« Margaret Thatcher en veston ? » Yes Minister, la politique anglaise et Nicolas Sarkozy

02 avril 2012

[1]. Peu importe l’auteur : le fait est qu’on compare souvent Nicolas avec Margaret. À tort, selon Catherine Nay, selon qui Sarkozy est convaincu que la réforme ne passe pas de la même façon en France qu’en Angleterre. Pas de réformes brutales pour lui, comme celles de la « Dame de Fer » qui n’hésita pas à plonger son pays dans une énorme récession afin de rétablir la situation financière catastrophique du Royaume-Uni.

Pourtant, l’assimilation avec Thatcher lui colle à peau. Serait-ce le style du chef d’État français, clivant, volontiers provocateur ? Ou bien sa position d’outsider au sein de l’establishment politique et social, une position qui explique en partie l’hostilité sans bornes à son égard ? Ou son projet de sortir son pays de « l’immobilisme » chiraquien et mitterrandien ? Dans tous ces domaines, on peut parler de ressemblance entre « Sarko » et « Maggie ».

Contre l’establishment

Pour s’en convaincre, il vaut la peine de visionner une série documentaire de la BBC, Thatcher, the Downing Street Years [2], réalisée seulement quelques années après son départ forcé du poste de Premier ministre. Pour les besoins de la série, Margaret Thatcher a été longuement interviewée et ces entretiens passionnants, réalisés avant que sa maladie ne se déclare, révèlent une femme qui n’a rien perdu de sa détermination. Elle s’oppose ouvertement à l’élite aristocratique de son parti et ne regrette absolument rien de ses actes (ici, la ressemblance avec Sarkozy paraît moins évidente). Au passage, elle ne semble toujours pas avoir compris pourquoi ses propres pairs l’avaient chassée du pouvoir – le drame de sa vie – elle parle de « trahison au visage souriant ».

Dans ses propos, des mots ou des expressions tels que « faiblesse », « orderly management of decline » (la gestion organisée du déclin) et surtout « consensus »,  qu’elle ne peut prononcer sans une moue de dégoût, reviennent régulièrement. Ils symbolisent tout ce que Thatcher détestait dans la vie politique de son pays depuis les années 1960.

Avec ou sans « spine « 

Ce climat-ci est parfaitement dressé dans une des plus  populaires sitcoms que la BBC ait jamais produite et qu’elle commença à diffuser en 1980 : Yes Minister et sa suite, Yes Prime Minister, écrites par Antony Jay et Jonathan Lynn. En France, la série n’a jamais été diffusée, mais dans le monde anglo-saxon elle fut et reste un phénomène de société [3], au point qu’une adaptation récente pour la scène par le même duo fait actuellement fureur dans les théâtres anglais. Yes Minister dépeint avec un humour féroce la vie politique anglaise où le cynisme des hauts fonctionnaires n’est surpassé que par la médiocrité des hommes politiques. Au centre, deux personnages clefs : le (futur Premier) ministre Jim Hacker (Paul Eddington) et son « permanent secretary » Sir Humphrey Appleby (Nigel Hawthorne). Hacker est un homme politique vain, sans spine – ou colonne vertébrale –, encore un de ces mots qu’affectionnait Thatcher et le principal reproche qu’elle faisait à l’ensemble de ses ministres – et qui n’a pas d’autre dessein que d’apparaître à la télévision ou à la première page des journaux.

Au cours de la série, il développe toutefois une certaine habilité pour utiliser ou faire face à sa bureaucratie, selon les impératifs de sa propre survie politique. Appleby est un haut fonctionnaire chevronné et rusé qui veut à tout prix empêcher le changement dans l’appareil d’État, notamment quand celui-ci menace l’omnipuissance des fonctionnaires. Ses longs discours technocratiques et inintelligibles sont un élément central dans chaque épisode et constituent une des clefs comiques de l’incroyable succès de la série.

