Bâtir une Europe compétitive

Francis Mer | 05 juin 2008

Tribune de Francis Mer, membre du Conseil de surveillance de la Fondation pour l’innovation politique.

L‘Union européenne va-t-elle enfin se doter de moyens à la hauteur de ses ambitions et des attentes de ses citoyens ? Adoptée en mars 2000, la « stratégie de Lisbonne » avait pour objectif de faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus dynamique au monde » à l’horizon 2010, grâce à un accroissement de ses efforts en matière de recherche et développement (R&D), d’innovation, de technologies de l’information et de la communication, et à la modernisation de son modèle social, son taux de croissance potentielle étant accru grâce à une réforme des marchés nationaux du travail et à l’achèvement du marché européen des services.

L’échéance de la « stratégie de Lisbonne » arrive bientôt à son terme, et on peut dire, sans crainte de se tromper, que cette stratégie a échoué. L’erreur centrale a consisté à attendre une action coordonnée qui inciterait les Etats membres à engager les réformes recommandées à Lisbonne.

Dans ses Mémoires, Jean Monnet avait pourtant attiré l’attention sur le fait que la coordination « est l’expression du pouvoir national, tel qu’il est ; elle ne peut pas le changer, elle ne créera jamais l’unité ». Avec Lisbonne, l’Union en a fait l’amère expérience. Si l’Europe veut maintenir son niveau de prospérité, elle doit sortir du statu quo actuel et repenser sa méthode de coordination au sein d’une politique de compétitivité globale.

Quatre principe-clés doivent guider la mise en place d’une telle politique pour éviter qu’elle ne connaisse les mêmes mésaventures que la « stratégie de Lisbonne » :

1. – L’approche fondée sur la réalisation d’objectifs clairs à un horizon temporel déterminé doit s’appuyer sur une incitation formelle des Etats membres à agir. La solidarité européenne ne peut s’exercer indéfiniment au profit des pays qui refusent de mettre en oeuvre les principes de compétitivité globale. A l’inverse, ceux réalisant les objectifs doivent être encouragés dans leurs efforts, par exemple au travers de prêts bonifiés accordés par la Banque européenne d’investissement (BEI) ou en ne comptabilisant pas dans le pacte de stabilité et de croissance les dépenses publiques dans le domaine de l’innovation et de la R&D.

Mais pour qu’une incitation négative ou positive soit autre chose qu’un voeu pieux, sa mise en oeuvre ne doit plus relever de la coordination exercée par les Etats membres mais d’un acteur extérieur et indépendant : la Commission européenne, qui doit établir annuellement, sous sa responsabilité, un classement argumenté des pays au regard de la réalisation progressive des objectifs de compétitivité retenus par l’Union.

2. – La compétitivité globale doit s’entendre comme l’ensemble des mesures garantissant, sur le plan interne comme externe, la compétitivité de l’Union. La politique commerciale commune doit être pensée au regard des impératifs de développements industriels, technologiques et de R&D de l’Union. En parallèle, l’Union européenne sera d’autant plus crédible sur le plan extérieur qu’elle disposera d’un marché intérieur achevé. Il est de la première importance que la réalisation de marchés intérieurs des services aux entreprises, des services financiers, ainsi que le marché européen du travail soit achevée dans les plus brefs délais. Le blocage depuis 2000 de l’adoption du brevet communautaire pour des raisons linguistiques est à cet égard un exemple plus que regrettable.

3. – Les pays qui souhaitent avancer plus rapidement ensemble sur la politique de compétitivité doivent pouvoir le faire sans entrave. A cet égard, le groupe constitué par les Etats membres ayant adopté l’euro constitue une base pertinente sur laquelle construire de nouvelles coopérations dans le domaine industriel, de l’innovation, de l’enseignement supérieur, de la formation professionnelle. Sur le modèle de l’Eurogroupe, les ministres de l’industrie, de l’éducation, du commerce extérieur, etc., des Etats de la zone euro devraient se réunir de façon informelle et régulière, pour évoquer les problèmes d’intérêt commun.

A l’évidence, le couple franco-allemand a aussi une responsabilité à exercer : il doit être la base d’une nouvelle relance ouverte aux autres pays.

4. – Aucune politique européenne ne saurait réussir sans le soutien actif des citoyens, des acteurs économiques, des partenaires sociaux, des élus nationaux et régionaux… Mais encore faut-il qu’ils soient informés de l’existence d’une telle politique et de ses résultats pour se l’approprier.

Il importe par conséquent de lancer à l’attention de ce public une vaste campagne de communication (conduite par la Commission et le Parlement européen) sur les principes de compétitivité globale. Cette campagne devrait se doubler d’un débat annuel au sein du Parlement de chaque Etat membre, organisé à l’occasion de l’adoption des budgets nationaux. En outre, tous les trois ans, les orientations de la politique de compétitivité globale de l’Union devraient être rediscutées lors d’un débat mené à l’échelle européenne avec toutes les parties prenantes (représentants des Etats membres, partenaires socio-économiques, parlementaires nationaux et européens, Banque centrale européenne).

L’Europe est loin d’être condamnée au déclin économique. L’heure n’est pas venue où elle ne sera plus qu’un espace de tourisme pour une clientèle originaire d’Inde, de Chine, du Brésil ou des Etats-Unis. Cependant, la préservation de son modèle de développement associant dynamisme économique et protection sociale commande la mise en place d’une nouvelle politique de compétitivité, ambitieuse mais réaliste. Gageons que, dans cette perspective, les responsables politiques européens feront leur la formule de Danton : « De l’audace, encore de l’audace et toujours de l’audace », et qu’ils sauront mettre à profit la présidence française de 2008 pour donner à l’Europe un nouvel élan économique.


 

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