacité des réseaux. En matière de réglementation des contenus et services numériques, il convient de faire preuve d’ouverture. La globalisation ayant déjà largement imprimé sa marque sur le secteur, il serait stérile de promouvoir un secteur proprement européen fondé sur des normes locales.

Privilégier la valeur d’usage

Si Internet est déjà « le huitième continent » [2], il transforme également l’ensemble de l’économie réelle. Comme Jeremy Rifkin l’a montré, la notion d’accès et d’usage se substitue de plus en plus à celle de propriété. C’est notamment manifeste dans le secteur de la musique. L’effort des acteurs européens doit donc porter sur la réinvention des business models actuels.  Ainsi, certains acteurs du numérique essaient encore de maintenir le consommateur captif. A long terme, cela pénalise l’écosystème numérique européen dans son ensemble. De même, les acteurs devraient passer d’une vision du partage international du travail par les coûts à une vision du partage international du travail par les compétences, en s’appuyant notamment sur un marché intérieur dynamique.

Le défi du moyen terme : les « nouvelles » nouvelles technologies

La prochaine manche de la compétition mondiale aura pour enjeu les « nouvelles » nouvelles technologies comme l’internet des objets, la Near Field communication (NFC), le cloud computing ou encore les Big data. Elle concernera également de nouveaux services  tels l’e-santé et l’e-éducation, qui n’en sont qu’à leurs prémisses. Selon Didier Lombard, cette bataille-là vient de commencer. Il ne tient qu’à nous d’en sortir gagnant.

Ce livre nous redonne de l’espoir. Certes, le seul investissement dans l’économie numérique n’est qu’une piste parmi d’autres pour stimuler la croissance européenne. Il aurait cependant le mérite, dans un contexte de morosité et de restriction drastique des dépenses publiques, d’esquisser des pistes de  sortie de crise par le développement d’un secteur d’excellence propre à stimuler l’innovation dans l’ensemble de l’économie.

Aymeric Bourdin


[1] Village numérique mondial – La Deuxième vie des réseaux aux éditions Odile Jacob, 2008.

[2] Jeff Jarvis au sommet de l’eG8, 24 mai 2011.

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