« Perfectly house trained »

Dans le tout premier épisode, diffusé juste après l’arrivée de Thatcher au 10 Downing Street, Hacker devient ministre du département – fictif – des Affaires administratives, au début de la quatrième saison – il y en a eu cinq – il est élu Premier ministre, non par une élection générale mais par un vote du bureau de son parti et après un intense lobbying d’Appleby, entre temps devenu secrétaire général du 10 Downing Street. Comment cet homme sans envergure, qui prend des poses churchilliennes pour se donner une dimension qu’il n’a pas, a-t-il pu obtenir ce poste ? C’est parce qu’il est désormais « perfectly house trained » – parfaitement domestiqué – par les hauts fonctionnaires. Le constat est consternant.

Gâchis d’argent

Yes Minister s’est inspirée de façon troublante des mœurs politiques de l’époque à Whitehall, le quartier des ministères à Londres et on sait maintenant que les deux auteurs ont été directement informés par des conseillers et des hommes politiques, actifs à l’époque des gouvernements Labour d’Harold Wilson et de James Callaghan. Ce qui a fait dire à nombre d’observateurs que Yes Minister prônait une ligne politique proche de celle de Margaret Thatcher. De fait celle-ci fut une spectatrice assidue et fan de la série. Il est vrai qu’en tant que ministre des Affaires administratives, Hacker a comme principale tâche d’économiser et de rationaliser le fonctionnement de l’État, dessein invariablement saboté par Appleby. La série ridiculise le gâchis d’argent au sein des conseils municipaux gauchistes, le National Health Service [4] et dénonce l’inefficacité du ministère de l’Éducation. L’un des deux auteurs, Antony Jay, clairement marqué à droite, travaillait d’ailleurs régulièrement comme speechwriter pour Margaret Thatcher.

Thatchérisme ambiant

Pourtant, dans Yes Minister, tout le monde en prend pour son grade. Le parti politique de Hacker n’est jamais nommé et pourrait se situer quelque part entre Labour et les Tory – son siège s’appelle d’ailleurs « Central House », une contraction de « Central Office » le siège du parti conservateur, et « Transport House », à l’époque le siège du Labour. Et que dire du premier épisode de Yes Prime Minister, consacré à l’armement nucléaire du Royaume-Uni ? Non seulement il est ruineux, mais il est inefficace, la seule utilité avouée est de protéger le pays contre le péril… français ! Pas vraiment dans la droite ligne du Thatchérisme anti-soviétique de la fin de la guerre froide.

« Not amused »

La série est finalement comme ses personnages, totalement cynique, et dans chaque épisode, les seules issues sont tromperie et compromis. Jonathan Lynn, l’autre scénariste et, lui, sympathisant de gauche constatait que les deux catégories visées, hommes politiques et hauts fonctionnaires, adoraient la série, tout en oubliant la virulente critique qui leur était adressée. La première victime en fut Margaret Thatcher. Lorsque, en 1984, Yes Minister reçut un prix, décerné par une  association réactionnaire de téléspectateurs anglais, le Premier ministre écrivit [5] un sketch pour les deux acteurs principaux et elle-même. Lynn remercia l’auteur qui, selon lui, avait ainsi définitivement mérité sa place dans le monde de… la comédie. Piégée, la Dame de Fer « was not amused ».

On peut regretter que Yes Minister, à l’instar de spitting image transposé en « Guignols de l’info », n’ait jamais trouvé son pendant en France. Il y a suffisamment de matière ! Car si la série prouve quelque chose, c’est que le surréalisme de la bureaucratie et ses liens incestueux avec la politique sont loin d’être une spécificité britannique.

Harry Bos

Crédit photo : BBC Radio 4


[1] Voir ici.

[2] Encore disponible en cassette VHS mais facilement visible sur Youtube. The Downing Street Years est également le titre d’une autobiographie de Margaret Thatcher, sortie la même année que la série, 1993.

[3] Yes Minister et Yes Prime Minister sont toujours disponibles, dans un coffret édité en DVD par la BBC, hélas sans sous-titrage français.

[4] Dans un des meilleurs épisodes, on raconte ainsi l’histoire d’un hôpital qui fonctionne à plein régime administratif, sauf qu’il n’y a pas de patients…

[5] Certains disent que le texte a été (co-) écrit avec son légendaire press secretary Bernard Ingham.

Commentaires (0)
Commenter

Aucun commentaire.